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Pacte Dutreil, BSA, apport-cession : quel dispositif (méconnu) pour quelle cession d’entreprise familiale ?

Le marché des cessions de PME retrouve du dynamisme en 2024 et particulièrement pour les entreprises familiales. Mais à qui céder ? Et sur quel(s) dispositif(s) s’appuyer ? Se poser les bonnes questions au bon moment permettra au futur cédant d’identifier le schéma le plus pertinent. D’autant que certains outils et notamment le pacte Dutreil, les bons de souscription d'actions (BSA) ou encore l’apport-cession, sont souvent méconnus.

  • #cession reprise
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Portrait de David Dumont

Un vrai schéma de reprise doit cumuler les options et peut, outre des BSA, comprendre un dispositif d’apport-cession au gré des projections professionnelle et personnelle du cédant.

David Dumont — Directeur de l’ingénierie patrimoniale - Louvre Banque Privée

En 2024, le marché des cessions de PME s’annonce dynamique. En effet, si l’année 2023 a marqué le pas en la matière, avec 964 opérations contre 1080 en 2022 et 1172 en 2021, la stabilisation du marché observée fin 2023 présage une reprise des transactions.

Une dynamique confirmée par les premiers mois de 2024, marquée par une croissance des transactions de plus de 5 %. La baisse des taux, l’absorption du choc des hausses des prix des matières premières et de l’énergie, ainsi que la poursuite des opérations de transmissions d’entreprises familiales pourraient permettre de confirmer cette tendance.

De fait, dans la décennie à venir, plus d’une PME et ETI familiale sur deux se trouvera en situation de transmission. Or, près de la moitié des chefs d’entreprises familiales de 60 à 69 ans n’ont pas formalisé de plan de succession.

Zoom sur quelques questions à se poser pour bien transmettre ou bien céder son entreprise

Souvent envisagée « comme un passage de relais à un instant ’t’alors que c’est un processus long » pour reprendre les propos d’Elodie Le Gendre, fondatrice de Sevenstones, société de conseil en fusion et acquisition smid cap, la transmission d’une entreprise se prépare . La première étape étant de décider si oui ou non le dirigeant souhaite transmettre, c’est à dire céder à titre gratuit, par donation le plus souvent, à un ou ses enfants en règle générale. Ou vendre. Si cette dernière option est retenue, le(s) repreneur(s) envisagé(s), tiers au cercle familial, est souvent partie prenante de l’entreprise, un cadre dirigeant. Autre question que le dirigeant doit se poser : souhaite-il, après la cession de son entreprise, prendre sa retraite ou poursuivre sa vie d’entrepreneur ? Quelles que soient les réponses à ces questions, qui ne sont pas exhaustives, il faut anticiper afin de préparer au mieux les repreneurs et bénéficier notamment d’avantages fiscaux.

Transmission à titre gratuit d’une entreprise : le Pacte Dutreil, un incontournable

Ce dispositif vise à faciliter la transmission d’entreprise en allégeant la fiscalité sur les donations (si la transmission a lieu du vivant du dirigeant) ou sur les successions (si elle a lieu après son décès). Premier impératif donc : une transmission soit une cession à titre gratuit. Si le plus souvent celle-ci se fait au bénéfice d’un ou plusieurs descendants du dirigeant, ce n’est pas une exigence légale : une transmission à titre gratuit au profit d’un salarié peut aussi bénéficier de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit du pacte Dutreil.

Avantages fiscaux du pacte Dutreil*$ et conditions pour en bénéficier

  • Sous réserve des dispositions fiscales en vigueur. La réglementation est susceptible de modification à tout moment.

Si le dirigeant envisage une transmission à titre gratuit de son entreprise, le régime d’exonération de 75 % de droits de mutation à titre gratuit (donation ou succession) du pacte Dutreil peut s’appliquer*$. La taxation portera alors sur seulement 25 % de la valeur des parts ou actions transmises. Et le montant des droits de mutation à titre gratuit à payer sera réduit de moitié si le donateur à moins de 70 ans au moment de la donation et si les titres sont donnés en pleine propriété. Pour David Dumont, directeur de l'ingénierie patrimoniale de Louvre Banque Privée, « le bilan coûts/avantages de ce dispositif est exceptionnel. Avec des taux globaux d’imposition allant de 5,62 % en cas de démembrement à 11, 25 % pour une transmission en pleine priorité, le pacte Dutreil fait en quelque sorte de la France un paradis fiscal de la transmission familiale ».

Pour que le régime d’exonération puisse jouer, les associés (tous ou en partie) doivent prendre en amont de la transmission, un engagement collectif - celui de conserver les titres pendant deux ans- et un engagement individuel supplémentaire de conservation des titres - chaque bénéficiaire (héritier, donataire ou légataire) s’engage pour une durée minimum de quatre ans à compter de la fin de l’engagement collectif.

De plus, l’un des associés signataires de l’engagement collectif de conservation ou l’un des donataires, héritiers ou légataires doit exercer dans la société une fonction de direction (ou son activité professionnelle principale s’il s’agit d’une société de personnes), pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission.

  • Sous réserve des dispositions fiscales en vigueur. La réglementation est susceptible de modification à tout moment.

Bon à savoir

En cas de donation au profit de salariés ou de proches poursuivant l’exploitation pendant au moins cinq ans, il existe un autre dispositif avantageux, celui de l’article 790 A du CGI qui consiste à appliquer un abattement de 500 000 € sur la part représentative du fonds ou de la clientèle dans la valeur totale des titres transmis. Le bénéfice de ce dispositif est soumis à des conditions strictes mais compatibles avec le pacte Dutreil : les deux dispositifs peuvent donc se cumuler lors d’une transmission d’entreprise à un salarié, qu’il soit enfant ou non du dirigeant.

L’engagement collectif de conservation : trois spécificités à connaitre

  • Il doit d’abord porter sur à minima 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour une société non cotée et sur au moins 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote pour une société cotée.
  • Par ailleurs, si aucun engagement collectif n’a été conclu avant la transmission, le bénéfice du régime fiscal lié au pacte Dutreil peut s’appliquer si :
    • l’engagement collectif est « réputé acquis » : tel est le cas lorsque les titres transmis sont détenus depuis plus de 2 ans par le défunt ou le donateur pour une portion au moins égale aux seuils cités plus haut et si celui-ci a exercé ou exerce depuis plus de 2 ans son activité professionnelle principale ou une fonction de direction dans la société ;
    • les parts ou actions transmises par décès n’ont pas fait l’objet d’un engagement collectif de conservation, et que les conditions d’un engagement collectif réputé acquis ne peuvent être remplies, un ou des héritiers ou légataires peuvent entre eux ou avec d’autres associés conclure un engagement collectif de conservation des titres dans les six mois qui suivent la transmission. 

Les sociétés éligibles au Pacte Dutreil et loi de finances pour 2024

La loi de finances pour 2024 a tranché une question qui opposait l’Administration fiscale aux deux plus hautes juridictions françaises, le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel sur les activités éligibles au Pacte Dutreil. Seules les entreprises dites « opérationnelles » peuvent désormais bénéficier de l’exonération partielle de droits de transmission. Comme l’a précisé la loi de finances 2024, il s’agit là des entreprises exerçant une activité économique de type industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Ce qui exclut par exemple les sociétés ayant pour objet la gestion de patrimoine immobilier ou mobilier. En revanche, la loi de finances pour 2024 a validé l’éligibilité au dispositif des holdings dites mixtes, c’est-à-dire aux holdings qui exercent une activité à la fois opérationnelle et civile sous réserve que l’activité opérationnelle soit prépondérante. « En tranchant ainsi, la loi de finances a sécurisé les opérations, souligne David Dumont. Avant cette clarification, la potentialité d’une annulation du pacte Dutreil pour non-éligibilité de l’activité était une épée de Damoclès. Le risque est désormais bien moindre ».

Cession de l’entreprise à un ou des cadres : intégrer les BSA au montage

« Alternative à la cession ou à la transmission pure et dure, l’ouverture du capital à des managers est une piste intéressante et pour laquelle différents outils sont à la disposition du dirigeant » indique le directeur de l’ingénierie patrimoniale de Louvre Banque Privée. Ces outils pensés souvent pour récompenser ou fidéliser les salariés peuvent être utilisés pour préparer une cession. L’arbitrage doit se faire en tenant compte de la structure de l’entreprise, des conditions spécifiques à chaque dispositif, du coût et de la fiscalité applicable. Parmi ces outils, les bons de souscriptions d’actions s’avèrent particulièrement intéressants pour la cession des sociétés non cotées, notamment si la reprise se fait par un schéma de LBO.

Le mécanisme des bons de souscription d'actions (BSA) 

Les BSA peuvent être attribués à toute personne, salariés de la société, dirigeants ou de tiers à la société. Ce sont des titres qui permettent à leur bénéficiaire détenteur de souscrire une ou plusieurs actions, pendant une période donnée, dans une proportion et à un prix fixés définitivement le jour où cette option est ouverte. Les BSA ne sont pas attribués gratuitement : le bénéficiaire achète ces bons/options qui lui donnent la possibilité de devenir actionnaire, à l'avenir.

Les gains réalisés lors de la cession d’actions sont en principe soumis au Prélèvement Forfaitaire Unique (parfois désigné « flat tax ») de 30 %.

Mais la fiscalité applicable ne se limite pas aux gains : ainsi la différence entre le prix proposé au bénéficiaire et la valeur réelle de l’action fait aussi l’objet d’imposition.

Bon à savoir

Un pacte d’associés ou d’actionnaires accompagnera utilement cette ouverture du capital afin d’organiser le nouveau fonctionnement de l’entreprise, en précisant notamment les conditions d’exercice du pouvoir ou les modalités d’entrée et de sortie du capital. Distincte des statuts, cette convention est confidentielle : seuls les signataires du pacte ont connaissance de celui-ci et ses dispositions sont inopposables aux tiers et aux actionnaires non parties au contrat.

La place des BSA dans une reprise d’entreprise

La voie d’une cession d’entreprise peut s’articuler avec un schéma de LBO (Leverage by out), une technique de financement consistant au rachat d’une société par un effet de levier via une nouvelle société dite « holding » vouée à acquérir la société cible. Cet effet de levier permet à la société acquéreuse de minimiser son apport personnel et d’assurer le remboursement du financement par le versement de dividendes de la cible à la holding. « Un schéma de reprise par LBO permet plusieurs options : soit une vente simple avec holding et un effet de levier classique (emprunt bancaire) ; soit une vente avec dette d’acquisition et instruments dérivés, c’est-à-dire un LBO avec BSA ; soit encore la constitution d’une holding de reprise avec dette de reprise, BSA et un investisseur financier tel qu’un fonds d’investissement, énumère David Dumont. L’option 2 est à considérer s’il y a des managers à intégrer à cette cession-reprise et l’option 3 si ces managers n’ont pas assez de liquidités disponibles ». Et le directeur de l’ingénierie patrimoniale de Louvre Banque Privée d’indiquer : « un vrai schéma de reprise doit cumuler les options et peut, outre des BSA, comprendre un dispositif d’apport-cession au gré des projections professionnelle et personnelle du cédant ».

L’apport-cession pour le cédant qui veut poursuivre sa vie d’entrepreneur

En plus que de réfléchir au type de cession, aux repreneurs possibles et souhaitables, le dirigeant doit aussi tenir compte de son propre avenir : s’il envisage de continuer sa vie d’entrepreneur après la cession de son entreprise, alors l’apport-cession fait sens. Dans ce dispositif, les titres de la société à céder sont apportés à une holding qui cèdera les titres de sa fille au repreneur. Lorsque l’apport est fait à une société soumise à l’impôt sur les sociétés contrôlée par l’apporteur, la plus-value d’apport bénéficie d’un report d’imposition et à terme d’une dispense totale d’imposition, sous réserve de réinvestir au moins 60% du fruit de la vente dans les 24 mois suivants celle-ci. « Mais si la holding garde les titres plus de trois ans, à la vente de ceux-ci, il n’y a plus d’obligation de réinvestissement des fonds engagés, pointe David Dumont. Là encore comme dans le pacte Dutreil, le délai de conservation joue un rôle important ».

On le voit la cession d’une entreprise familiale est un sujet complexe tant d’un point de vue humain que fiscalement, juridiquement, financièrement. Il nécessite donc du temps et des expertises.

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