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Le point ou la courbe : la situation des finances publiques locales en 2023

La crise inflationniste n’est pas terminée et l’anticipation d’une dégradation de la situation financière des collectivités territoriales pour 2023 semble se confirmer. À partir de ce constat, la note de conjoncture « Finances locales 2023 » de La Banque Postale analyse les prémices d’un bouleversement radical de la gestion locale. La fin d’une époque ? Luc Alain Vervisch, directeur des études de la banque de financement et d’investissement de La Banque Postale, et Christophe Jerretie, président du comité d’orientation des finances locales de La Banque Postale, livrent leur analyse.

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L’année 2023 s’inscrit dans la continuité de 2022, selon la Note de conjoncture des finances locales, quel point de vue ? Et avec quelles inflexions majeures ?

Luc Alain Vervisch : « À bien des égards, 2023 apparaît en effet comme la prolongation de 2022. Il est clair que la crise inflationniste n’est pas finie et qu’elle a des effets amplificateurs et des effets décalés. L’étude révèle également des inflexions majeures tant par rapport aux années post-Covid que par rapport à la période antérieure à 2019. Ainsi les marges de manœuvre financières des collectivités existent mais se trouvent aujourd’hui réduites. Ceci n’est pas vraiment dû aux frais financiers, repartis à la hausse après plus de 6 années où ils ont joué un rôle favorable pour la maîtrise des frais de fonctionnement ; mais plutôt à l’augmentation de la masse salariale, alors même que l’on rencontre des difficultés de recrutement dans certains métiers. Les collectivités locales sont en difficulté pour trouver les moyens de leurs actions en fonctionnement ceci tous échelons territoriaux confondus et aussi bien pour les services au contact direct du public que pour l’ingénierie de projet ou les services supports. »

Christophe Jerretie : « Dans le champ de l’investissement, dans les deux domaines prioritaires que sont la transition écologique et la rénovation des bâtiments publics, les projets territoriaux sont d’ailleurs souvent pénalisés par un manque de moyens en ingénierie technique. Nous y voyons une piste essentielle pour l’avenir : il y a des investissements à faire dans le domaine des ressources humaines, de nouvelles compétences à acquérir, de nouveaux outils à maîtriser. »

Comment l’inflation pèse-t-elle sur les dépenses de fonctionnement des collectivités locales ?

Portrait de Luc Alain Vervisch

2022 a marqué le début de la tendance inflationniste. 2023 marque la poursuite de cette tendance qui provoque une baisse de l’autofinancement.

Luc Alain Vervisch — Directeur des études de la banque de financement et d’investissement de La Banque Postale

Luc Alain Vervisch : « 2021 a été une année de redémarrage post-Covid. 2022 a marqué le début de la tendance inflationniste. 2023 marque une accélération de la tendance à l’augmentation des charges de fonctionnement, avec des rythmes de croissance similaires à ceux du milieu des années 2000, époque où l’effet de l’Acte 2 de la décentralisation avait mécaniquement joué. À + 5,8 % de hausse des dépenses de fonctionnement anticipée sur 2023 – pour + 5,0 % en 2022 et + 3,2 % en 2021 – cet effet inflationniste pèse différemment suivant les catégories de collectivités. Il est clair que le bloc communal supporte l’essentiel de la hausse avec + 6,8 %, ce qui souligne le poids particulier des charges à caractère général dans les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (PCI). On observe en effet un retour de l’inflation à deux chiffres, notamment sur l’énergie et l’alimentaire, qui représentent respectivement 3,7 % et 0,8 % des dépenses courantes communales. Or, ces hausses de coûts peuvent difficilement être reportées sur les foyers.

Quant aux départements, ils sont touchés dans une moindre mesure (+ 3,9 %), surtout du fait de la baisse du nombre de bénéficiaires du RSA, qui joue favorablement. Le poids des dépenses d’action sociale dans les budgets départementaux (60 %) reste toutefois un élément de rigidité qui les rend très dépendants du contexte socio-économique national. »

Christophe Jerretie : « À + 4,6 % de progression des dépenses de fonctionnement, les régions et collectivités territoriales uniques (CTU) subissent très directement l’impact de l’inflation dans leurs domaines de compétences, notamment via le financement de leurs opérateurs du ferroviaire et des lycées. Nous constatons ainsi, à la lecture des budgets primitifs, une hausse de 24 % des dotations de fonctionnement régionales aux lycées en 2023, du fait de la crise énergétique. Ce qui est considérable. Il en découle néanmoins deux inflexions intéressantes : une recentralisation de certains contrats pour un meilleur pilotage de la relation aux fournisseurs et le déploiement plus systématique de stratégies de transition énergétique dans les établissements. »

Comment la masse salariale, autre composante des dépenses de fonctionnement, évolue-t-elle en 2023 ?

Luc Alain Vervisch : « La masse salariale représente effectivement une dépense majoritaire dans le budget de fonctionnement des communes et EPCI. Celle-ci demeure orientée à la hausse en 2023, mais dans une moindre mesure par rapport à 2022 : + 5,1 %, contre + 5,5 % en 2022. Cette moindre croissance s’explique sans doute par la somme des postes restant non pourvus et des départs en retraite non remplacés immédiatement : des manifestations du problème d’attractivité auquel toutes les collectivités sont désormais confrontées. »

En quoi les investissements locaux se révèlent-ils dépendants du contexte inflationniste ? 

Luc Alain Vervisch : « 2023 marque une troisième année de croissance de l’investissement territorial à + 9,1 %, dans une logique totalement acyclique. Cette hausse, surtout marquée dans les grandes collectivités urbaines et les DOM, s’explique pour un gros tiers par un phénomène « prix », notamment du fait de l’augmentation des coûts du bâtiment et des travaux publics. L’autre part de la hausse des investissements territoriaux relève d’une croissance en volume. La question est de savoir si cela se révélera suffisant au regard de l’importance des enjeux de la transition écologique et de la rénovation du patrimoine territorial. »

Quel est l’impact du contexte économique global sur l’évolution des recettes ?

Luc Alain Vervisch : « Les recettes de fonctionnement ne progressent, cette année, que de 3,2 % en moyenne. Le bloc communal (+ 5,2 %) bénéficie de l’augmentation de la fiscalité directe (La taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) surtout, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) et versement mobilité). Les régions se montrent, quant à elles, plus dépendantes de la fraction de TVA qui leur est attribuée ; or, la croissance de celle-ci pourrait être finalement moins dynamique que prévu.

Les départements subissent, eux, de plein fouet la forte baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). »

Christophe Jerretie : « Conséquence de cet effet de ciseau, dû à une augmentation des dépenses de fonctionnement supérieure à celle des recettes, l’épargne brute des collectivités devrait marquer en 2023 un recul prononcé, de 9 %, suivant nos estimations, après deux années de hausse. Mais à 42,1 milliards d’euros, l’épargne brute revient à son niveau de 2019, année alors considérée comme exceptionnelle. Si la crise inflationniste se calme, la situation financière du monde local lui permet donc sans difficulté de rebondir, pour repartir à l’assaut de la transition écologique. »

Luc Alain Vervisch : « C’est d’ailleurs l’une des hypothèses de l’étude que l’Institut I4CE présentera le 7 novembre prochain, conjointement avec La Banque Postale, sur les scénarios de financement de la transition écologique. »

Précisément, quelle est la situation financière des collectivités au regard de la dette ?

Luc Alain Vervisch : « Cette situation est satisfaisante. La dette des collectivités locales ne représente que 7,4 % du PIB, poids qui, par rapport à nos voisins britanniques ou italiens, est extrêmement limité. La dette locale est maîtrisée, ce qui ouvre aux collectivités des possibilités d’investir. Leur capacité à emprunter n’est plus freinée, comme en 2022, par la situation du taux de l’usure. L’observation montre qu’elle n’est pas non plus freinée par le niveau des taux d’intérêt, dont la hausse se révèle moins brutale qu’en 2022. La capacité de désendettement des collectivités est excellente. »

Portrait de Christophe Jerretie

La dette « verte » est un sujet que nous travaillons beaucoup. La Banque Postale est pionnière en matière de prêts verts et sociaux, en conformité avec la taxonomie européenne.

Christophe Jerretie — Président du comité d’orientation des finances locales de La Banque Postale

Christophe Jerretie : « La note de conjoncture confirme la capacité des collectivités à investir dans la transition écologique. Les trois conditions nécessaires sont en effet réunies. L’autofinancement – qui est la capacité interne à faire – est présent (avec un petit bémol pour les régions). Les subventions, avec 4,5 milliards d’euros d’autorisations d’engagement au titre des différents fonds ou dotations d‘investissement de l’État, atteignent un niveau inédit. Enfin, l’encours de la dette locale qui reste modeste et le délai de désendettement des collectivités, aujourd’hui très bas, autorisent les collectivités à emprunter pour ce faire.

Parallèlement, la dette « verte » est un sujet que nous travaillons beaucoup. La Banque Postale est pionnière en matière de prêts verts et sociaux, en conformité avec la taxonomie européenne. Pour inciter une collectivité à « verdir » sa dette aujourd’hui, deux choix sont possibles : soit orienter davantage la comptabilité de la collectivité sur l’extra-financier, ce qui implique un changement de modèle, soit ouvrir l’évolution de la dette locale, ce qui relève potentiellement d’une loi d’orientation budgétaire.

Nous observons que l’outil régional est peu mobilisé pour la transition écologique. Cela, alors même que les Régions sont au cœur d’enjeux écologiques stratégiques au titre de l’aménagement du territoire ou encore de leurs compétences « mobilité ». Les régions représentent aussi la clé d’entrée vers les financements européens. Nous voyons donc là une piste à travailler pour augmenter les capacités d’investissement des régions. La mobilité sera d’ailleurs une probable priorité du prochain cadre financier pluriannuel européen à renouveler en 2027. »

La note de conjoncture fait état d’une situation nouvelle en ce qui concerne le fonds de roulement des collectivités. Qu’en est-il exactement ?

Luc Alain Vervisch : « Le prélèvement de 4 milliards d’euros que nous anticipons sur la trésorerie des collectivités est en effet un phénomène inédit. L’année 2023, pour la première fois depuis longtemps, verrait une baisse du fonds de roulement, en particulier pour les plus grandes collectivités. Cette anticipation est à confirmer tant il est difficile d’anticiper les prélèvements sur fonds de roulement finaux, qui font traditionnellement l’équilibre des comptes en toute fin d’année. »

Christophe Jerretie : « Si cette prévision venait à se confirmer, il pourrait s’agir d’un retournement de tendance notable. Mais le niveau de trésorerie disponible au sein des collectivités reste élevé : 64 milliards d’euros à fin 2023. Après une décennie de taux bas, voire nuls, les emprunteurs publics se réapproprient depuis quelques mois le sujet de l’optimisation de leur trésorerie. Plus de 2,5 milliards d’euros de trésorerie dormante seraient éligibles à des placements financiers dérogatoires. »

Comment l’utilisation du levier fiscal évolue-t-elle en 2023 ?

Luc Alain Vervisch : « Hormis Paris et quelques autres grandes villes, dont l’ajustement de la fiscalité sur le foncier bâti est en effet significatif, 2023 montre toujours une stabilité de l’utilisation du levier fiscal sur le foncier bâti.  Le plus notable, du côté des recettes fiscales, est qu’après l’explosion du montant des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en 2021 (+ 24 %), faisant suite à une période de croissance continue depuis 2013, leur décrochage est estimé à - 20 % sur 2023. Soit une baisse deux fois supérieure à ce qu’avaient anticipé l’État et une partie des Départements, pourtant réputés très prudents dans leurs prévisions budgétaires. Cette situation, difficile donc à prévoir, confirme l’énormité de la dépendance des Départements aux DMTO. Et les risques que cette situation fait peser sur le financement de l’aide sociale, qui leur incombe. »

Christophe Jerretie : « La montée en charge des impôts spécifiques est une autre tendance lourde, qu’il s’agisse de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), de la taxe GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), du versement mobilité, de la taxe de séjour (pour lequel les EPCI fournissent un réel effort de recouvrement) ou de la taxe sur les surfaces commerciales.

On le voit : les impôts et taxes sont désormais fléchés vers les investissements de transition. C’est également le cas des dotations. Comme la DETR, que les préfets orientent vers la rénovation des bâtiments publics depuis une décennie ou plus récemment la DSIL et le fonds vert. Ou encore le versement mobilité, dont le développement sera primordial dans les années à venir. »

Que penser, au regard des données de la Note de conjoncture, de la récente proposition de la Cour des Comptes de mettre en place un système d’auto-assurance des recettes territoriales ?

Luc Alain Vervisch : « Un système d’auto-assurance permet déjà aux Départements de se protéger, à titre individuel et collectif, contre le risque lié à la variation des DMTO. On peut l’étendre à titre individuel (même si dans les faits il existe un peu déjà : sinon, le fonds de roulement ne serait pas ce qu’il est). Mais s’il s’agissait de permettre la modulation des niveaux de recettes versées aux collectivités locales au titre de la TVA, par celui même qui les verse, à savoir l’État, alors on serait loin de la logique de l’auto-assurance. On voit bien que les oscillations de la fraction de TVA entre 2022 et 2023 pourraient réserver, après l’excellente surprise de 2022, une surprise moins positive en fin d’année 2023. Mais si le système paraît séduisant, permettant aux collectivités de définir leurs besoins de continuité de recettes en fonctionnement, les conditions ne nous semblent pas réunies pour sa mise en place. Il faudrait imaginer, pour la réussite d’un tel système, un outil institutionnel de décision collective : Comité des finances locales ou autre. »

Christophe Jerretie : « Les collectivités restent aujourd’hui dépendantes de la stratégie de l’État en termes de fiscalité et de financement. Dépendantes aussi de règles du jeu changeantes, comme avec les dépenses de fonctionnement liées aux emplois aidés. On observe, par ailleurs, une dispersion des financements qui leur sont destinés dans les divers plans et programmes de l’État. Or, pour agir efficacement en faveur de la transition écologique, il faut une unité de vision et une nécessaire loi de financement des collectivités territoriales.

Pour que la concertation ait lieu dans ces domaines et pour que le résultat soit équilibré entre État et collectivités, il faudra également que chacune des parties sorte de sa position habituelle. »

Pour conclure, quel regard porter sur la situation financière globale des collectivités locales et sur leurs besoins de financement à venir ?  

Luc Alain Vervisch : « La situation intrinsèque dans laquelle se trouvent les collectivités locales est globalement assez satisfaisante. Même si les regards risquent de se focaliser sur la courbe récente, leur situation financière est en réalité similaire à celle de 2018-2019, qui était alors considérée comme bonne. Les collectivités sont en quête de meilleures conditions de visibilité de moyen terme sur l’équilibre de leurs ressources. C’est une demande récurrente qui n’est pas nouvelle. Alors parlementaire, Christophe Jerretie avait d’ailleurs déposé, en 2018, avec son collègue d’alors Charles de Courson, un projet en ce sens, dans le cadre de la révision constitutionnelle via la mise en place de formes de garantie sur les ressources territoriales, au travers une loi spécifique sur le financement des collectivités ; L’aboutissement de ce projet avait été stoppé par les circonstances de l’époque. »

Christophe Jerretie : « Est-ce que le conjoncturel va devenir structurel ? C’est la vraie question. Nous sommes potentiellement à la veille d’un retour à une forme de normalité. Ou à la veille d’un basculement possible, qui obligerait à requestionner les stratégies respectives de l’État et des collectivités, tant sur les compétences que sur la gouvernance, ou sur les finances. »

Note de conjoncture : tendances par niveau de collectivités locales

Découvrez la « Note de conjoncture sur les finances locales » qui anticipe les comptes des collectivités locales françaises en 2023 dans leur ensemble et par niveau.

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