Interview

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, et la transition juste en 5 questions

La crise en Ukraine va-t-elle accélérer ou ralentir la transition climatique ? Que peut faire la finance ? Le 23 juin 2022, lors des Dialogues de l’Economie citoyenne, François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la banque de France est intervenu pour apporter des réponses passionnantes et éclairantes dont nous vous livrons quelques morceaux choisis.

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Portrait de François Villeroy de Galhau

La finance - à savoir les banques centrales, la supervision, les politiques monétaires, la finance verte - ne peut pas tout faire pour la transition juste. Le sujet est compliqué car il est politique, économique et social. Il faut avoir le courage de dire à nos concitoyens que la finance ne peut pas tout résoudre.

François Villeroy de Galhau — Gouverneur de la Banque de France.

La crise en Ukraine va-t-accélérer ou ralentir la transition climatique ?

François Villeroy de Galhau : « Selon que l’on regarde à court terme ou à long terme, on est soit pessimiste soit optimiste sur la compatibilité entre ces deux chocs, l’urgence climatique et la guerre en Ukraine. À court terme, il y a contradiction et tout ce qui se passe à l’heure actuelle le confirme. Par exemple le retour du charbon limite la dépendance à la Russie mais augmente l’empreinte carbone. À moyen et long terme, nous pouvons tous avoir l’espoir que la crise ukrainienne soit un facteur d’accélération de la transition. Nous avions une raison initiale de changer notre mix énergétique : réussir cette transformation verte. S’y ajoute désormais l’impératif de souveraineté européenne. L’articulation entre court et long termes n’aura rien d’évident ; aux Européens de garder le cap de la compatibilité ». 

Qu’est-ce que la finance ne peut pas faire ?

François Villeroy de Galhau : « La finance - à savoir les banques centrales, la supervision, les politiques monétaires, la finance verte - ne peut pas tout faire pour la transition juste. Le sujet est compliqué car il est politique, économique et social. Il faut avoir le courage de dire à nos concitoyens que la finance ne peut pas tout résoudre, et je pense notamment à deux sujets indispensables à la transition énergétique. D’abord celui du prix du carbone. Tous les économistes sont d’accord pour dire que s’il n’y a pas de prix du carbone et donc pas d’incitation économique, nous ne réussirons pas la transition. Or c’est un sujet difficile, notamment socialement. Autre sujet que la finance ne peut pas résoudre : l’accélération et la mutualisation de la technologie, de la recherche et de l’investissement tournés vers l’urgence climatique. Nous ne résoudrons pas la crise climatique sans innovation technologique. »

Qu’est-ce que la finance peut faire ?

François Villeroy de Galhau : « Beaucoup ! À la Banque de France, nous y croyons énormément et nous avons eu un rôle leader en Europe et sans doute dans le monde. Ainsi, en décembre 2017, à la suite du départ de Monsieur Trump de l’Accord de Paris, s’est tenu le One Planet Summit qui a permis de créer le Network for Greening the Financial System (NGFS), avec 7 autres superviseurs et banques centrales. Dans mon assez longue carrière, j’ai rarement vu un sujet accélérer aussi vite, à la fois en nombre - nous sommes plus de 110, y compris la réserve fédérale américaine - en énergie et en enthousiasme. Car nous ne sommes plus seulement « willing » mais « committed ». Comme superviseur des banques et des assurances, nous prévenons les risques et encourageons les opportunités.
Le message le plus simple et le plus fort de ce réseau est que le risque climatique représente un risque financier et qu’il est donc core business. Nous avons donc des exigences sur la photographie des risques et leur réduction ; mais aussi sur la projection des risques à long terme via une technologie très innovante, dont le premier stress test a eu lieu au printemps 2022 en France, réalisé avec de nombreuses banques et assurances. Il s’agit, à partir de scénarios économiques, de projeter la déformation de risques climatiques que portent les banques et assurances. C’est un outil perfectible et c’est pourquoi les premiers stress tests à l’échelle de l’union bancaire européenne sont en cours.

Sur les opportunités, c’est à dire la question de la finance verte, une des mesures que nous pouvons et devons prendre coté pouvoirs publics est celle de la normalisation des publications extra-financières. Car il y a trop de normes, de labels différents. Une harmonisation européenne est nécessaire - l’Europe avance vite en la matière - et une harmonisation internationale aussi afin d’établir des éléments de comparaison avec les entreprises américaines ou asiatiques par exemple. A défaut, les engagements volontaires s’essouffleront peu à peu. Il faut donc une standardisation et une obligation de publication.

En tant que banque centrale, nos moyens d’actions sont d’abord de verdir nos portefeuilles d’investissement. La Banque de France – qui agit en ce sens depuis 2019 – est pionnière quant à l’alignement des investissements au regard de l’objectif de limitation du réchauffement climatique, et va à très court terme passer de 2 à 1,5 degré. Coté politiques monétaires, au niveau européen, un plan d’actions vient d’être acté, porté par la Banque centrale européenne (BCE) ».

Quelle est la modélisation économique associée au climat ?

François Villeroy de Galhau : « Nous sommes au tout début de cette macro-économie du climat, c’est à dire de l’évaluation de l’impact de la transition écologique sur la croissance, l’inflation et tous les autres grands agrégats. Sur ce point, le plan d’actions de la BCE prévoit d’incorporer dans tous nos modèles de prévisions économiques l’effet de la transition climatique, et pas seulement à 30 ans mais aussi à 3 ans, à 5 ans. Ceci entraînera des conséquences sur la conduite des politiques économiques. Quant aux conséquences sur la croissance, il y a sans nul doute un coût, qui reste difficile à définir. Mais nous n’avons pas le choix, d’autant plus qu’un consensus existe sur le fait que plus nous attendrons pour mener cette transition, plus le coût sera élevé. À l’horizon 2050, le coût en termes de PIB de la transition climatique sera 5 à 10 fois plus lourd s’il y a une transition tardive plutôt qu’immédiate. Autre précision : si pour l’heure l’inflation est liée à la reprise post Covid et ensuite au conflit ukrainien, dans les années à venir, la greenflation est difficile à prédire mais aura bien un effet amplificateur, toutefois modéré et qui doit se gérer sur la durée et de manière ordonnée ».

Avons-nous les moyens de financer la transition climatique ?

François Villeroy de Galhau : « Plusieurs centaines de milliards d’euros d’ici 2030 : les besoins d’investissements estimés sont absolument colossaux et nos moyens publics n’y suffiront pas. Ils sont d’ores et déjà mobilisés ; je pense ici au Next Generation EU, le plan européen post‑Covid. Il y a un vrai alignement entre les objectifs d’intérêt général et des investissements privés. Là aussi c’est rare. Et il convient d’accélérer les investissements privés pour l’Europe, notamment en approfondissant l’union des marchés de capitaux. Cela consiste à s’appuyer sur une ressource abondante en Europe : nos 300 milliards d’euros d’épargne privée excédentaire chaque année avant le choc énergétique actuel, qui vont s’investir en dehors de l’Europe. Or nous avons des besoins de financements très importants pour la transition énergétique et numérique et nous ne savons pas bien diriger ces ressources vers ces investissements. Pourquoi ? Parce que, comparés à la finance américaine, nos systèmes bancaires sont encore trop nationaux et nos marchés de capitaux type private equity sous-développés.

À propos des Dialogues de l’économie citoyenne

Cet évènement annuel organisé par La Banque Postale réunit chercheurs, économistes, dirigeants d’entreprises, responsables d’institutions internationales, banquiers centraux, investisseurs et représentants d’ONG afin de réfléchir aux principaux enjeux liés aux transitions environnementales, sociales, numériques et territoriales et au rôle des acteurs économiques et financiers. Le 23 juin était consacré à une thématique spécifique : la transition juste et la transformation de la finance et Monsieur François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la banque de France y a délivré le discours final, articulé autour des 5 questions mentionnées ci‑dessus.