Interview

Endettement des collectivités locales : une année 2022 très atypique

L’Observatoire Finance Active 2023, paru le 23 mars dernier, trace les contours d’une année 2022 marquée par des conditions d’emprunt fortement chahutées pour les collectivités territoriales. Cette publication de référence, très attendue chaque année, confirme la place inchangée de La Banque Postale comme premier prêteur bancaire aux collectivités territoriales. Les explications de Caroline de Marqueissac, responsable du marché des Collectivités Locales à La Banque Postale.

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Portrait de Caroline de Marqueissac

Les crédits reposant sur des critères d’impacts environnementaux ou sociaux ont totalisé un milliard d’euros de nouveaux prêts en 2022. Il s’agit d’un élément fortement différenciant pour La Banque Postale.

Caroline de Marqueissac — Responsable du marché des collectivités locales à La Banque Postale

Selon l’Observatoire Finance Active de la dette des collectivités locales, l’année 2022 est marquée par un recours à l’emprunt en baisse. Dans quelles proportions ? 

Caroline de Marqueissac : « Les collectivités territoriales ont été confrontées, pour le financement de leurs projets, à une année 2022 particulièrement atypique. Après avoir observé une forte croissance en 2021 (+ 15 % par rapport à 2020), le recours à l’emprunt observe en effet un recul de 19 % en 2022 sur le panel.

L’Observatoire Finance Active corrobore d’ailleurs, sur ce point, l’étude prospective sur les finances locales publiée par S&P (anciennement Standard & Poor’s) courant mars 2023, qui table sur une diminution globale du recours à l’emprunt par les collectivités en 2022. Les collectivités sont attendues sur le terrain des investissements en faveur de la transition écologique. On s’aperçoit que les projets ne sont pas encore matures et que l’accélération n’est pas encore au rendez-vous. Même si les comptes 2022 ne sont pas tous adoptés, cette tendance baissière semble d’autant plus notable qu’à mi-mandat, les collectivités du bloc communal ont habituellement planifié leurs investissements et commencent à les mettre en œuvre. »

Pourquoi un tel repli de l’emprunt ? 

Caroline de Marqueissac : « L’étude Finance Active l’analyse comme un retour de balancier après le sur-recours à l’emprunt qui caractérise l’année 2020 et 2021, du fait des taux d’intérêt historiquement bas. Les collectivités ont engrangé de la dette à très faible coût et gonflé leurs excédents de trésorerie, qui atteignent fin 2022 un niveau exceptionnellement élevé, à 80 milliards d’euros. »

2022 est également une année de renchérissement brutal des taux d’intérêt. Avec quel impact pour les collectivités territoriales ? 

Caroline de Marqueissac : « Ces vagues successives de hausse des taux orchestrées par la Banque centrale européenne sont intervenues avec une soudaineté et une amplitude que les économistes n’avaient pas forcément anticipées. Les collectivités ont bien sûr été touchées de plein fouet, la question du coût du financement réémergeant après plusieurs années où elle avait été reléguée au second plan. Or il est complexe de se tenir à une stratégie d’emprunt quand on ne sait pas sur quel pied danser. En effet pour la deuxième fois depuis 2014, le coût de la dette nouvelle des collectivités a augmenté en s’établissant à 2,07 %, soit une augmentation de 145 points de base sur un an (0,62 % en 2021 pour rappel) ! La période de taux d’intérêt ultra accommodante s’est bel et bien terminée en 2022 avec le nouveau cycle de resserrement monétaire.

L’autre particularité de l’année 2022 est qu’elle a vu les taux d’intérêt augmenter plus vite que le taux de l’usure. Ce que montre très bien l’étude à partir de son Journal des Offres, c’est qu’à partir d’avril 2022, la plupart des banques n’ont plus eu la capacité de prêter à taux fixe, le niveau de ces derniers étant supérieur à celui du taux de l’usure. Les établissements de crédit n’ont plus, dès lors, proposer que des offres à taux variables. Ce qui, pour certains emprunteurs est opportun, car emprunter à taux variable en Euribor 3 mois ou 12 mois permet de diversifier l’encours de dette. »

Dans quelles proportions la montée en charge du crédit à taux variable est-elle intervenue ?  

Caroline de Marqueissac : « La proportion d’offres à taux fixe proposées par les banques aux collectivités du panel Finance Active s’est effondrée, passant de 92 % au premier trimestre à seulement 37 % au deuxième trimestre. À l’inverse, la part d’offres à taux variables est passée de 8 % à 63 % sur la même période. 

C’est donc à taux variable qu’une très grande majorité de collectivités a pu continuer à emprunter. En moyenne, on note une forte hausse de la part des financements à taux variables indexés sur l’Euribor et le Livret A. Ceux-ci sont passés de 17 % des nouveaux flux en 2021 à 27 % en 2022. Cette situation a permis aux administrations publiques locales de diversifier leur stock de dette. Une pratique de bonne gestion pour bénéficier, sur le temps de la durée du prêt, d’une relative souplesse de gestion des encours. »

Quelles ont été, d’après l’étude, les problématiques induites par l’évolution du taux de l’usure ? 

Caroline de Marqueissac : « C’est là le paradoxe de cette année en tous points spéciale : en principe libres et souveraines dans le choix du taux auquel elles empruntent, les collectivités ont, dans les faits, été privées de cette possibilité dans de très nombreux cas. Cela dans le respect d’une réglementation à vocation protectrice ! En effet, les établissements de crédit doivent respecter le taux de l’usure (pour les emprunts à taux fixe et à taux variable) dans leurs cotations. Il s’agit d’un seuil du taux d’intérêt maximal à respecter.

La situation a changé au second semestre : la Banque de France a alors commencé à publier trois taux d’usure à taux fixe en fonction des durées d’emprunt proposées, ce qui a allégé la contrainte pesant sur les banques et les emprunteurs.1 »

Quelles ont été les tendances observables concernant le recours des collectivités à l’emprunt obligataire en 2022 ?

Caroline de Marqueissac : « Le recours au financement obligataire ne concerne qu’une minorité d’emprunteurs territoriaux : 26 entités émettrices seulement en 2022. À noter que près de 94 % des émissions ont été réalisées par des entités notées.

La Banque Postale a mis en place dès 2019 une équipe dédiée aux financements obligataires des collectivités. Cette équipe a continué de se déployer en 2022 : 641 M€ d’émissions ont été lancés en 2022, contre 400 M€ en 2021. La Banque Postale est en passe de prendre le leadership sur le marché du financement obligataire des territoires.»

En quoi le paysage bancaire des prêteurs aux collectivités locales s’est-il recomposé en 2022 ?

Caroline de Marqueissac : « Si la contrainte de l’usure a quelque peu remanié les cartes pour les principaux financeurs des collectivités, La Banque Postale conserve sa première place. En effet, avec 26 % des crédits bancaires distribués en 2022 en volume sur le panel analysé, La Banque Postale est toujours la première banque des collectivités territoriales, cela pour la 8ème année consécutive. Nous restons le premier financeur bancaire du secteur public local en intégrant aussi les hôpitaux publics et les bailleurs sociaux. »

Quelles évolutions de marché La Banque Postale note-t-elle, pour ce qui concerne son panel de clients en 2022 ? 

Caroline de Marqueissac : « Nous notons une réelle appétence des collectivités territoriales pour les prêts fléchés « responsables ». Le succès de notre gamme de prêts verts et de la nouvelle gamme de prêts « sociaux », que nous avons lancée en 2022 avec notre partenaire Sfil, en témoigne.

Ce que ne traduit pas (pas encore ?) l’Observatoire Finance Active, c’est la différenciation des offres bancaires et des établissements de crédit selon un prisme écologique. Les emprunteurs publics et les collectivités locales en particulier, cherchent en effet de plus en plus à mettre en cohérence leur choix de financement avec leur démarche responsable. Au-delà des caractéristiques financières des offres, les emprunteurs apprécient également l’impact écologique des banques à partir de questionnaires transmis au moment des consultations. La Banque Postale est classée 1ère banque mondiale en matière de RSE par l’agence Moody’s ESG Solutions, au 1er janvier 2023, et est l’une des premières banques à compenser l’intégralité de ses émissions directes de C02 depuis 2018, grâce au mécanisme du Fonds Carbone. Au-delà de ses engagements forts en faveur de la transition juste, La Banque Postale a été l’une des premières banques à valoriser l’impact environnemental et désormais social des projets financés, via des prêts verts et des prêts sociaux. 

À La Banque Postale, chaque emprunt responsable est en effet adossé à un projet spécifique, ce qui amène les collectivités à établir des cahiers des charges précis pour leur(s) consultation(s) bancaire(s).  Le principe est celui de la promotion des critères d’impact liés à la finalité de chaque projet. Pour un prêt vert, ce peut être les tonnes de CO2 évitées, le nombre de kilomètres de pistes cyclables construits, les tonnes de déchets retraités etc. Avec les prêts sociaux, les financements sont fléchés sur des projets favorisant l’inclusion sociale : construction de groupes scolaires, de structures dédiées à la petite enfance, d’établissements médico-sociaux, de services d’incendie et de secours etc.

Nous notons une nette progression de nos gammes de prêts verts et sociaux. Les crédits reposant sur des critères d’impacts environnementaux ou sociaux ont totalisé un milliard d’euros de nouveaux prêts en 2022. Il s’agit d’un élément fortement différenciant pour La Banque Postale.

Derrière la question des emprunts fléchés par projet, se pose la question de l’identification des investissements favorables au climat. Cette tendance va d’ailleurs dans le sens des recommandations du rapport de l’institut I4CE d’octobre 2022, qui évalue à 12 milliards d’euros annuels la volumétrie des investissements nécessaires pour que les collectivités locales rentrent dans la trajectoire de la Stratégie nationale bas-carbone. 12 milliards d’euros annuels, c’est le double du montant de leurs investissements climat actuels - et 20 % du total de leurs investissements. »

Comment La Banque Postale accompagne-t-elle les collectivités territoriales dans la hausse des taux ? 

Caroline de Marqueissac : « Le coût de l’emprunt, ayant été multiplié à 2, 3 voire 4, La Banque Postale aide les collectivités à optimiser la gestion de leurs excédents de trésorerie, excédents qui n’ont jamais été aussi élevés qu’en 2022 (80 milliards d’euros fin décembre). Estimant qu’il y avait là un potentiel d’optimisation pour les collectivités, nous avons déployé une solution de placement adaptée aux contraintes pesant sur les collectivités territoriales. Un euro de dette en trop coûte cher désormais et les collectivités ont la possibilité de placer leurs excédents de liquidités sous forme d’achat de titres d’État libellés en euros.

Dans cette année 2022 atypique, nous avons par ailleurs cherché à renforcer l’accompagnement offert aux collectivités, en lançant Subzen, nouvelle solution dédiée à l’optimisation de la recherche de subventions pour le financement des projets thématiques. »

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(1)  À noter qu’en 2023, le taux d’usure est désormais réévalué mensuellement.