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Quelle place pour les élus territoriaux dans la gouvernance des établissements de santé ?

La territorialisation de la santé et du secteur médico-social est une nécessité qui fait consensus. Mais quid de la place effective des élus dans le pilotage des établissements ? Sur ce point, plusieurs mesures sont mises en débat.

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Trop lourde, trop complexe, trop déconnectée de la réalité des bassins de vie : la gouvernance des établissements de santé et établissements médico-sociaux ne laisse pas assez de place aux représentants des territoires et à leurs élus. Ce constat et la nécessité d’y remédier sont aujourd’hui largement partagés. Il en va de la possibilité pour tous les Français de se faire soigner et accueillir de la manière la plus efficace possible en termes de délai, de distance et de qualité de soin ou de service.

La crise sanitaire a de ce point de vue servi de révélateur, témoignant notamment de lourdeurs dans leur fonctionnement des Agences Régionales de Santé (ARS) et, par contraste, de la réactivité et de l’agilité des collectivités territoriales. La question de possibles délégations supplémentaires aux départements reste ouverte. Cela dans un contexte où les ARS connaissent une érosion continue de leurs effectifs – elles ne comptaient plus que 700 équivalents temps plein(1) fin 2018, à quasi-parité entre secteur « personnes âgées » et segment « handicap ».

Administrer le système sanitaire et médico-social depuis les besoins des territoires plutôt que par l’offre, gérer des parcours de soin plutôt que des actes : telle est la logique à impulser, en impliquant plus étroitement les élus locaux dans les instances de gouvernance des établissements.

Des mesures annoncées dans le cadre du Ségur de la Santé

Lors d’une séance de questions d’actualité au gouvernement – au Sénat – Jean Castex a affirmé, peu après sa nomination, que « l’organisation et l’efficience du système de santé et du système hospitalier passent par un accroissement du rôle des élus, et notamment des maires, dans leur gouvernance et leur pilotage. ».

Conclu quelques jours plus tard, le 21 juillet 2020, après plusieurs semaines de concertation, le Ségur de la Santé traduit une volonté de marquer un retour des élus locaux dans la gouvernance du secteur. Une inflexion reflétée dans les 33 mesures annoncées.

La mesure 10 prévoit ainsi une plus grande implication des élus territoriaux dans les décisions d’investissement. Le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO), qui priorise et valide les projets d’investissements en santé, sera ainsi remplacé par un conseil national de l’investissement en santé, qui répartira les enveloppes suivant une logique d’équité territoriale. Ce conseil national devra associer les élus locaux aux décisions et ne validera plus qu’une minorité de projets financés à 100% par les aides publiques ou dépassant 100 millions d’euros HT. En deçà de ce seuil, des conférences territoriales de l’investissement en santé seront instituées et bénéficieront d’un assouplissement des règles du Code de la commande publique.

Les hôpitaux de proximité devront, aux termes de la mesure 30 du Ségur de la Santé, être conçus comme des laboratoires en matière de coopération territoriale. À cette fin, ils auront l’obligation d’associer des élus à leur architecture juridique.

La mesure 32 prévoit quant à elle le renforcement des missions et de l’indépendance des conférences régionales de la santé et de l’autonomie, qui ont vocation à devenir de véritables parlements locaux de santé, associant étroitement les élus locaux – et les associations de patients – à la gestion du système de santé publique à l’échelon des territoires.

Aux termes de la mesure 33 enfin, le niveau départemental des ARS doit se voir consolidé avec une plus grande place aux élus au sein des conseils d’administration, créés en remplacement des actuels conseils de surveillance. Cette proposition est d’ailleurs reprise à son compte par le député Jean-Carles Grelier, qui a déposé, en décembre 2020, une proposition de loi en ce sens

Un serpent de mer : l’évolution fait écho aux recommandations du rapport d’Olivier Claris(2) sur la gouvernance des hôpitaux qui, dès décembre 2019, suggérait d’accorder aux ARS une autonomie accrue dans la déclinaison locale des objectifs nationaux.

La gouvernance territoriale de la santé à l’ordre du jour législatif

Début 2021, les consultations se poursuivaient autour d’un avant-projet de loi 4D(3). Le volet « Santé et cohésion sociale » de cette loi mise en débat dans le courant de l’année prévoit plusieurs mesures visant à accroître le pouvoir des élus locaux.

Les élus de collectivités pourraient ainsi se voir réserver un tiers des sièges dans les nouveaux conseils d’administration des ARS, dont 2 places de vice-présidents.

Les communes et les départements se verraient par ailleurs dotés de la capacité de recruter du personnel soignant pour les centres de santé placés sous leur responsabilité.

Les départements verraient leurs compétences élargies à la prise en charge des pupilles de l’État, et leur position de chefs de file affirmée pour ce qui est de l’habitat inclusif et de l’adaptation du logement au vieillissement.

Quant à la loi Grand Âge et Autonomie, maintes fois repoussée, son examen a officiellement été reporté au lendemain de la crise sanitaire, ce qui rend peu probable son adoption avant la fin du quinquennat. Les espoirs qui lui étaient associés dans le champ de la gouvernance – tels que la désignation des départements comme chefs de file à titre exclusif du médico-social – sont ainsi de nouveau douchés.

Gouverner avec les élus locaux : des propositions nouvelles nourrissent les débats

Nombre de rapports mettent l’accent sur la nécessaire adaptation de la gouvernance du secteur de la santé, dans le sens d’une plus grande ouverture aux élus territoriaux.

En juin 2020, un rapport a ainsi été remis par Olivier Claris sur la gouvernance de l’hôpital. Sur la base de 6500 contributions de cadres et praticiens hospitaliers, ce rapport propose de redonner un pouvoir d’initiative aux territoires, en renforçant l’implication des élus locaux. Concrètement, le rapport prône une simplification de la gouvernance des groupements hospitaliers de territoire. Il préconise également une suppression du comité territorial des élus dans chaque établissement, au profit d’un conseil territorial de santé à l’échelon départemental, aux pouvoirs d’initiative plus étendus, avec une « place plus forte » des élus.

En septembre 2020, le rapport Vachey sur la future branche Autonomie a dressé les possibles contours de la 5ème branche de sécurité sociale, en termes d’ossature et de gouvernance. Son auteur plaide pour le maintien de compétences partagées entre départements et ARS autour des établissements pour personnes âgées. Il estime possible d’envisager une délégation de compétences vers les départements en matière d’autorisation et de tarification. La programmation commune de l’offre et son organisation feraient l’objet d’une contractualisation dans chaque département.

De son côté, la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), future cheffe de file de la 5ème branche, défend l’idée de mettre en place des conférences départementales de l’autonomie sur le modèle des conférences départementales des financeurs.

Se poser la question de la gouvernance des établissements, c’est évidemment se poser aussi celle de leur financement. La loi 4D pourrait d’ailleurs inclure une mesure permettant aux collectivités de financer les établissements de santé.

Dans le secteur médico-social, le rapport Vachey est, sur ce point, catégorique : dans le secteur du grand âge, les doubles financements doivent selon lui être supprimés, car ils constituent une bonne part de la complexité actuelle.

On le voit : les débats sont, sur la question de la gouvernance territoriale, loin d’être clos.

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(1) Source : Rapport Laurent Vachey sur « La branche Autonomie » – septembre 2020

(2) Président de la commission médicale d’établissement des Hospices Civils de Lyon.

(3) 4D pour décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification.