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Réforme du financement de la psychiatrie : où en est-on ?

La psychiatrie est le premier poste de dépenses pour l’assurance maladie. Lancée début 2022, la réforme tarifaire des activités de psychiatrie entend améliorer l’efficacité de la dépense publique et corriger les écarts de financement entre régions et entre établissements. Explications.

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23,3 milliards d’euros, soit 14 % des dépenses totales de l’assurance maladie(1) : c’est ce que représente la prise en charge des soins liés aux « maladies psychiatriques » et aux « traitements chroniques par psychotropes ». Le tout avec un coût moyen élevé, de 2 800 euros par assuré social. La santé mentale coûte ainsi, en France, plus cher que la prise en charge du cancer ou que celle des maladies cardio-vasculaires.

À l’heure où 15 % des adultes présentent des troubles anxieux sévères et où la France est en tête des pays européens pour ce qui concerne le risque suicidaire (avec 20 % de la population ayant pensé au moins une fois à mettre fin à ses jours(2)), la santé mentale est un enjeu majeur pour notre société.

Cette offre de soins psychiatriques est, en France, très majoritairement publique. Elle s’organise autour de trois types de prise en charge :

  • le temps complet, avec 55 000 lits hospitaliers ;
  • le temps partiel, qui s’appuie sur 29 000 places d’accueil, de jour ou de nuit ;
  • l’ambulatoire, qui est la prise en charge la plus courante, majoritairement fondée sur les 3 100 centres médico-psychologiques.

Il est à noter que les établissements publics représentent 66 % des capacités d’hospitalisation à temps complet ou partiel en psychiatrie.

Les limites de l’ancien modèle de financement de la psychiatrie

Jusqu’en 2021, l’activité de psychiatrie était financée suivant deux modalités différentes :

  • la dotation annuelle de financement (DAF), rattachée à l’objectif de dépenses de l’assurance-maladie (Ondam),  allouée par les agences régionales de santé (ARS) aux établissements du secteur public, ainsi qu’aux structures privées à but non lucratif ;
  • les cliniques privées du secteur commercial et autres établissements sous objectif quantifié national (OQN) percevaient quant à eux un financement alloué à l’activité, sur la base de tarifs définis par prestation et discipline médico-tarifaire.

Ces modes de financement hétérogènes induisaient des organisations et des moyens de prise en charge différents entre secteur public et secteur privé. Le prix de journée lié à l’OQN exerçait ainsi une pression sur les taux d’occupation, n’encourageant pas les établissements à se tourner vers les alternatives ambulatoires à l’hospitalisation (comme les soins en hôpital de jour, mais aussi l’hospitalisation à domicile, encore très embryonnaire en France, contrairement à d’autres pays comme le Canada, l’Australie, ou les pays scandinaves). Quant à la dotation annuelle de financement DAF, elle ne prenait pas en compte le rapport qualité/coût d’une prise en charge, et conduisait à des inégalités budgétaires d’une région à l’autre, et d’un établissement à l’autre.

Une réforme tarifaire pour une nouvelle logique de financement de la psychiatrie

En introduisant une réforme du financement du secteur psychiatrique, le gouvernement a souhaité promouvoir un mode de financement commun à toutes les structures de psychiatrie, qu’elles soient publiques ou privées. L’objectif était également de corriger les écarts de financement entre régions et d’inciter les établissements à diversifier leurs prises en charge, en développant des suivis thérapeutiques innovants, notamment en ambulatoire.

En application depuis le 1er janvier 2022, l’article 34 de la Loi de financement de la sécurité sociale 2020 a défini un nouveau modèle de financement des activités de psychiatrie sous forme de dotations.

Concernant la part de l’assurance-maladie obligatoire, le financement de type « prix de journée » cède ainsi la place à des dotations réparties en huit compartiments :

  • Une dotation populationnelle, à hauteur de 78 %. Grande nouveauté de la réforme, ce compartiment de financement a pour vocation de réduire les inégalités de ressources inter‑régionales. En suivant un modèle de rattrapage, et non de convergence : les régions les mieux dotées ne devraient rien perdre, mais se verraient progressivement rattrapées par les régions les plus mal loties dans le financement actuel. Cette dotation est allouée par les régions, sur la base de 5 critères : surpondération de la population mineure, taux de pauvreté, taille des ménages, densité médicale et offre médico-sociale adaptée aux patients de psychiatrie.
  • Une dotation « file active » (soit le nombre de patients vus au moins une fois dans l’année), pour 15 % du total. Cette dotation a vocation à soutenir la dynamique d’activité des établissements et le développement de l’activité ambulatoire. Mais un décret paru le 31 décembre 2022 a supprimé le principe de dégressivité du tarif suivant la durée de prise en charge cumulée de chaque patient. Ce modèle dégressif avait en effet créé la polémique, ses détracteurs craignant qu’il n’encourage les établissements à multiplier le nombre de patients reçus et à raccourcir la durée des traitements.
  • Une dotation versée annuellement, suivant la qualité des soins (IFAQ) et celle du codage de l’activité dans l’établissement (pour 2 % du total).
  • Des dotations régionalisées, liées à des projets stratégiques de transformation de l’offre (pour environ 1 % de l’objectif).
  • Une dotation dédiée à la structuration de la recherche dans le champ de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie (pour moins de 1 % du total).

L’impact de la réforme tarifaire, encore difficile à évaluer

Dans son dernier rapport annuel sur la sécurité sociale, publié en octobre 2022, la Cour des comptes a pris position en faveur de la réforme du financement de la psychiatrie. La Cour espère une amélioration de l’efficacité de la dépense publique et une meilleure prise en compte des besoins de santé sur les territoires.

Dans une première estimation établie au 8 mars 2022(3), l’AP-HP table quant à elle sur une « potentielle neutralité » de la réforme du financement de la psychiatrie, cela, estime l’institution, « sous réserve de défendre le maintien de nos financements pour activité spécifique et d’améliorer le codage de l’activité 2022. » L’année 2022 servirait de support à une garantie de financement jusqu’en 2025.

La réforme du financement de la santé mentale n’est toutefois pas sans susciter quelques craintes. Il lui est reproché d’inciter les établissements à privilégier l’efficience des soins et leur rentabilité économique en multipliant le nombre de patients reçus, tout cela au détriment d’un temps de suivi au long cours. Or la maladie mentale est réputée pour sa chronicité, avec des troubles nécessitant des prises en charge pluridisciplinaires prolongées.

Le sort des établissements de santé mentale privés est particulièrement préoccupant. Avec l’abandon du prix de journée et le passage d’une logique rétrospective à un modèle prospectif, la réforme tarifaire de la psychiatrie pourrait avoir sur eux un impact déficitaire.

Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, a indiqué qu’un bilan de la réforme serait prochainement réalisé, suivant l’engagement pris lors des Assises de la psychiatrie et de la santé mentale, organisées à la demande du chef de l’État, en septembre 2021.

Lors des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, qui se tiendront au printemps 2023, la question de l’accroissement des ressources et du renforcement des capacités de prise en charge est à l’ordre du jour. Le gouvernement s’est dit déterminé à s’attaquer aux problèmes structurels du secteur.

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(1) Source : Data Pathologies – Assurance Maladie - 2022

(2) Source : Enquête Fondation Jean-Jaurès, Fondation européenne d’études progressistes et IFOP, juillet 2022 : https://www.jean-jaures.org/publication/covid-19-alerte-sur-la-sante-psychique-des-francais-et-des-europeens/

(3) https://cme.aphp.fr/sites/default/files/CMEDoc/cme8mars2022_reformesfinancements.pdf