Pourquoi en est-on arrivé là ? La crise financière a laissé des traces dans l’esprit des banquiers centraux. Ils veulent à tout prix éviter une récession et ne plus revivre l’anxiété générée par une crise de liquidité (certaines banques ne peuvent plus faire face à leurs échéances, les flux interbancaires sont grippés et le système financier finit par se bloquer). Les banques centrales ont donc aujourd’hui un biais asymétrique dans la gestion des risques pour l’économie. Elles préfèrent mener une politique monétaire trop accommodante plutôt que de monter de manière inopportune leur taux d’intérêt.
Dans un environnement économique et politique très incertain, les banques centrales ont ainsi opté pour un virage à 180° depuis le début de l’année 2019. Outre-Atlantique, la Réserve fédérale (la Fed) avait bien avancé dans la normalisation de sa politique monétaire, amorcée fin 2015. Mais en début d’année, elle est apparue plus réticente à poursuivre le resserrement monétaire. Au printemps, elle a même annoncé qu’elle interromprait la réduction de son bilan, alors que ce dernier, proportionnellement au PIB, est aujourd’hui encore très élevé. Les investisseurs ont ainsi de plus en plus parié sur une baisse du taux directeur de la Fed avant la fin de l’année.
De son côté, la BCE avait annoncé en juin 2018 qu’elle laisserait ses taux inchangés jusqu’à la mi-2019. Elle a une première fois repoussé cette échéance à fin 2019 en mars dernier, puis à la mi-2020 début juin. Dix jours plus tard, dans un discours prononcé lors du Forum annuel de la BCE à Sintra, au Portugal, Mario Draghi, le président de la BCE, a indiqué que si l’environnement économique se dégradait et si les perspectives de retour de l’inflation sous les 2 %, la cible de moyen terme de la BCE, s’éloignaient, alors tous les outils entre les mains de la BCE pourraient être mobilisés. Une baisse du taux de la facilité de dépôt (taux qui « rémunère » les dépôts des banques commerciales à la banque centrale, aujourd’hui négatif à -0,4 %) est donc devenu envisageable, de même qu’une reprise des achats nets de titres (que la BCE avait interrompu fin 2018).
Ce ton très accommodant des banques centrales s’explique par une très forte incertitude concernant l’évolution de la situation économique dans les mois à venir suite à de nombreux aléas de nature politique (tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis, dégradation des relations entre l’Iran et les Etats-Unis, imprévisibilité quant à l’issue du Brexit). Toutes ces annonces sont synonymes de politiques monétaires plus accommodantes, montrant que les banques centrales seront là si la situation économique venait à se dégrader. Les investisseurs ont d’ailleurs été rassurés, comme l’illustre le rebond des Bourses en juin. Mais ces liquidités croissantes qui sont injectées dans l’économie ne peuvent se traduire que par des taux d’intérêt très bas, sans doute pour un long moment.
D’où pourrait provenir une remontée des taux ? Soit de décisions des banques centrales qui seraient en deçà des attentes des investisseurs, soit d’une remontée intempestive de l’inflation (choc pétrolier, hausse des salaires plus marquée dans les pays se trouvant au plein-emploi). Ce n’est pas le scénario le plus probable aujourd’hui. Mais en économie, les surprises ne manquent pas !