Rappelons les causes de cette situation inédite parce qu’elles éclairent les perspectives. A la différence des Etats-Unis, qui ont connu une reprise économique modérée mais continue depuis 2010, la zone euro a rechuté dans la récession en 2013. Pourquoi ? A cause de la crise de défiance qui a frappé les Etats (Grèce, Espagne, Italie, Portugal) où la situation des finances publiques et de certaines banques s’était beaucoup dégradée après la « Grande récession » de 2008-2009. Ces Etats, aux déficits élevés, ont alors connu des difficultés croissantes pour emprunter. Au point de risquer l’asphyxie. Cette nouvelle crise a déprimé l’activité et fait monter le chômage. La tendance des prix est devenue si faible qu’on a craint une déflation c’est-à-dire une baisse continue du niveau général des prix. Une situation grave quand les dettes sont élevées. Car, au lieu que leur poids s’allège grâce la hausse des prix et des revenus, c’est l’inverse en cas de déflation. En outre, si les prix sont un peu moins élevés demain qu’aujourd’hui, autant reporter les dépenses qui peuvent attendre .Un comportement qui déprime un peu plus l’activité et l’emploi, donc les salaires et les prix.
Pour éviter à la zone euro d’entrer dans ce cercle vicieux, la Banque Centrale Européenne (BCE) a fait en sorte que les taux d’intérêt soient les plus bas possible.
Objectifs : permettre aux Etats, aux ménages et aux entreprises trop endettés de rester solvables ; stimuler l’investissement et la consommation grâce à des crédits très peu chers ; faire ainsi repartir l’économie et, du même coup, soutenir les prix. Pour cela, la BCE a baissé ses propres taux d’intérêt, ceux qu’on appelle directeurs car ils influencent les autres taux. Aujourd’hui, l’un est nul, l’autre négatif ! Elle s’est mise aussi à acheter des emprunts d’Etat pour en faire baisser les taux.
Ce contexte a longtemps été considéré comme devant être temporaire. En effet, aux Etats-Unis, grâce à la reprise économique, la banque centrale a pu relever peu à peu son taux d’intérêt directeur depuis fin 2015. Les autres taux ont suivi et le taux des emprunts à 10 ans du Trésor américain est remonté jusqu’à 3 % l’automne dernier. Mais dans la zone euro, pour les raisons rappelées plus haut, cette « normalisation » de la politique monétaire a tout juste commencé en décembre dernier. En outre, la BCE a seulement mis fin à ses achats de titres. Elle n’a pas amorcé le relèvement de ses taux directeurs. Elle s’est bornée à ouvrir la porte à une première hausse à l’automne prochain. Mais dernièrement, la crainte d’un ralentissement économique prononcé dans la zone euro et dans le monde l’a poussée à encore plus de prudence. Elle vient d’annoncer qu’elle gardera sans doute ses taux directeurs aux niveaux actuels au moins jusqu’à la fin de l’année. Or l’économie américaine, stimulée l’an dernier par des baisses d’impôts, pourrait s’essouffler en 2020 après plus de dix ans de croissance. Cela ne serait pas favorable à l’activité économique dans le monde et en Europe. La porte entrouverte pour une hausse des taux directeurs de la BCE est peut-être en train de se refermer. Les taux très bas risquent d’être avec nous encore assez longtemps…
Achevé de rédiger le 12 mars 2019
Henri DELESSY
Responsable des Etudes économiques
Direction de la Stratégie et de l’innovation