Interview

L’économie française résiliente au premier trimestre 2023 : les raisons et les perspectives

Fin 2022, une récession était envisagée pour l’Europe pour l’année à venir. Mais cette projection semble s’éloigner pour l’Union européenne et l’économie nationale s’est montrée résiliente au premier trimestre 2023. Dans l’entretien qui suit, Alain Henriot, responsable des Etudes économiques au sein de La Banque Postale, décrypte les ressorts de cette conjoncture.

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Portrait d'Alain Henriot

La baisse du prix de gros de l’énergie atténue l’inquiétude et participe à redonner un peu d’optimisme aux entreprises françaises.

Alain Henriot — Responsable des Etudes économiques au sein de La Banque Postale

Annoncée comme une année de récession, 2023 s’est ouverte en France avec un premier trimestre où le PIB progresse de 0,2 % comparé au trimestre précédent. Pour quelles raisons ?

Alain Henriot : « En effet on note une très légère croissance qui pourrait s’amplifier sur le reste de l’année, autour de 0,5 % à 1 % au second semestre.
Parmi les facteurs explicatifs récents, il y a d’abord la baisse du prix de l’énergie sur le marché de gros depuis fin 2022. Au niveau mondial, on le constate en termes d’inflation mais en France, cette baisse doit encore se diffuser aux entreprises et aux ménages. Toutefois le recul du prix du gaz sur le marché de gros a déjà permis à certains acteurs économiques dont des usines de verrerie de se relancer, leurs coûts de production étant redevenus supportables. La baisse du prix met un certain temps à produire ses effets auprès de tous les clients finaux car les opérateurs secondaires peuvent acheter à terme : les prix appliqués aux entreprises peuvent encore être supérieurs aux prix de gros actuels. Comparé aux autres pays, la spécificité française tient aux tarifs réglementés. Ceux-ci ont augmenté en février 2023 pour le gaz et l’électricité alors qu’ailleurs les prix commençaient à baisser. Mais retenons que cette baisse du prix de gros de l’énergie atténue l’inquiétude et que cela participe à redonner un peu d’optimisme aux entreprises françaises. »

La réouverture de l’économie chinoise a-t-elle contribué à la résilience française ?

Alain Henriot : « Pas autant que l’on pouvait l’espérer car cette réouverture de la Chine a surtout débuté par une redynamisation de la consommation interne. C’est à partir de mars que la production industrielle semble avoir redémarré. Depuis la réouverture progresse et si, à terme, elle peut tendre le marché des matières premières, elle opère d’abord un retour à la normale des contraintes sur les délais de production. Le prix du transport maritime a lui retrouvé son niveau de 2019. Cela donne de la fluidité à l’économie mondiale, en particulier pour l’activité industrielle. »

Y-a-t-il une ou des particularités françaises qui explique(nt) la résilience de ce début d’année ?

Alain Henriot : « Le marché du travail reste très dynamique et la croissance, même si elle s’est modérée, est demeurée suffisante jusqu’ici pour absorber les entrants sur le marché du travail. Deux indicateurs sont intéressants : 52 % des entreprises seraient touchées par des difficultés de recrutement selon la Banque de France. Et le chiffre du chômage, à 7,2 % de la population active, reste haut comparé à celui d’autres pays. Il y a donc encore des marges de manœuvre.

Autre spécificité française qui peut faire débat : l’inflation. Aux Etats-Unis et en Europe, le pic est passé, pas en France. Nous sommes sur un plateau et ce décalage s’explique en partie par l’augmentation évoquée précédemment des prix des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité quand les prix de gros baissaient. Le reflux devrait se matérialiser au second semestre. »

Pourquoi ce qui s’annonçait comme une crise financière possible avec la faillite de la banque SVB ne s’est pas produit ?

Alain Henriot : « La faillite de cette banque américaine positionnée sur la Tech a généré des turbulences financières mais les banques centrales, tirant les leçons de la crise de 2008, ont bien et vite réagi en mettant à disposition des liquidités et en validant rapidement le rachat par UBS du Crédit suisse. Le marché boursier a pris acte de cette réaction ; les indices boursiers se sont vite repris.

Et si le niveau de valorisation du secteur bancaire reste plus bas qu’avant la faillite de la banque SVB, la crise a été contenue dans le temps et sur certains acteurs. Le CAC 40 par exemple est au plus haut. »

Pour le reste de l’année 2023, en France et dans le monde, quels facteurs sont à surveiller ?

Alain Henriot : « En France, avec une croissance entre 0,5 % et 1 %, un fléchissement de la création d’emplois est possible. A noter aussi que l’indice de climat des affaires, après avoir bien résisté au premier trimestre 2023, recule légèrement en avril.

Plus globalement, je retiens trois points de vigilance : d’abord, les effets de la remontée des taux sur l’immobilier résidentiel et non résidentiel. Ensuite, une incertitude : les tensions sur l’énergie sont-elles vraiment derrière nous ? Prenons le cas du pétrole : par un accord récent, les pays de l’OPEP et la Russie ont convenu de réduire la production. De plus, l’Arabie saoudite se rapproche de l’Iran et a des intérêts communs avec la Russie. Cette dimension géopolitique peut jouer sur le prix du pétrole. Enfin, l’évolution de la situation économique aux Etats-Unis est délicate à anticiper. La dépense de la sur épargne liée à la crise sanitaire arrive à son terme. L’équilibre est le suivant : côté positif l’inflation est en train de se modérer, côté négatif, les taux d’intérêt ont beaucoup augmenté dans un pays où le taux d’endettement est important. »

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