Quinze années ont passé depuis que la Loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires) de 2009 a prétendu remédier au problème de l’accès aux soins en milieu rural. Force est pourtant de constater la persistance d’une France à deux vitesses en la matière. Une « atteinte au pacte républicain » soulignait un rapport du Sénat sur les déserts médicaux, en 2020. « Les inégalités territoriales d’accès aux soins empêchent de garantir à tous les Français un accès équitable à des soins de qualité, dans les mêmes conditions et délais » estimaient alors les sénateurs.
La santé en milieu rural : un moindre accès aux soins hospitaliers
La récente étude réalisée par l’Association des Maires Ruraux de France (AMRF), publiée en novembre 2023(1), leur donne raison. À cette question simple, « Les habitants du monde rural ont-ils accès à l’hôpital et aux cliniques comme ceux des villes ? », la réponse sonne clair : c’est non. À âge et sexe égaux, vivre à la campagne est devenu un facteur déterminant d’inégalités d’accès aux soins hospitaliers. Les habitants en milieu rural ont ainsi moins recours aux soins hospitaliers (- 20 %), aux courts séjours hospitaliers (-12%) et utilisent jusqu’à 30 % en moins de séances de soins en établissement (dialyse, chimiothérapie, etc.). Ce moindre recours au système hospitalier est particulièrement marqué dans le champ de la néonatologie et de l’activité interventionnelle (cardiologie, neurologie, intervention sous imagerie…).
En septembre 2022, l’AMRF avait publié une analyse constatant l’éloignement des campagnes vis-à-vis des soins de médecine de ville. En avril 2023, une seconde étude de l’AMRF pointait une situation de surmortalité dans les zones rurales. Dans cette nouvelle étude, qui porte sur l’hospitalisation de court séjour à l’échelle des 6 300 secteurs géographiques distingués par le PMSI(2), l’association enfonce le clou. Elle décrit une stricte gradation des niveaux de prise en charge entre les territoires ruraux et les zones les plus densément peuplées.
Déserts médicaux : la situation se dégrade toujours
Les déserts médicaux concernent, en France, une commune sur trois(3). Environ 30 % de la population française vit aujourd’hui dans une zone sous-dotée. En Île-de-France, cette proportion dépasse les 62 %(4). Les écarts de densité médicale entre départements varient en moyenne de 1 à 3 pour les médecins généralistes. Pour l’accès aux spécialistes, le rapport entre zones denses et zones sous-denses varie de 1 à 8, et même de 1 à 24 pour les pédiatres. 11 % des assurés de 17 ans et plus n’ont pas de médecin traitant. Et 1,6 million de personnes renoncent chaque année à des soins dans notre pays.
En matière d’accès aux soins, la situation française apparaît plus dégradée que pour la moyenne des pays de l’OCDE, en termes de densité médicale dans les zones rurales.
Selon les projections de la DREES (la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la Santé), qui tiennent compte du vieillissement croissant de la population, la densité médicale devrait continuer à diminuer en France dans les années à venir. Les effets de l’augmentation du numerus clausus ne se feraient ainsi sentir qu’à compter de 2032, date à laquelle les effectifs médicaux retrouveraient leur niveau de 2021.
Pas de mesures contraignantes dans la nouvelle Loi sur l’accès aux soins
Après des débats houleux, la Loi « visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels » (dite loi Valletoux, du nom du député et président de la Fédération hospitalière de France qui l’a portée) a été promulguée le 27 décembre 2023.
Le texte prévoit l’application du Contrat d’engagement de service public (CESP) aux étudiants en médecine, odontologie, maïeutique(5) et pharmacie, cela dès leur deuxième année d’études, liant le versement d’une allocation mensuelle à l’engagement d’exercer 2 ans au moins sur un territoire sous-doté.
Pour pallier le manque de médecins, la Loi prévoit que des infirmiers référents puissent assurer des missions de prévention, suivi et recours auprès des patients en affection longue durée.
Les territoires de santé deviennent « l’échelon de référence » de l’organisation locale de la politique de santé, avec le Conseil Territorial de Santé (CTS) comme organe de gouvernance, en charge de l’équilibre territorial de l’accès aux soins. Autre mesure clé : la Permanence des Soins en Etablissements de Santé (PSES), la nuit et le week-end, reposera désormais également sur les établissements privés (qui n’en assurent actuellement que 13 %(6)). À charge pour les hôpitaux et cliniques de s’organiser entre eux.
Reste que la loi Valletoux s’est finalement vue délester de toutes les mesures contraignantes initialement prévues. Exit, donc, les contrats sur installation de médecins, ou encore le rattachement automatique, pour tous les professionnels de santé libéraux, à une Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS), à même de favoriser un parcours de soin plus coordonné pour les patients.
Des moyens d’action à la main des collectivités territoriales
En l’état –critique– de la démographie médicale, favoriser un exercice pluridisciplinaire des activités de soins devient crucial. À cet égard, les collectivités locales ont plusieurs moyens d’action à leur portée. Les communes et communautés de communes peuvent intervenir dans le champ de la santé sur tous les sujets présentant un intérêt public local, cela au titre de la clause générale de compétences. Nombre d’entre elles sont d’ailleurs déjà investies en appui aux professionnels de santé, dans le cadre de CPTS, pour promouvoir l’exercice coordonné et la logique de responsabilité populationnelle, avec un focus sur la prévention et la stabilisation des maladies chroniques.
Si la santé reste une compétence régalienne de l’État, la Loi 3DS a fait de l’organisation des soins de proximité une compétence facultative des collectivités locales.
Les collectivités locales peuvent ainsi être à la manœuvre pour le « dernier kilomètre ». En témoigne leur implication dans le déploiement des maisons de santé pluridisciplinaires, qui rassemblent des professionnels de santé libéraux. Ou encore celui des centres de santé, où les praticiens sont salariés (il arrive que les collectivités elles-mêmes en soient gestionnaires). Ces formes d’exercice coordonné ont fait leurs preuves pour favoriser l’accès aux soins en milieu rural : un médecin exerçant dans ces structures pluriprofessionnelles reçoit ainsi plus de patients qu’un médecin en exercice isolé. Et l’exercice collectif et coordonné s’avère être un facteur d’attractivité pour les jeunes professionnels de santé.
Les centres de santé étaient au nombre de 955 en 2021. En mars 2023, 2 251 maisons de santé étaient en fonctionnement et plus de 300 en projet(7). Un plan d’action gouvernemental a été annoncé à l’été 2023, en vue d’accélérer le mouvement de développement de cette forme d’exercice partagé. À la clé, le déblocage de 50 millions d’euros de moyens supplémentaires, pour un objectif de 4 000 maisons de santé à horizon 2027. 260 000 patients de plus auraient ainsi accès à un médecin généraliste.
Reste que deux-tiers des déterminants de santé ne sont pas liés aux soins. Alimentation, activité physique, sociabilité, qualité des logements sont autant de critères sur lesquels les collectivités territoriales peuvent peser, avec une vraie valeur ajoutée. Les Contrats Locaux de Santé (CLS) offrent un cadre idoine pour porter des actions de prévention, d’éducation à la santé, ou encore de dépistage, autour de priorités partagées avec les médecins de ville et les établissements hospitaliers.
(1) https://www.amrf.fr/2023/11/13/etudes-sante-le-recours-aux-soins-hospitaliers/
(2) Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information, outil de suivi et de mesure de l’activité médico-économique des établissements hospitaliers.
(3) Source : Rapport du Sénat sur les déserts médicaux – 2020
(4) Source : Rapport du Sénat sur les déserts médicaux - 29 mars 2022
(5) Les étudiants en maïeutique se forment au métier de sage-femme.
(6) Source : La Gazette des Communes – Article « Accès aux soins, une nouvelle loi adoptée… mais pour quels résultats ? » paru le 18 décembre 2023
(7) Source : ministère de la Santé