Interview

Le bail réel solidaire : un large potentiel d’innovation

En dissociant le foncier du bâti pour faire baisser le prix global des logements, le bail réel solidaire (BRS) permet à des ménages à revenus modestes d’accéder à la propriété immobilière. Véritable ovni juridique, le dispositif rencontre un franc succès. Cinq années après son entrée en application, il a fait l’objet d’un premier retour d’expérience de la part des Coop’HLM, acteurs historiques de l’accession sociale à la propriété. Nous avons rencontré Florence Caumes, responsable de l’Innovation au sein de la fédération.

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Le BRS est un dispositif souple, donc un large potentiel d’innovation. Il peut être établi aussi bien dans du neuf que dans de l’ancien réhabilité, pour un appartement que pour une maison individuelle, et concerner éventuellement un seul logement dans une copropriété.

Florence Caumes — Responsable de l'Innovation au sein de la fédération Coop'HLM.

Par quels mécanismes la formule du bail réel solidaire favorise-t-elle le parcours d’accession des foyers à faibles ressources ?

Florence Caumes : Le bail réel solidaire signe un nouveau rapport à la propriété immobilière.

La séparation du foncier et du bâti qu’on invoque généralement est une réalité avant tout économique. Il s’agit de ne faire payer aux ménages que le prix de la construction, sans y ajouter la valeur du foncier, c’est-à-dire le prix de l’emplacement. Dans les faits, l’écart du prix de sortie observé par rapport aux prix du marché est d’au moins 30 %. Si l’on prend également en compte le coût de la redevance – c’est-à-dire de la mensualité due par le ménage occupant à l’organisme foncier solidaire (OFS), qui reste propriétaire du foncier – le différentiel par rapport à un loyer de marché pour un logement équivalent pourra être de -15 à -25 %.

En quoi le BRS se différencie-t-il des modèles anglo-saxons qui l’ont inspiré ?

Le BRS est inspiré du système des Community Land Trusts, structures nées aux Etats-Unis dans les années 60, implantées plus récemment en Europe et en particulier en Grande-Bretagne, dont le droit est assez proche. À l’origine des Community Land Trusts, on trouve des mouvements sociaux de réappropriation des terres agricoles, qui se sont ensuite déclinées en zones urbaines, avec des collectifs d’habitants se regroupant pour maîtriser le foncier dans leur quartier afin de préserver une place pour les populations locales.

Transposé dans notre droit français, qui n’autorise pas le modèle du trust, le BRS ne comporte pas cette dimension communautaire. Il repose sur l’organisme à but non lucratif qu’est l’OFS, et ouvre la place à la participation des collectivités territoriales. Nous avons développé pour notre part un statut coopératif des OFS, ce qu’autorisent les textes, et ce qui permet d’inclure les habitants. 

Pourquoi le BRS est-il, selon vous, novateur ?

Florence Caumes : Le BRS est un dispositif souple, donc un large potentiel d’innovation. Il peut être établi aussi bien dans du neuf que dans de l’ancien réhabilité, pour un appartement que pour une maison individuelle, et concerner éventuellement un seul logement dans une copropriété. Il pourrait s’agir par exemple d’un ménage propriétaire ayant du mal à payer ses charges de copropriété : le rachat du logement par l’OFS et sa nouvelle propriété sous forme de BRS lui permettrait d’apurer sa dette en conservant un statut de propriétaire.

Dans les faits, aujourd’hui, on observe que le BRS est très majoritairement utilisé pour des opérations neuves, souvent menées par des organismes HLM. C’est leur vocation d’opérateurs traditionnels de l’accession sociale. Mais demain les usages pourraient être très divers.

Dans quels secteurs géographiques le BRS se révèle-t-il particulièrement attractif ?

Florence Caumes : Le BRS est un outil qui concerne avant tout les zones tendues, où l’emplacement des logements coûte très cher et où la valeur de l’immobilier est donc largement décorrélée du coût de la construction. Mais la tension peut relever différents facteurs. Notre étude « Le BRS par l’exemple » de 2022 distingue deux facteurs d’attractivité majeurs :

  • en premier lieu les grandes agglomérations où les prix de l’immobilier sont très élevés et où les ménages n’arrivent plus à se loger, même en périphérie.
  • Mais aussi la forte présence de résidences secondaires qui tire le marché immobilier vers le haut. Dans un tel contexte, les ménages modestes n’arrivent plus à se loger pour leur résidence principale comme sur l’île de Ré mais également dans l’arrière-pays comme au Pays basque.
Bail réel solidaire (BRS)

Que montrent les premiers bilans du dispositif en termes de profils de ménages bénéficiaires ?

Florence Caumes : Les profils sont beaucoup plus diversifiés que prévu. Les commercialisateurs s’attendaient au départ à voir les jeunes dominer largement, cette tranche d’âge étant présumée davantage encline à renoncer à la pleine et entière propriété. On s’attendait également à ce que le BRS serve avant tout à l’achat d’un premier logement, en vue de se constituer un apport personnel.

En réalité, on compte également, parmi les preneurs, beaucoup de familles installées. Certains ménages entrent dans le dispositif avec des projets de vie à long terme, ce logement et le statut de propriétaire étant vu comme un aboutissement.

Comment les Coop’HLM se sont-elles appropriées le dispositif du BRS ?

Florence Caumes : Depuis plusieurs années déjà, nous sommes moteurs dans la mise en œuvre du dispositif. Nous avons travaillé de longue date la question de la dissociation entre foncier et bâti, notamment via le Pass Foncier, qui permettait de payer le foncier en toute fin de crédit immobilier. Nous nous sommes interrogés sur des solutions à imaginer pour pérenniser l’accession sociale dans les zones où nous étions confrontés à la faiblesse des clauses anti-spéculatives.

Alors dès que le BRS a démarré avec la loi ALUR puis la publication des ordonnances d’application fin 2016, nous étions prêts à créer des OFS et à signer des contrats de baux.

Les 165 coopératives HLM qui constituent la fédération ont un patrimoine relativement modeste, de l’ordre de 200 000 logements. Leur point de vue sur le BRS diffère sensiblement de celui des autres acteurs du logement social, qui l’envisagent davantage sous l’angle de la vente Hlm ou comme une activité secondaire.

Comment les collectivités territoriales se positionnent-elles dans les opérations de BRS ?

Florence Caumes : Elles ont été très réactives. Les élus ont tout de suite vu l’intérêt du dispositif pour les politiques locales de l’habitat. Le BRS permet d’ancrer sur le territoire des habitants à revenus modestes ne trouvant plus à s’y loger, ou qui y vivent déjà mais sont menacées de devoir le quitter faute de moyens.

Le BRS est un outil très souple permettant à la collectivité de prendre la place qu’elle souhaite dans le dispositif. Ainsi certaines collectivités ont créé leur propre OFS. Elles régulent un marché de foncier réservé pour le BRS sur leur territoire, par le biais de subventions ou d’une servitude de mixité sociale, complémentaire des servitudes liées au locatif social. Ces collectivités financent le dispositif et peuvent alors fixer les règles du jeu en termes de niveaux de redevance, ainsi que de prix de sortie.

D’autres collectivités nouent des partenariats à l’opération où l’accord des collectivités territoriales est indispensable dès lors qu’elles se portent garantes des prêts pour l’acquisition du foncier.

C’est l’une des principales qualités du BRS : il s’adapte à tous les contextes. 

Précisément, quel est le schéma de financement le plus courant des programmes de BRS?

Florence Caumes : L’OFS porte la valeur du foncier qui se répercute sur plusieurs propriétaires successifs par le biais de la redevance. Et le portage du bâti est financé directement par le ménage via un crédit immobilier. L‘enjeu pour les OFS consiste donc à obtenir les meilleures conditions de financement possibles, pour limiter le montant de la redevance foncière. Un OFS adossé à une collectivité territoriale ayant pu bénéficier d’un achat de foncier à un prix symbolique applique des redevances symboliques. À l’inverse, pour un OFS qui n’est pas subventionné, les redevances peuvent atteindre 3 à 4€ par m2 et par mois.

Le foncier bénéficie en effet de sources de financement performantes que sont les Prêt Gaïa Long Terme de la Banque des Territoires et le financement par appel à projets développé par Action Logement conditionné par un fléchage pour son public de salariés. L’opérateur, comme le ménage, aura recours à des prêts classiques consentis par les banques telles que La Banque Postale portant les opérations de promotion sur le terrain. 

Que change l’évolution récente des conditions de marché sur le financement du logement pour les accédants ?

Florence Caumes : Le décrochage des ressources des ménages par rapport aux prix de l’immobilier est évidemment un sujet de préoccupation. L’augmentation du niveau des taux et l’inflation pesant sur les ressources des ménages posent également question.

Tout ceci se produit au moment où le secteur bancaire est prêt à se positionner sur le financement des BRS, où la caution Crédit Logement à laquelle peuvent prétendre les acquéreurs est acquise

Mais dans cette conjoncture peu favorable, le dispositif n’est pas plus impacté que l’ensemble de l’immobilier alors même que sa cible, les ménages modestes, risque de l’être davantage. Sécurisé par le rôle de l’OFS, il est en effet de nature à rassurer les banques.

Comment les banques se sont-elles positionnées ?

Que montrent vos simulations de moyen et long terme sur l’impact solvabilisateur du BRS ?

Florence Caumes : Nos simulations sur les parcours de vie des foyers entre l’entrée et la sortie du dispositif réalisées dans l’étude « le BRS par l’exemple » sont rassurantes. Elles sont de nature à sécuriser les banques comme les acteurs publics engagés dans le BRS. La question que nous voulions étudier est : comment les ménages, après quelques années comme propriétaires en BRS, se situeront-ils par rapport au marché immobilier local ? Quel rôle a ce statut dans le parcours résidentiel ? Nos projections montrent, indépendamment de l’évolution des ressources des ménages, que ces derniers se créent une épargne, donc se constituent un apport significatif permettant de se positionner sur un logement plus grand dans le parc BRS ou sur un logement de taille équivalente dans le secteur libre.

Dans 5 à 7 années, lorsque des sorties significatives du dispositif BRS auront lieu, nous pourrons valider ces hypothèses.

Quels sont, pour finir, les projets portés par les coop’HLM pour 2023, sur le BRS ?

Florence Caumes : L’enjeu général dans le domaine du BRS sera de passer à une gestion courante des baux : fluidifier les éléments de gestion courante et accompagner concrètement des ménages dans leur logement et lors des reventes.

Au-delà, à la fédération des coopératives HLM, nous entendons développer nos capacités d’intervention en BRS dans du bâti existant. L’idée est de privilégier la réhabilitation et la requalification d’immeubles existants. Des opérations aujourd’hui complexes, avec un enjeu fort de prise en compte des risques d’aléas techniques.

Par ailleurs, nous travaillons à des modèles novateurs visant à solvabiliser davantage certains ménages modestes disposant des situations professionnelles stables, mais qui restent exclus de l’accès à la propriété du fait de difficultés d’accès au crédit immobilier.

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