Article

Comprendre les mécanismes de l'inflation actuelle et à venir

La forte reprise économique et la flambée des prix énergétiques expliquent en grande partie l’inflation actuelle (et à venir). Cette inflation est-elle structurelle ou transitoire ? Alain Henriot, responsable des Etudes économiques au sein de La Banque Postale, décrypte cette dynamique.

  • #economie
Lecture 2 min
Portrait d'Alain Henriot

Le prix du gaz a flambé surtout en Europe du fait de la demande, mais aussi parce que l’offre, notamment en provenance de la Russie, n’a pas suivi.

Alain Henriot — Responsable des Etudes économiques au sein de La Banque Postale

Proche des 7 % aux Etats-Unis et des 5 % dans la zone euro en 2021, l’inflation telle que modélisée pour 2022 devrait se tasser à 4,2 % aux Etats-Unis et 2,5 % en zone euro en 2022 (d’après Consensus Reuters). Souvent présentée comme transitoire, c’est-à-dire en lien avec la brutale et forte reprise, l’inflation semble donc finalement perdurer. Alain Henriot, responsable des Etudes économiques au sein de La Banque Postale, éclaire les mécanismes de cette inflation atypique, née d’une crise très particulière et qui a surpris les économistes. « Les goulets d’étranglements en constituent bien évidemment la cause première : le prix du transport des containers a flambé, alors que le nombre de bateaux n’a pas changé. Et ces goulets d’étranglements persistent, car la reprise est là pour tous ». Les chiffres de production industrielle mondiale 2021 en témoignent (cf. graphique ci-contre). Mais pour autant, « cette inflation reste pour une part transitoire : si les besoins sont très forts à l’instant T, à terme la croissance reviendra sur un rythme plus normal, ce qui entrainera mécaniquement un ralentissement de l’inflation ».

Graphique représentant la production industrielle mondiale et le commerce mondial de 2018 à 2022

Coût de l’énergie : un choc et des projections peu sereines

Autre cause majeure de cette inflation : le choc énergétique, avec d’abord la forte remontée des prix du pétrole corrélée à la réticence des pays producteurs à augmenter leur production : « monté à 85 dollars à la mi-octobre 2021, le prix du baril de Brent était avant la crise sanitaire à 65 dollars, contre 10 dollars au plus fort de la crise. Il oscille désormais entre 70 et 80 dollars. Or, les chiffres d’inflation sont souvent présentés en mesurant l’évolution sur un an. Pour que les prix de l’énergie continuent à augmenter autant que ces derniers mois il faudrait donc que le prix du pétrole dépasse très largement les 100 dollars le baril, ce qui paraît peu probable au regard de l’équilibre du marché. 

Là aussi l’inflation apparait donc comme transitoire, les prévisions tablant début 2022 sur un excédent de l’offre. La nouvelle donne ne vient donc pas du pétrole, mais du gaz et de l’électricité : « le prix du gaz a flambé surtout en Europe du fait de la demande, mais aussi parce que l’offre, notamment en provenance de la Russie, n’a pas suivi. Et ici les projections ne sont pas sereines ». Cela a entraîné une hausse du coût de production de l’électricité pour les centrales thermiques, dont le prix a lui aussi grimpé. Une hausse qui s’explique aussi en Europe par le durcissement des conditions du droit à polluer d’où une augmentation du coût de la tonne de carbone.

A défaut d’une normalisation, un ajustement des salaires ?

Les entreprises vont devoir traduire dans leurs prix les augmentations de matières premières et des composants. Ce qui se fera dans un processus étalé dans le temps, à l’instar de ce qui se négocie en ce moment pour les prix alimentaires. Ensuite, trois hypothèses sont possibles. La première est celle d’un retour au calme courant 2022 :  le rattrapage économique se poursuit, avec un rythme d’inflation qui se tempère, du fait de l’atténuation de la désorganisation occasionnée par la crise sanitaire et une modération de certains coûts, dont ceux des semi-conducteurs. « Mais ces prix remontent depuis peu, aussi ce scénario ne peut être le seul retenu ».

A défaut de normalisation, les répercussions sur les chaines de production de la hausse des prix énergétiques (et du coût des matières premières) apparaissent comme incontournables, et s’ouvrent alors deux hypothèses. L’une est celle d’un ajustement des salaires. Elle s’appliquera vraisemblablement aux Etats-Unis qui s’approchent d’une situation de plein emploi, lié notamment au retrait de plus de 2 millions de personnes du marché du travail. « Cela induit un fort pouvoir de négociation des travailleurs, qui se traduit déjà sur les heures supplémentaires ». L’autre hypothèse, celle d’un ajustement mesuré et partiel des salaires, devrait concerner l’Europe, où les taux de chômage, qui sont revenus à leur niveau d’avant crise, ne sont pas suffisamment bas pour entrainer une situation très favorable aux travailleurs, d’autant qu’à quelques exceptions près, par exemple le Smic français, « les mécanismes d’ajustement automatique des salaires aux prix ont disparu. On se dirige donc vers une perte du pouvoir d’achat même si les salaires venaient à augmenter ».

La période d’assez faible inflation est très certainement derrière nous

Toutefois, le risque de voir s’installer une inflation durable, à l’instar de celle des années soixante-dix, est « peu probable en Europe, estime Alain Henriot. Certes la période d’assez faible inflation semble derrière nous et cela s’explique par différents facteurs dont des marchés du travail plus tendus ». Parmi les autres facteurs proposés par l’expert, citons :

  • les performances techniques des semi-conducteurs qui s’améliorent avec un coefficient plus faible que précédemment, les prix des biens à haute valeur technologique baisseront donc moins ;
  • la part des importations de pays à bas coûts (par exemple pour le textile) ne va plus augmenter autant que ces dernières années car elle est déjà très élevée ;
  • enfin le coût de l’énergie va être de plus en plus élevé dans les deux ou trois décennies à venir : certaines industries ne peuvent se passer des énergies carbonées quand le droit à polluer va être de plus en plus cher. Et pour celles qui sont engagées dans la transition énergétique, le coût de l’énergie nouvelle est plus important que celui de l’énergie traditionnelle. 

Les chiffres avancés pour 2022 sont des moyennes annuelles et Alain Henriot incite lui à donner plus d’importance à l’évolution sur un an glissant, c’est-à-dire à comparer par exemple la projection du quatrième trimestre 2022 au quatrième trimestre 2021 : « cela permet de définir si la dynamique d’inflation est forte ou transitoire. En l’état, elle est transitoire selon les données de la Banque centrale européenne qui prévoit moins de 2 % fin 2022... 

Décryptez l'actualité et les grandes tendances économiques avec les études de La Banque Postale.

À noter

Au regard des spécificités de la situation Outre-Atlantique, la Réserve fédérale américaine (FED) s’engage dans une normalisation en réduisant les achats d’actifs et en prévoyant deux à trois hausses des taux directeurs : « l’euro risque de s’affaiblir encore plus contre le dollar ». A anticiper donc pour les entreprises françaises présentes sur ce marché.

Ceci pourrait aussi vous intéresser