Chacun connaît la définition du terme « déficit » : « ce qui manque pour équilibrer les recettes avec les dépenses » (Petit Robert).
Si la règle d’or ne constitue pas une digue absolue contre le déficit au sens comptable des collectivités, elle le cantonne très efficacement.
Franck Claeys, Délégué adjoint de France urbaine
« Le « résultat » est précisément, par assimilation avec les termes de la comptabilité générale, l’écart entre recettes de fonctionnement (impôts, recettes tarifaires, fonds de concours...) et dépenses de fonctionnement (achats, dépenses de personnel, frais financiers, dotations aux amortissements et aux provisions...).
Le « résultat global de clôture », quant à lui, prend en compte l’ensemble des recettes et des dépenses (investissement et mouvements de dette compris), à quoi s’ajoutent les reports de l’exercice précédent, ainsi que les engagements patrimoniaux pris par la collectivité qui se concrétiseront dans le futur proche.
On peut donc parler, soit de « déficit de fonctionnement » lorsque le résultat au sens précité est négatif, soit de déficit global de clôture lorsque le résultat global de clôture est négatif.
Et en application de la « règle d’or », les collectivités n’ont pas la possibilité, à la différence de l’Etat, de voter un budget en déficit, dans les deux acceptions précitées. C’est ce qui fonde la formule « le déficit budgétaire est interdit aux collectivités ».
Mais il convient de distinguer budget et comptes. Si les budgets sont donc obligatoirement votés en équilibre (voire, dans certaines circonstances, en excédent), il peut s’avérer qu’ils soient exécutés en déficit. C’est-à-dire qu’il peut advenir que le taux de réalisation des dépenses soit supérieur à celui des recettes. Lorsque le solde d’exécution budgétaire, retracée par le compte administratif (ou le compte financier unique) fait apparaître un tel déficit, ce solde est repris au budget supplémentaire, lequel doit lui-même être strictement équilibré et donc dégager les moyens (par diminution des dépenses ou augmentation des recettes initialement prévues) du retour à l’équilibre.
Ce n’est que dans le cas où un solde global négatif en exécution représente plus de 5 % des recettes de fonctionnement (10 % dans les petites communes) que la situation est considérée comme problématique. Cette dernière situation, rare (environ 0,1 % des budgets locaux chaque année), conduit alors à une intervention de la Chambre régionale des comptes, laquelle peut, après avoir, le cas échéant, constaté que la collectivité n’a pas pris de mesures suffisantes pour résorber le déficit dans le budget suivant, demander au préfet de régler et de rendre exécutoire le budget de la collectivité concernée en lieu et place de son exécutif élu ; elle peut même, lorsque la situation ne peut pas être résolue en une seule année (perte importante de recettes fiscales, par exemple, ou encore condamnation contentieuse financièrement significative), mettre en place un plan de redressement pluriannuel.
Aussi, si la règle d’or ne constitue pas une digue absolue contre le déficit des collectivités, elle le cantonne très efficacement. Dès lors, pourquoi la récente médiatisation sur les collectivités qui seraient « responsables de l’aggravation du déficit public » ?
Les collectivités locales sont structurellement en situation de besoin de financement : c’est la traduction naturelle du fait que le recours à l’emprunt étant un élément-clef du financement de leurs investissements.
Luc Alain Vervisch, Directeur des études et de la recherche à La Banque Postale
Luc Alain Vervisch : « Le droit européen introduit une notion supplémentaire dans sa mesure du déficit public national (État, Sécurité sociale et collectivités locales) puisque l’emprunt est alors pris en considération de façon indistincte, qu’il soit utilisé pour financer l’écart entre des dépenses de fonctionnement supérieures aux recettes de fonctionnement (tel est le cas pour le budget de l’Etat) ou qu’il participe au financement d’investissements dont l’usage est réparti sur plusieurs générations d’usagers et qui viennent accroître le patrimoine public (tel est le cas pour les budgets des collectivités, qui ne peuvent en effet emprunter que pour investir). Dès lors aux yeux de l’Etat et des institutions européennes, un budget, équilibré selon le droit en vigueur, mais qui l’est grâce à un recours à l’emprunt plus important que les remboursements de la dette ancienne, se traduira par un besoin de financement, ce dernier venant alors contribuer à dégrader le déficit public au sens maastrichtien*$. »
Franck Claeys : « Aux yeux des collectivités locales, une situation de « besoin de financement » n’est guère critiquable puisqu’elle signifie un recours à l’emprunt – ou, éventuellement, à une diminution de leur « fonds de roulement » qui se traduit de façon quasi-automatique par celle de leur trésorerie - en cohérence avec une durée d’usage des équipements publics locaux ainsi financés. Et un autre élément de la « règle d’or » précitée, qui oblige à couvrir le remboursement des emprunts passés par des recettes définitives (autofinancement ou subventions d’investissement reçues a posteriori) et leur interdit de façon générale d’emprunter pour rembourser a, également, en la matière, fait preuve de son efficacité.
En effet, la dette des administrations publiques locales est dans l’ensemble stable depuis plus de 30 ans, voire en légère diminution, passant de 9,2 % du Produit Intérieur Brut (PIB) en 1987 (« pic historique » si l’on ne tient pas compte des années 2020 et 2021 où le PIB avait chuté fortement du fait de la Covid-19) à 8,9 % en 2023. Sachant que la dette publique totale représente 109,9 % du PIB (fin 2023), la dette locale n’en représente donc que 8,1 % (8,9/109,9), alors même que les collectivités assurent de l’ordre de 70 % des investissements publics civils. Certes, la dette des collectivités a augmenté en euros courants, mais cet accroissement a toujours été corrélé à l’augmentation du PIB : c’est ce qui permet d’affirmer que la dette locale est maîtrisée. Au demeurant, ne le fût-elle pas qu’elle se régulerait progressivement de façon quasi-automatique faute de prêteurs…
Mais aux yeux de Bercy, une situation de « besoin de financement » est actuellement problématique car elle ne facilite pas le retour au « seuil de 3 % du PIB ».
Mais, au fait, qu’attend-on des collectivités ? Un service public de proximité accessible à tous les usagers et financièrement supportable pour tous les contribuables ? Une accélération de l’effort d’investissement en faveur de la transition écologique, indispensable pour respecter nos engagements internationaux, ainsi que l’a documenté la récente étude publiée par I4CE et La Banque Postale ? Ou bien de dégager une capacité de financement afin de compenser, au moins partiellement, le besoin de financement d’un Etat ou des administrations de santé qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que celles imposées aux collectivités locales ? »
Luc Alain Vervisch : « Il est intéressant de constater que depuis la décentralisation, les « administrations publiques locales » précitées (agrégat comprenant les collectivités mais également des établissements publics, tels que la Société des Grands Projets ou Ile-de-France mobilités) sont structurellement en situation de besoin de financement : c’est la traduction naturelle du fait que le recours à l’emprunt étant un élément-clef du financement de leurs investissements (à hauteur, bon an mal an, d’un tiers du total), la dette locale a tendance à s’accroître ; mais, comme on l’a vu, de façon globalement maîtrisée.
Le déficit public au sens de Maastricht mesure la différence entre l'ensemble des dépenses courantes, dépenses d'investissement non financier et transferts en capital qu'elles effectuent, d'une part, et l'ensemble de leurs ressources non financières, d'autre part.
Et si l’on parle de la contribution du monde local dans l’évolution des finances publiques, au cours des dix dernières années écoulées (2014-2023), un besoin de financement des seules collectivités locales n’a été constaté que trois fois : 2014, en lien avec la crise monétaire des fonds souverains et le cycle classique des investissements locaux, dont la majorité se réalise en fin de mandat ; 2020, à cause de la crise sanitaire ; et 2023, année de prise de conscience de l’urgence climatique et donc d’intensification de l’effort d’investissement. Au total sur cette période, elles ont en réalité dégagé une capacité de financement cumulée de 6,1 milliards d’euros.
Certes, l’année 2024 devrait voir, comme l’anticipe la récente Note de conjoncture sur les finances locales, une augmentation sensible du besoin de financement – ce qui ne veut pas dire de la dette locale, puisque c’est la trésorerie qui devrait en couvrir la majeure partie ; mais plutôt que d’un dérapage des dépenses de fonctionnement, elle devrait résulter d’une nouvelle accélération des dépenses d’investissement, habituelle en fin de mandat, et aussi d’une dynamique des recettes moindre qu’espéré. Après quoi, la participation du monde local au redressement des finances publiques devra être compatible avec les exigences de la transition écologique. »
La Note de conjoncture sur les finances locales 2024
La Banque Postale publie sa « Note de conjoncture sur les finances locales » qui anticipe les comptes des collectivités locales françaises en 2024 dans leur ensemble et par niveau. Par ailleurs, elle s’enrichit cette année d’une analyse par politiques publiques, grâce à l’analyse fonctionnelle des balances comptables publiées par la DGFiP.