Interview

Ce que le mois d’août 2024 a changé dans l’économie mondiale

Si les JO ont marqué le mois d’août 2024, celui-ci fut aussi le témoin de deux événements économiques majeurs. Après un quasi-krach boursier mondial en début de mois, l’annonce d’une prochaine baisse des taux directeurs américains a redonné des couleurs aux marchés financiers. Plongeons avec Alain Henriot, responsable des Etudes économiques au sein de La Banque Postale, dans le grand bain économique avec une attention particulière pour la France.

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Portrait d'Alain Henriot

2025 devrait être l’année de la poursuite de la normalisation de la politique monétaire en zone euro.

Alain Henriot — Responsable des Etudes économiques au sein de La Banque Postale.

Dans quel contexte s’inscrit l’annonce par le président de la Réserve fédérale américaine (Fed) d’une prochaine baisse des taux directeurs américains ?

Alain Henriot : « Début août 2024, les Bourses mondiales ont subi un ajustement violent, dû aux doutes sur la politique de la Fed et à la remontée des taux d’intérêt par la Banque du Japon pour faire face à l’effondrement du yen. L’annonce vendredi 23 août d’une baisse prochaine des taux directeurs par le président de la Fed a mis fin à l’incertitude. Cela change aussi la donne pour les taux européens, compte tenu du rôle directeur des taux américains sur le marché obligataire mondial ».

Pourquoi cette annonce par le président de la Fed d’une prochaine baisse des taux directeurs ?

Alain Henriot : « Les investisseurs redoutaient une récession de l’économie américaine avec des signes de dégradation du marché du travail, d’où le choc boursier de début août. La croissance américaine est néanmoins restée soutenue au 2ème trimestre (le PIB du deuxième trimestre 2024 est en hausse de 3,0 % en rythme annualisé par rapport au trimestre précédent. Et même si la phase de croissance à venir s’avère plus lente, les indicateurs ne convergent pas vers une récession. L’inflation a ralenti, aidée par une moindre tension sur le marché du travail qui entraine une modération des salaires.  Cette baisse annoncée des taux américains n’est qu’un début de normalisation à partir de taux élevés et non un assouplissement visant à stimuler l’économie ».

La croissance américaine tient. Qu’en est-il de l’autre acteur majeur de l’économie mondiale la Chine et comment se porte l’Europe en comparaison ?

Alain Henriot : « La croissance de la Chine peut être qualifiée de faible au regard de sa trajectoire habituelle. Néanmoins sa dynamique industrielle est très bonne grâce aux exportations, en particulier dans le secteur automobile. D’où la volonté de certains pays importateurs de limiter les achats en augmentant les droits de douane.

A l’inverse en Europe, si le secteur tertiaire s’est bien redressé, le rebond du secteur industriel reste mou. Il y a une forte concurrence des industriels non européens, pour des raisons diverses : la concurrence chinoise est en lien avec sa baisse des prix à la production industrielle ; côté américain, c’est sans nul doute le moindre choc énergétique de 2022 qui joue ; et la baisse du yen a favorisé certains secteurs industriels japonais.

Ces concurrences externes n’expliquent pas tout. Le recul marqué de la production industrielle allemande comparé à la période avant-Covid s’explique aussi par la remise en cause de certains fondamentaux. Dans le secteur automobile, le passage du thermique à l’électrique nécessite beaucoup d’investissements et les lignes de production allemandes ne sont pas tournées vers la production de petits modèles plus en adéquation avec la propulsion électrique. La chimie, autre secteur industriel historiquement fort en Allemagne, est aussi confrontée à des bouleversements, dont le moindre recours au plastique.

La croissance en zone euro n’est toutefois pas mauvaise : à 0,3 % par trimestre soit 1,2 % en rythme annuel, cela correspond au rythme potentiel de l’économie. La zone euro continue en outre de créer des emplois. Mais la situation n’est pas uniforme. L’Allemagne ne va pas très bien quand l’Espagne va bien mieux. L’Italie a de son côté bénéficié d’un très fort soutien européen, ce qui peut relancer sa croissance ».

Une croissance correcte en zone euro mais avec des situations disparates selon les pays. Qu’en est-il de la France ? 

Alain Henriot : « La France se situe, comme souvent, dans une position intermédiaire. Les enquêtes, notamment l’indice du climat des affaires dans le secteur des services (dont l’hôtellerie et la restauration), démontrent l’impact positif des JO sur la croissance au troisième trimestre. Techniquement, c’est aussi au troisième trimestre que les ventes de billets et les droits de télévision seront comptabilisés dans le PIB. Logiquement, un contrecoup interviendra au quatrième trimestre, mais au total sur 2024 le gain de croissance estimé sera au moins de 0,1 %.

Avec les deux premiers trimestres montrant une progression du PIB de respectivement 0,3 % et 0,2 % et un troisième trimestre légèrement supérieur, la croissance nationale est donc alignée avec celle de la zone euro. Autre similitude entre la France et la zone euro : l’absence de remontée du chômage. C’est même un niveau historiquement bas en zone euro, que l’on n’explique pas seulement par la croissance. La démographie déclinante qui limite la population en âge de travailler joue aussi ».

Y-a-t-il une spécificité économique française à surveiller ?      

Alain Henriot : « L’immobilier et plus précisément la construction immobilière qui connait un très gros trou d’air. Malgré la légère baisse des taux de crédit immobilier depuis le début 2024, l’immobilier demeure dans une phase de faiblesse qui n’est pas propre à la France mais qui y est très marquée. La remontée des taux des crédit a correspondu dans notre pays avec la fin de certains dispositifs d’aide à l’investissement locatif. A la très forte baisse des transactions dans l’ancien s’est greffé l’effondrement du marché du neuf avec une baisse de la vente de logements de presque 40 % en 2023. Les prix ont du mal à baisser pour le neuf car les promoteurs ont dû faire face à une hausse des coûts des matériaux et des salaires, celle-ci étant liée notamment à l’ajustement du SMIC en raison de son indexation sur l’indice des prix à la consommation.

Dans une approche large du secteur immobilier, on peut se réjouir du fait que la rénovation a quasi compensé l’impressionnant recul du marché de la construction de logements neufs. Mais on ne peut oublier le fort besoin de logements neufs en France : intégrant la prise en compte du déclassement de certains logements occupés, ce besoin est estimé en moyenne à 400 000 logements neufs par an ».

Qu’en est-il de la problématique de l’inflation ? 

Alain Henriot : « On s’oriente vers une inflation modérée. Elle s’est déjà tempérée avec le retour à la quasi-normalité du prix du pétrole et plus largement le recul des prix de l’énergie ou encore la stabilisation des prix des produits manufacturés. D’ailleurs, l'Insee a indiqué que l'indice des prix à la consommation a augmenté de 1,9 % sur un an en France. Pour la première fois en trois ans, l'indicateur passe sous les 2 %.

La BCE ayant un objectif d’inflation à 2 %, elle continuera à baisser ses taux directeurs : 2025 devrait donc être l’année de la poursuite de la normalisation de la politique monétaire en zone euro.

La situation politique aura bien sûr une influence sur l’économie française mais dans un contexte contraint en matière de finances publiques par deux réalités. Le rôle des marchés financiers d’abord. Certes l’écart entre les taux d’emprunt français et les taux d’emprunt allemands, le spread, est plus conséquent qu’avant la dissolution de l’Assemblée nationale mais les taux français restent plus bas qu’avant la dissolution du fait de la dynamique des marchés obligataires évoquée plus haut. Il y a un surcoût comparé à l’Allemagne mais pas une envolée. Cet attentisme des marchés ne veut toutefois pas dire qu’ils sont indifférents à la situation politique. L’Union européenne ne sera pas neutre non plus quant aux orientations qui seront prises, la France ayant été placée en procédure de déficit excessif. Dans la construction budgétaire nationale, cela veut dire prouver que des efforts sont faits pour revenir rapidement à un déficit public à 3 % du PIB ».

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