Interview

« Le modèle de l’habitat inclusif ne peut se développer hors-sol »

À mi-chemin entre le domicile et la vie en établissement, la solution de l’habitat inclusif offre un entre-deux qui combine inclusion sociale et autonomie. Au stade expérimental, ce nouveau concept se heurte toutefois encore aux limites imposées par la réglementation. Décryptage avec Pierre-Vincent Guéret, directeur associé du cabinet de conseil SPQR (www.spqr-conseil.fr), qui accompagne les associations et collectivités territoriales dans leurs projets stratégiques à caractère médico-social et sanitaire.

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Portrait de Pierre-Vincent Guéret

Lorsqu’on se penche sur les besoins des populations, l’idée de développer les formes intermédiaires de prises en charge sous forme de logement inclusif apparait comme une évidence.

Pierre-Vincent Guéret — Directeur associé du cabinet de conseil SPQR

Comment l’habitat inclusif se définit-il ?

Dans les textes, l’habitat inclusif se définit surtout par ce qu’il n’est pas : ni EHPAD, ni foyer-logement, ni résidence autonomie… Le concept s’appuie donc sur une définition « en creux », sur laquelle est projeté le rêve d’un mode de prise en charge qui soit plus personnalisé et apaisé que dans les gros établissements, et plus structuré qu’à domicile. En habitat inclusif, on est chez soi, que l’on soit propriétaire ou locataire et le principe est celui du libre choix des services auxquels on a recours au quotidien : aide-ménagère, soins infirmiers, production de repas en commun… Le partage de la fonction d’animation est, lui, librement consenti et fait l’objet du versement du forfait de l’Aide à la vie partagée.

L’habitat inclusif se définit donc par référence à la vie à domicile (avec un niveau de service renforcé) et à la vie en l’établissement (avec un niveau de service dégradé).

Cette question du libre-choix est un point d’achoppement, dites-vous. Pourquoi ?

Le modèle économique de l’habitat inclusif n’est pas tenable en l’état actuel de la réglementation applicable. La viabilité de petites unités de vie de 10 à 20 places n’est en effet assurée que si les services sont regroupés et assurés par un même gestionnaire. L’exigence de libre choix est donc un point charnière. Ce libre choix est par ailleurs une gageure dans certains territoires ruraux ou petits bourgs où, dans les faits, l’offre de SAAD est très réduite.

Un autre modèle économique est-il possible ?

Oui : il s’agirait de mutualiser les plans d’aide individuels dont bénéficient les résidents de l’habitat inclusif. Dans un tel modèle, chacun paie sa part de logement et les services d’aide et de soin à domicile sont regroupés et financés collectivement. Quand le service rendu est bon, c’est une formule où tout le monde serait  gagnant. Regroupés, les services sont moins onéreux avec, pour l’usager, une présence plus importante sur la journée et pour les intervenants, une moindre déperdition de temps et de déplacements.

Les textes ne tranchent malheureusement pas clairement la possibilité d’opter pour ce schéma, même s’il est de facto organisé dans certaines résidences « autonomie » ou « services ».

Comment les acteurs du médico-social se saisissent-ils du nouveau modèle de l’habitat inclusif ?

Les opérateurs du secteur médico-social s’en saisissent, ou plutôt s’en approchent, pour l’instant de manière sporadique et un peu anarchique. Ils sont en effet conscients de la tendance longue qui les pousse à adapter leurs modes opératoires aux exigences de parcours dynamiques et inclusifs.

Certains établissements ont déjà renoncé au modèle monolithique de l’hébergement permanent pour diversifier leur offre hors-les-murs. Certains EHPAD ou foyers de vie intègrent par exemple des places d’hébergement temporaire ou d’accueil de jour, des activités ouvertes aux personnes âgées fragiles ou en perte d’autonomie des environs, voire des prestations d’EHPAD à domicile. En aide sociale à l’enfance aussi, de plus en plus de prises en charge éducatives à domicile sont organisées.

Lorsqu’on se penche sur les besoins des populations, l’idée de développer les formes intermédiaires de prises en charge sous forme de logement inclusif apparait comme une évidence.

Convaincus, certains Départements lancent des appels à projets qui donnent lieu à des initiatives expérimentales. Nous sommes dans une phase d’intense bouillonnement. Mais il faut actuellement savoir se couler dans le moule des appels à projets pour pouvoir agir en dehors des clous.

Vous parlez de parcours. En quoi cette exigence influe-t-elle sur le développement de l’habitat participatif ?

Un projet d’habitat inclusif ne peut pas être développé hors sol, c’est-à-dire en dehors d’une plateforme animée par des acteurs en place, soit en aval de la filière de l’aide à domicile soit en amont de celle des établissements d’hébergement médico-sociaux. Car la solution de l’habitat inclusif ne peut s’envisager que comme un complément de gamme, dans un continuum entre le domicile et l’établissement. Avec bien entendu de possibles aller-retour pour les personnes, ce qui suppose une gestion des besoins et des dossiers centralisée et suivie, fonction même d’un case-manager à placer au cœur du projet. 

Quels sont actuellement, en France, les domaines où la solution de l’habitat partagé peut être facilement éprouvée sur le terrain ?

La forme d’habitat inclusif la plus aisée à mettre en œuvre et à dupliquer concerne les personnes en situation de handicap. Il suffit que quelques personnes logées en établissement se regroupent et décident de mener une vie commune en milieu ordinaire tout en continuant à bénéficier des services des équipes de leur établissement d’origine.

Dans le champ du grand âge, la frontière entre résidences autonomie et habitat inclusif est floue. Le développement d’une résidence autonomie ou d’un projet d’habitat inclusif par un SAAD est un projet qui peut s’envisager assez aisément.

De manière plus sporadique, mais hautement symbolique, de beaux projets de colocations mixtes – intergénérationnelles, entre personnes valides et porteuses de handicap, ou encore incluant des personnes en situation d’exclusion – se montent ici et là, avec échange de services. Si elles ne seront jamais majoritaires, ces réalisations sont visibles et dignes d’éloges.

Autour des EHPAD, des projets d’habitat inclusif peuvent également aboutir à la faveur d’une reconstruction, ou réhabilitation lourde. Notamment lorsque la disposition architecturale de l’établissement permet l’aménagement de petits appartements regroupés, mais autonomes, avec un suivi des locataires organisé au quotidien.

Le schéma de l’habitat inclusif pourrait-il être accessible aux personnes aux moyens modestes ?

Tout à fait. Dans le parc locatif social, il est possible d’imaginer qu’un bailleur social puisse développer de petites unités de 5 à 8 petits logements regroupés par transformation d’appartements trop grands ne trouvant plus leur public. Ces logements seraient équipés en domotique et associés à des parties communes. Les locataires âgés en place se verraient proposer un simple échange de logement vers un logement adapté. Reste que la question de la mutualisation des services et de leur portage par un gestionnaire unique se posera également dans cette configuration...

Que manque-t-il, selon vous, pour que la formule de l’habitat inclusif prenne son envol ?

La question du modèle économique du libre choix reste à trancher. Un changement dans les textes de référence créerait à l’évidence un appel d’air. L’autre obstacle actuel à lever tient à l’impossibilité actuelle de solvabiliser les locataires de l’habitat inclusif via l’aide sociale.

Sans changement de réglementation, c’est la volonté d’agir en partenariat qui peut faire émerger et aboutir des projets. Il faut alors des acteurs suffisamment lourds du secteur du domicile ou de la prise en charge du vieillissement, ou encore du handicap qui, associés par exemple à des bailleurs sociaux, acquièrent la capacité à proposer un même projet à décliner dans plusieurs lieux. Il y aura donc clairement une « prime au gros ».

Quel rôle les collectivités territoriales peuvent-elles jouer dans ce développement ?

Les Départements sont intéressés au premier chef, en tant que chefs de file de l’action sociale. Ils ont un intérêt à se pencher sur l’habitat inclusif, dont le poids financier est plus léger que celui des EHPAD, et qui répond à l’exigence d’inclusion et de parcours personnalisés.

Les communes ont également un rôle à jouer, car elles constituent l’échelon de vie. De l’offre de services via leurs CCAS à la mise à disposition de foncier, elles ont plusieurs leviers à actionner. Cela dans un intérêt bien compris, car le médico-social est riche de potentialités d’emplois de proximité, non délocalisables.

C’est en tout cas dans la complémentarité, non dans la compétition, que les collectivités peuvent agir. Dans une nécessaire co-construction.

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