« L’effet de souffle de la crise sanitaire mettra longtemps à se dissiper »

Maire de Charleville-Mézières depuis 2014, Boris Ravignon a été réélu en 2020 dès le premier tour. Également président d’Ardenne Métropole, il fait partie des élus locaux les plus fortement mobilisés dans le soutien aux citoyens et à l’économie locale. Cela dans un contexte où l’impact financier de la crise sanitaire n’est que très partiellement compensé par le plan de relance. Rencontre.

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Quel a été l’impact budgétaire de la crise sanitaire sur les finances locales ?

Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières et président d'Ardenne Métropole

Boris Ravignon : Il est considérable, aussi bien sur les finances de la ville que sur celles d’Ardenne métropole1. Les deux-tiers de cet impact sont le fait de pertes de recettes : un peu moins de 1,5 M€ pour la ville ; entre 1,5 et 2 M€ pour la communauté. Toutes les recettes ont été durement affectées. Les recettes tarifaires (centre aquatique, musée, théâtre…) ont presque intégralement disparu. Les recettes domaniales (notamment liées au stationnement) ont drastiquement chuté, la ville n’ayant pas souhaité rançonner les habitants déjà fortement fragilisés. Quant aux recettes fiscales, elles sont fonction d’une assiette qui est fortement mise à mal. C’est par exemple le cas du versement mobilité2, du fait des mesures de chômage partiel.

 

Des dépenses nouvelles se sont par ailleurs ajoutées à cette chute des recettes. Achat de masques, de gel hydro-alcoolique et de désinfectants, personnels administratifs additionnels dans les centres de dépistage et de vaccination : beaucoup des dépenses induites par la crise ont été à notre charge.

 

Comment abordez-vous ce nouveau mandat dans le contexte actuel ? Comment la gestion des finances publiques locales a-t-elle été adaptée au contexte de crise ?

Boris Ravignon : En 2020, ayant pris la crise de plein fouet, nous l’avons essentiellement subie. Quelques économies ont pu être réalisées, par exemple sur des heures supplémentaires non payées du fait de manifestations annulées. Mais rien de significatif.

En revanche pour 2021, nous nous sommes organisés pour chercher davantage d’économies en gestion. 2021 sera une année blanche en termes de recrutements. Une année d’économies et de redressement financier avant de nous mettre à travailler sur les priorités actées durant la campagne. Notre projet de développement de la police municipale est ainsi repoussé.

 

Votre programme d’investissement a-t-il dû être revu ?

Boris Ravignon : Notre niveau d’épargne et notre capacité d’autofinancement étant affaiblis, nous avons dû revoir non pas le contenu des projets, mais leur phasage. Nous avons ainsi reprofilé le déroulement des aménagements prévus sur les berges de Meuse. Et l’aboutissement du projet de Cité des arts de la marionnette, porté par la Ville, (un budget de 12 M€) prendra plus de temps que prévu.

En revanche, certains investissements engagés dès avant la crise sont maintenus. C’est le cas des aménagements réalisés dans le quartier de Mézières, jusqu’ici relativement délaissé, notamment autour de la rénovation profonde d’une place ouverte sur la Meuse, un budget de 7 à 8 M€. De même, nous avons choisi de maintenir notre programme de renouvellement de l’éclairage public, dont nous attendons de 60 à 70% d’économies sur l’électricité consommée.

Ajourner notre programme d’aménagement de 14,5 km de voies vertes cyclables et pédestres n’aurait pas fait sens : nous l’avons maintenu.

La commune est volontaire, comme beaucoup d’autres, pour participer à la relance. Mais il faut que les collectivités, même aidées par l’État, soient en situation financière saine pour investir.

 

La ville et la communauté de communes d’Ardenne métropole investissent massivement dans la transition énergétique. Avec quelles priorités ?

Boris Ravignon : Le sujet des mobilités est notre première priorité. La Ville a lancé un important volet d’investissement en infrastructures avec, outre les pistes cyclables à vocation de transit et de promenade touristique en bords de Meuse (6 M€), des aménagements structurants pour les vélos sur les grands axes de circulation pour 4 M€ : pistes et bandes cyclables, ou à défaut révision de la vitesse de circulation. Un passage de relais entre la ville et la communauté d’agglomération est en train de se faire dans ce domaine, avec l’adoption d’un plan de déplacement urbain intercommunal début 2020, qui prévoit un schéma directeur « vélo » pour la réalisation de nouvelles liaisons entre les communes, l’installation de garages et des aides à l’acquisition de vélos.

Le développement des énergies renouvelables est notre second cheval de bataille, avec quelques projets municipaux en propre, comme la réinstallation de turbines de production hydroélectrique sur le site de la Macérienne, en partenariat avec une start-up locale. La ville participe également à la création d’une SEM dédiée aux énergies renouvelables, qui prendra des participations dans des projets de production d’électricité solaire et par méthanisation, notre ambition étant que Charleville devienne exportatrice de biogaz.

Nous investissons enfin beaucoup sur le tri et la valorisation des déchets. Cela pour éviter que la très forte hausse attendue de la taxe sur les tonnages d’ordures ménagères (la TGAP, taxe générale sur les activités polluantes) ne doive être répercutée sur nos concitoyens. La quantité de déchets va devoir baisser : c’est le sens de notre projet de mise en place d’une tarification incitative, fonction des volumes collectés.

 

Pensez-vous que la crise sanitaire permette d’opérer une accélération des projets relatifs à la transition écologique ?

Boris Ravignon : Non, la crise produit plutôt un frein qu’un effet de booster dans ce domaine. L’effet de souffle de la crise mettra longtemps à se dissiper et il est difficile d’y échapper. C’est donc notre conviction profonde qui nous fait avancer sur ces sujets.

 

Le plan France Relance sécurise-t-il une partie de ces investissements en vue de la reprise ?

Boris Ravignon : Dans le cadre du plan France Relance, l’État a décidé d’augmenter sa contribution au titre de la DSIL3. C’est là une subvention d’équipement facile à obtenir, par l’intermédiaire du Préfet qui est notre interlocuteur habituel et nous connaît bien. Mais l’augmentation exceptionnelle en question ne représente qu’un milliard d’euros sur les 100 milliards que mobilise le plan de relance…

Je suis aussi assez circonspect au sujet des fonds spécifiques créés par le plan. Le Fonds Friches, par exemple, que nous souhaitons mobiliser pour la dépollution de notre friche industrielle de la Macérienne, projet lauréat 2020 du fonds « Dépollution » de l’Ademe, semble fonctionner sur le principe du « premier arrivé, premier servi ». Il est à craindre que les très grandes collectivités, qui disposent de ressources importantes en ingénierie, se montrent les plus réactives pour monter les dossiers complexes exigés et raflent la mise.

 

Quelles sont les mesures prises par le CCAS pour soutenir les Carolomacériens face à la crise ?

Boris Ravignon : Le CCAS est un des rares services publics locaux à être resté actif durant toute la crise. On peut même dire qu’il s’est redéployé, autour du suivi des populations les plus fragiles. Avec la mise en place de nouveaux services publics - le portage des repas à domicile, la livraison de produits de première nécessité ou encore l’accompagnement des personnes âgées pour se rendre dans nos 5 centres de vaccination – le CCAS a efficacement accompagné notre gestion de la crise sanitaire.

 

Votre second mandat avait pour ambition d’inclure davantage les citoyens à la vie démocratique de la commune. Quelles actions avez-vous lancées à cette fin ?

Boris Ravignon : L’érosion de l’intérêt des citoyens pour les affaires municipales n’est évidemment pas propre à Charleville-Mézières. Mais j’avoue avoir été gêné, dès 2014, d’avoir été élu par seulement 55% des habitants, près de la moitié d’entre eux ne s’étant pas déplacés pour voter, alors même qu’il se joue en conseil municipal ou communautaire des questions qui ont des incidences très concrètes sur la vie des gens. La mise en place d’outils de démocratie directe et participative est donc l’un de nos enjeux-clés du mandat. Nos conseils citoyens permettent ainsi de faire émerger des idées, ensuite soumises au vote des habitants par référendum. Dans le cadre de notre budget participatif, doté d’une enveloppe annuelle de 250 000 euros, nous venons de boucler un appel à projets qui a remporté un vif succès. D’ici à l’été, les idées dont la faisabilité technique, juridique et financière est avérée seront mis au vote auprès des Carolomacériens.

 

Comment envisagez-vous l’avenir de votre mandat en conjuguant avec la crise économique ?

Boris Ravignon : Le combat contre le COVID-19 n’est pas terminé. Participer à la gestion de la crise sanitaire et à son issue rapide reste notre priorité numéro un à court terme. C’est le sens de l’important dispositif de dépistage orchestré par la ville en décembre 2020, permettant à 19% de la population de se faire tester avant les fêtes – un petit record national. C’est aussi ce qui nous anime dans notre décision d’investir dans le déploiement de 5 centres de vaccination armés par la commune.

À plus longue échéance, les priorités du mandat sont centrées sur les trois transitions à opérer : transition écologique et transition démocratique comme je viens de l’indiquer, mais aussi transition économique. Le territoire ardennais est très marqué par l’industrie et par son déclin. Il nous revient aujourd’hui de consolider les sites industriels encore en activité et de promouvoir les filières les plus prometteuses. C’est le sens de notre soutien à la recherche et à l’innovation dans le champ de la fabrication additive, une technologie très adaptée aux enjeux contemporains et en phase avec notre tradition du travail des métaux.

La transition économique du territoire ardennais passe aussi par d’importants investissements dans l’enseignement supérieur, à parité avec le Département et la Région. La création d’un campus a permis de voir augmenter la population étudiante de 1900 à 2700 jeunes en moins de 7 ans.

Dans un territoire historiquement très dominé par l’industrie, l’agglomération se tourne vers de nouvelles activités : le tourisme au premier chef, mais aussi des activités de service à forte valeur ajoutée à l’export, avec notamment l’implantation de l’Agence nationale des titres sécurisés.

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(1) Ardenne métropole compte 58 communes membres, parmi lesquelles Charleville-Mézières et Sedan.

(2) Versé par les entreprises sur la base de leur masse salariale.

(3) La dotation de soutien à l’investissement local.