Interview

« Le défi aujourd’hui est de pérenniser les transformations bénéfiques induites par la crise »

Pour l’hôpital, le « monde d’après » ne doit pas ressembler à ce qu’il était avant la crise sanitaire. Frédéric Valletoux, maire de Fontainebleau et président, depuis septembre 2011, de la Fédération hospitalière de France (FHF), tire les leçons d’une période d’exception et appelle à pérenniser les transformations opérées durant la crise.

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Portrait de Frédéric Valletoux

La crise sanitaire a contribué dans un certain nombre de cas à remettre en cause des projets de fermeture de lits d’hospitalisation, pour repenser globalement l’offre de soins en fonction des besoins de la population et de la nécessité de répondre aux crises sanitaires.

Frédéric Valletoux — Maire de Fontainebleau et président de la Fédération hospitalière de France (FHF)

La crise sanitaire génère-t-elle de l’innovation à l’hôpital ? À quelles transformations l’oblige-t-elle ?

Frédéric Valletoux : La crise sanitaire, si elle ne les a pas créés, a accéléré le développement de projets innovants à l’hôpital. Ont été concernées l’innovation technique (par exemple avec l’obligation faite aux établissements de trouver des équipements de protection individuelle) et l’innovation organisationnelle, en simplifiant les processus d’arbitrage et de décision.

La FHF a questionné ses adhérents sur les innovations et transformations qu’ils ont mis en œuvre à l’occasion de la crise sanitaire.

Les résultats de cette enquête sont assez éloquents :

  • 76% des établissements déclarent avoir fait évoluer leur organisation interne, par exemple en transformant des unités de soins existantes en unités de prise en charge de malades du Covid en médecine ou en soins critiques. Ces innovations concernent aussi l’organisation matérielle et les procédures de travail, avec l’usage de la visioconférence pour le travail en commun et les staffs pluridisciplinaires, l’essor du recours à la télémédecine, le développement du télétravail dans les postes administratifs… 
  • 70% des établissements citent la coopération avec d’autres acteurs dans la gestion de crise, notamment la concertation accrue avec la médecine de ville, l’articulation des parcours et le soutien au secteur médico-social.
Enfin, un peu plus d’un établissement sur quatre (25%) évoque une transformation des relations avec les collectivités locales, permettant notamment une amélioration du suivi des patients fragiles au domicile ou la mise à disposition de locaux pour le dépistage et la prise en charge des patients.

Qu’est-ce que la crise sanitaire a changé dans les projets hospitaliers ? Quels recentrages ? Quels investissements ajournés ou reportés ? Quelles nouvelles priorités ?

Frédéric Valletoux : Du fait de l’impact de la crise, des opérations d’investissement prévues en 2020 ont dû être reportées, compte tenu du manque de disponibilité des équipes, totalement concentrées sur la gestion de crise.

La crise sanitaire a contribué dans un certain nombre de cas à remettre en cause des projets de fermeture de lits d’hospitalisation, pour repenser globalement l’offre de soins en fonction des besoins de la population et de la nécessité de répondre aux crises sanitaires. Cette nécessité de « faire le point » sur les capacités à l’hôpital au regard des besoins des populations est une demande de longue date de la FHF.

Qu’est que la crise sanitaire a transformé dans les modes d’organisation de l’hôpital, et dans ses modes de coopération avec son écosystème (médecine de ville, Ehpad, élus locaux…) ?

Frédéric Valletoux : La crise a obligé tout le système de santé à accélérer très fortement et rapidement une transformation majeure essentielle : la coopération et la coordination entre tous les acteurs de santé d’un territoire. Le défi aujourd’hui est de pérenniser cette transformation bénéfique, en modifiant radicalement le cadre de ce système de santé qui peut parfois avoir tendance à engendrer de la concurrence et conduit à raisonner en silos.

S’il y a une leçon de la crise, c’est qu’une fois libérés de la contrainte financière lorsque les préoccupations de tous se concentrent exclusivement sur le soin à la population, les professionnels de santé développent spontanément des solutions innovantes qui améliorent la qualité des prises en charge et l’efficacité des parcours de santé, à l’échelle territoriale.

Le contexte très particulier, qui a permis l’émergence de ces innovations et transformations, a été cependant extrêmement coûteux en vies humaines, en renoncement aux soins non-Covid, mais aussi en poids sur les finances publiques. Il s’agit d’un contexte d’exception. Comment pérenniser ces innovations, et conserver cet état d’esprit, dans un contexte où les finances publiques seront bientôt de nouveau très contraignantes ?  Nous observons que le Ségur de la Santé de juillet 2020 n’a pas transformé le système de santé et interpellons sur la nécessité de changements profonds, en préservant absolument le bouclier sanitaire qu’est l’hôpital public, qui prend en charge 83% des patients hospitalisés pour COVID.

Une accélération de la transformation numérique est-elle en train de s’opérer ?

Frédéric Valletoux : Oui, on observe cette accélération avec l’augmentation du recours à la télémédecine, notamment au cœur de la crise. Là encore, nous nous interrogeons sur les moyens de pérenniser cette transformation, car l’usage de la télémédecine a fortement reculé dès la fin du confinement. Ce n’est pas un outil qui a vocation à se substituer à la consultation physique, mais elle constitue probablement un complément, une alternative, et son usage doit être précisé en ce sens.

D’autres pratiques comme la téléconférence, ou encore le partage accru d’informations par voie numérique entre les professionnels, et avec les patients, ont vocation à se pérenniser au niveau d’usage qui a été le leur pendant la crise, et à se développer encore. Mais dans ce domaine, les progrès sont lents. Il faut sans cesse ajuster la solution technique aux volontés des utilisateurs, sinon les outils ne sont pas appropriés.

Il faut donc développer les usages et travailler précisément aux besoins exprimés par les utilisateurs finaux, et renforcer l’accompagnement nécessaire au déploiement de ces outils.

Le plan de relance est-il susceptible d’intensifier la mobilisation du monde hospitalier en faveur de la transition énergétique ? Quels sont les chantiers prioritaires dans ce domaine ?

Inexplicablement, les autorités publiques considèrent que l’hospitalisation publique est exclue du volet « transition énergétique » du plan de relance. La FHF a pourtant proposé un certain nombre de mesures afin d’accélérer cette transition. Le parc immobilier hospitalier est en effet très vaste et souffre d’une certaine vétusté.

Le parc hospitalier, c’est :

  • 75 millions de mètres carrés ;
  • 320 kWh/m2/an ;
  • 12% de la consommation énergétique du secteur tertiaire ;
  • 1200 litres d’eau par journée d’hospitalisation ;
  • 700 000 tonnes de déchets (1 tonne par lit) ;
  • 3% de la production nationale de déchets.

C’est pourquoi la FHF a demandé une réflexion nationale pilotée au plus haut niveau pour accélérer la transition dans ces établissements ; et les réponses tardent à venir.

Malgré le manque d’accompagnement et l’absence de volonté gouvernementale concernant la transition énergétique du secteur sanitaire et médico-social, de nombreux établissements ont mené des projets. La FHF continue d’insister pour que le volet transition énergétique et développement durable soit systématiquement intégré dans les projets d’investissement et leur financement.

Où en est le projet d’une reprise de la dette hospitalière ? Quels hôpitaux y seront éligibles ? Qu’attendez-vous de cette reprise ?

Le projet de reprise de dette a été largement réorienté à l’occasion de l’examen du PLFSS 2021(1) afin de le transformer en aide à l’investissement. Cette réorientation correspond à la demande initiale de la FHF qui appelait à un plan de relance de l’investissement et non à une reprise de dette.

L’enveloppe de 13 Md€ est donc scindée en deux parts égales :

  • Une enveloppe de 6,5 Md€ d’assainissement financier ventilée entre régions sur la base d’indicateurs principalement financiers (à 90%) et populationnels (10%). Cette enveloppe est pré-fléchée au niveau national par établissement à hauteur de 80%. Les 20% restants sont à la main des ARS. Les critères financiers et patrimoniaux (capacité d’autofinancement, taux d’investissement) sont prédominants. Cette enveloppe pourra évidemment être un levier de reprise des investissements courants.
  • Une enveloppe de 6,5 Md€ d’aide aux projets d’investissement, sans lien avec la dette, même si les établissements endettés (qui émargeront à la première enveloppe) pourront aussi y émarger. La nouveauté, c’est que des établissements peu ou pas endettés mais ayant de gros projets d’investissements pourront en bénéficier, ce qui n’était pas le cas dans le dispositif initial de reprise de dette.

Ces deux enveloppes restent réservées aux établissements ayant une mission de service public hospitalier. Les ARS doivent avoir bouclé leur plan régional de relance des investissements pour l’automne 2021.

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(1) Projet de loi de financement de la sécurité sociale, voté tous les ans à l’automne.