Emploi, investissement, stabilité fiscale, souveraineté : pour Croissance Plus, le contexte pousse à revenir aux fondamentaux

INTERVIEW

CroissancePlus rassemble près de 500 entrepreneurs engagés pour construire une société entrepreneuriale qui allie sens et croissance. Mais leurs prévisions ne sont plus aussi optimistes que précédemment. Pourquoi ? Quels sont les besoins de ces entreprises ? Comment peuvent-elles contribuer aux enjeux nationaux, notamment la souveraineté ? Les réponses avec Audrey Louail, présidente de CroissancePlus.


« Le manque à gagner du déficit de souveraineté numérique au niveau européen est de 160 milliards d’euros par an dont 32 milliards pour la France. Recourir à des solutions françaises et européennes est un levier économique majeur et un critère d’autonomie stratégique. »

Audrey Louail, Présidente de CroissancePlus, Co-fondatrice et Présidente d'Ecritel, entreprise spécialiste de l’infogérance cloud


Fin juin, les membres du réseau Croissance Plus observaient une diminution de leur portefeuille de commande. C’est une première. Comment peut-on l’expliquer ?

Audrey Louail : « Tous les trimestres, CroissancePlus fait paraitre des enquêtes réalisées auprès de ses adhérents. Dans l’enquête publiée fin juin, 30 % de nos membres ont observé une diminution de leur portefeuille de commandes sur le second trimestre 2024 et donc à terme une baisse potentielle de leur chiffre d’affaires. C’est en effet la première fois que certains de nos adhérents anticipent avec autant de pessimisme leur activité avec une baisse de leur portefeuille et cela alors que paradoxalement la situation économique tend à s’améliorer : les prix de l’énergie sont en baisse, tout comme l’inflation et les taux d’intérêts. La bascule s’est opérée en juin 2024 : les deux précédentes enquêtes témoignaient d’un vrai optimisme pour 2024 avec un carnet de commande stable ou en augmentation pour 82 % des adhérents. C’est l’incertitude politique qui pèse sur les prévisions de nos adhérents, particulièrement l’absence de vision budgétaire et donc de vision stratégique. Et à cette incertitude s’ajoute une inquiétude : que la politique de l’offre*$ soit mise à mal, alors qu’elle est pour CroissancePlus le socle d’un cercle vertueux de croissance. »

  • La politique de l’offre vise à faciliter la vie des entreprises, afin de leur permettre de produire mieux et moins cher et donc créer de la croissance. Les tenants de cette politique de l’offre partent en effet du principe que c’est l’offre qui crée la demande, et non l’inverse. 

Dans un tel contexte, quelles sont les trois préoccupations les plus prégnantes des dirigeants d’entreprises de croissance ?

Audrey Louail : « Le contexte pousse à revenir aux basiques et d’abord l’emploi. La situation française est paradoxale ; avec 7 % de la population active au chômage depuis fin 2021  - un taux historiquement bas dans notre pays, nos adhérents sont confrontés à une pénurie de main d’œuvre. 10 000 postes sont ouverts et non pourvus dans notre réseau, sur des besoins très différents allant des ingénieurs système ou sécurité aux emplois dans la restauration et l’hôtellerie. Nous devons travailler à réconcilier l’offre et la demande. Il faut pour cela, poursuivre les efforts sur l’apprentissage, faciliter le retour à l’emploi avec des primes à l’embauche. Et favoriser la mobilité territoriale, en s’attachant à résoudre la problématique du logement et en tenant compte aussi des autres facteurs de blocages.

Deuxième basique : l’investissement. Notre niveau d’attractivité s’est amélioré mais il doit encore être plus stimulé, notamment sur les territoires. Cela passe par de l’innovation, du financement, une meilleure orientation de l’épargne et de la commande publique. Sans oublier la simplification des normes.

Le dernier basique ?  De la stabilité fiscale, un impératif pour aider les entreprises à se projeter sur le long terme. »

Transition juste, IA, réindustrialisation, souveraineté économique… : comment les entreprises de croissance peuvent contribuer à la réalisation des enjeux nationaux ?

Audrey Louail : « La souveraineté est un enjeu crucial qui a l’avantage de faire consensus et d’être gratuit pour l’Etat. A ce jour il y a une vraie prise de conscience qu’il faut transformer en démarche avec des achats solidaires et une chasse en meute des entreprises telle qu’elle se pratique en Allemagne. De la TPE au grand groupe, les sociétés françaises de toutes tailles doivent travailler ensemble autour de projets pour générer des profits.

Dans le secteur numérique que je connais bien, 75 % des achats en France sont faits auprès d’entreprises américaines. Mario Draghi dans son récent rapport  parle de « faillite numérique » : le manque à gagner du déficit de souveraineté numérique au niveau européen est de 160 milliards d’euros par an dont 32 milliards pour la France. Recourir à des solutions françaises et européennes est un levier économique majeur et un critère d’autonomie stratégique.

La souveraineté économique doit être favorisée dans tous les secteurs d’activité.
On pourrait envisager d’insérer des clauses de proximité dans les appels d’offre pour identifier l’origine géographique des biens et services objets de la transaction.

Or concernant la commande publique, l’accord plurilatéral de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) de 2012 prévoit que le critère géographique ne peut pas être mentionné dans un appel d’offre pour discriminer les répondants.

Pour contourner l’obstacle, les collectivités posent des critères environnementaux et/ou techniques exigeants, qui de fait les conduisent à recourir à des acteurs de proximité. C’est ce qui a été fait dans un récent appel d’offre Rhin-Rhône. Cette démarche qui permet de relocaliser les commandes est très vertueuse pour l’emploi, le territoire, la décarbonation…

CroissancePlus souhaite, sur ce sujet, faire amender la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics en insérant le principe de sauvegarde et de promotion de l’autonomie stratégique européenne et l’ajout d’un nouveau critère possible d’attribution mentionnant l’origine géographique de la solution proposée par le candidat.  

Enfin, la souveraineté doit aussi jouer dans les financements publics, à l’instar de ce qui a été fait pour les Jeunes Entreprises Innovantes (JEI) où des critères environnementaux et des exigences quant aux investissements ont été posés avec en contrepartie le fléchage de la commande publique vers des entreprises de proximité. »

De quoi les entreprises de croissance ont besoin pour accélérer, notamment sur ces sujets nationaux et donc la souveraineté ?

Audrey Louail : « Pour se développer et s’approprier ces enjeux, une entreprise a d’abord besoin d’hommes et de femmes. La réussite de nos entreprises ne peut être que collective, c’est pour cela que CroissancePlus attache une grande importance au partage de la valeur, à la massification de l’actionnariat salarié permettant d’aligner les intérêts de chacun autour du projet entrepreneurial. Il crée une « préférence pour le futur » qui permet à chacun de bénéficier des fruits de la croissance de l’entreprise, tout en misant sur son avenir et sa pérennité.  D’ailleurs, le partage de la valeur auprès des collaborateurs au-delà des minimums légaux est un critère essentiel pour adhérer à notre réseau.

Ensuite une entreprise a besoin d’une fiscalité adaptée et de temps. Il faut du temps pour réaliser les investissements et les transformer en croissance, pour devenir une ETI. Mais le temps long de l’entreprise n’est pas toujours aligné avec le temps court de la finance de marché : parfois des dirigeants sont contraints de vendre faute de moyens pour refinancer.

Il faut revenir à des fondamentaux et à une corrélation entre finance d’entreprise et finance de marché. La bonne nouvelle est qu’à côté des fonds qui demandent des taux de rendement internes sur du court terme, on voit apparaitre depuis plusieurs années des investisseurs, des financeurs capables d’accompagner sur un temps plus long. C’est d’ailleurs la démarche, très intelligente, de La Banque Postale. » 

Solutions associées

Financer vos investissements

Financement

Parce que votre entreprise évolue, il est parfois nécessaire d’agrandir vos locaux ou d'acheter de nouveaux actifs de production.

En savoir plus

Financer votre trésorerie

Financement

La Banque Postale vous accompagne dans l'évolution de votre entreprise : financer un besoin ponctuel ou saisonnier, ou de faire face à une situation difficile.

En savoir plus

Articles associés