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Quels scénarios pour financer l'accélération des investissements climat locaux ?

Les collectivités territoriales disposent de compétences clés pour l’atteinte des objectifs nationaux de neutralité carbone. Elles doivent, pour ce faire, plus que doubler le niveau de leurs investissements climat annuels d’ici à 2030. Le 7 novembre l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) et La Banque Postale ont présenté une étude prospective inédite sur les modalités possibles de financement de cette accélération. Avec quatre scénarios, comme autant d’hypothèses pour nourrir et faire progresser le débat.

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En octobre 2022, une étude très remarquée sur les nécessaires investissements territoriaux pour le climat avait été publiée par I4CE. L’institut de recherche dédié à la documentation des enjeux économiques et financiers du changement climatique y affirmait la nécessité, pour les collectivités locales, de passer de 5,5 à 12 milliards d’euros d’investissements annuels d’ici à 2030, pour satisfaire aux exigences de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).

À partir des budgets territoriaux au 31 décembre 2022 et d’hypothèses d’évolution à horizon 2030, I4CE et La Banque Postale documentent dans une nouvelle étude divers scénarios d’intégration de ces besoins d’investissements climat dans les comptes des collectivités afin de modéliser la capacité des finances locales à absorber l’effort supplémentaire requis.

«Nous avons travaillé à partir d’un modèle prospectif novateur, développé par La Banque Postale » indique François Thomazeau, chercheur senior chez I4CE. « Nous avons fait le choix de scénarios de financement très contrastés, pour analyser les vertus et limites de chacun d’eux. Chaque scénario soulève des difficultés politiques majeures. En ce sens, notre étude fournit des outils pour enrichir les débats ».

Des scénarios de financement très contrastés

Les scénarios de financement des investissements territoriaux pour le climat ont été construits, dans l’étude La Banque Postale/I4CE, sur la base de quatre leviers différents :

  • La redirection de dépenses d’investissement existantes, à hauteur des investissements climat nécessaires.
  • La mobilisation des ressources propres des collectivités : fiscalité, tarification, cessions d’actifs, prélèvement sur le fonds de roulement, etc. Soit autant de marges d’optimisation budgétaire sur lesquelles les élus locaux ont la main.
  • L’accroissement des financements de l’État, en fonctionnement comme en investissement.
  • La hausse de la dette locale.

Scénario d’ajustement par la dette

C’est un scénario dans lequel le surplus des investissements climat nécessaires par rapport à la courbe de progression habituelle est financé par l’emprunt.

Principaux résultats : dans ce scénario, la situation financière des collectivités, appréciée par le délai de désendettement(1), se dégrade sur la période. L’encours de la dette locale augmente fortement, de près de 200 Md€ à fin 2022 (soit 7,4 % du PIB) à plus de 300 Md€ à fin 2030 (soit 8,4 % du PIB). Ce scénario marque donc une vraie inflexion, avec une augmentation de l’encours de dette de 54 %, sachant que ce dernier n’a augmenté que de 20 Md€ au cours des 8 dernières années.

En termes de délai de désendettement, la dégradation reste relativement maîtrisée pour le bloc communal. Mais les conseils régionaux et départementaux sont rapidement exposés à des difficultés financières.

Le scénario de la dette ouvre deux types de débats :

  • Celui de la vision de l’État sur l’évolution de la dette locale dans les années à venir. Les documents de programmation des finances publiques prévoient en effet une diminution du ratio dette/PIB sur la période 2023-2027.
  • Celui de l’appétit des collectivités pour la dette. Le constat actuel est qu’un grand nombre d’entre elles ne s’endettent pas à hauteur de ce qu’elles pourraient.

Scénario de redirection d'une partie des investissements

Dans ce scénario, les investissements climat sont réalisés en lieu et place d’autres investissements « non verts ».

Principaux résultats : dans ce scénario, les investissements climat évoluent conformément au cycle électoral d’investissement (baisse les deux premières années du mandat puis montée en charge progressive). Leur impact est donc plus faible sur les finances locales que dans les autres scénarios. L’endettement ne progresse en effet que de 25 Md€ sur la période, pour ne plus représenter que 6 % du PIB à fin 2030. La capacité de désendettement des communes s’améliore, mais elle se dégrade malgré tout pour les départements et les régions.

Ce scénario « redirection » ouvre deux types de débats :

  • Une réflexion sur ce à quoi les collectivités peuvent ou doivent renoncer pour faire face aux nécessaires investissements climat, souvent évoquée, jamais approfondie.
  • Une mesure des dépenses « brunes » des collectivités, néfastes pour le climat. Le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz de mai 2023 estime que près du tiers des investissements supplémentaires requis pour la transition écologique, tous acteurs confondus, sera financé par une réorientation de dépenses dirigées aujourd’hui vers les énergies fossiles. Qu’en est-il pour les collectivités ?

Scénario d’augmentation du soutien de l’État

L’étude table sur une indexation de la DGF sur l’inflation (ce qui n’est actuellement pas le cas). Elle retient en outre la reconduction annuelle du fonds vert à hauteur de 2,5 Md€ de dotations d’investissement, tel qu’annoncé pour 2024.

Principaux résultats : ce scénario ne permet pas, loin s’en faut, de boucler le financement des investissements climat locaux. L’épargne des collectivités s’améliore légèrement. Mais le recours à l’emprunt s’accroît : + 75 Md€ en 2030 par rapport à 2022.

La solvabilité globale des collectivités se dégrade sur la période. Le soutien de la DGF en atténue les conséquences sur les capacités de désendettement des départements, mais ne résout pas le problème des régions.

Les questions ouvertes par ce scénario « État », qui reporte sur ce dernier la question du financement de la transition, sont les suivantes :

  • Celle de l’efficacité des financements d’État – qui doit passer notamment par une évaluation du fonds vert sous l’angle de sa capacité à susciter réellement de nouveaux investissements locaux ;
  • Celle du soutien de l’État à l’épargne des collectivités locales ;
  • Enfin, celle du besoin de visibilité à moyen terme des investisseurs publics locaux, donc d’un engagement pluriannuel de l’État à leur côté.

Scénario de recours aux ressources propres

Dans ce scénario, les collectivités activent divers leviers pour dégager de nouvelles ressources propres. L’étude forme ainsi l’hypothèse d’une augmentation importante de certaines recettes (taxe foncière, CFE, tarification des services, cessions d’actifs) en particulier au début du prochain mandat municipal, mais aussi d’une ponction sur le fonds de roulement des collectivités chaque année.

Principaux résultats : l’intérêt de ce scénario est qu’il met en lumière les marges de manœuvre des collectivités pour financer leurs investissements.

Ce scénario est celui qui dégage le plus de ressources en fonctionnement et produit les effets les plus significatifs sur la bonne santé financière des collectivités. Leur dette augmente (35 Md€ de plus sur 2022–2030). Mais l’épargne est, elle aussi, très dynamique, surtout à compter de 2027–2028. La solvabilité des collectivités, stable jusqu’à cette date, s’améliore ensuite.

Le principal débat ouvert est celui du report sur le contribuable et l’usager de la charge de la transition écologique dans les collectivités, et des problèmes d’équité que ce sujet soulève. C’est là un sujet sensible : du fait de la structure des finances locales, le contribuable local est en fait essentiellement un propriétaire.

Conclusion

Il découle de l’étude I4CE/La Banque Postale plusieurs enseignements transverses :

  • Dans tous les scénarios où les investissements climat s’ajoutent aux investissements habituels, les collectivités atteignent un point haut historique de leurs dépenses d’équipement, à environ 80 Md€ en 2030, contre 55 Md€ en 2022. La situation n’est toutefois pas inédite : c’est un retour, en euros constants, au pic d’investissement historique du milieu des années 2000.
  • En dépit de leurs divergences, les divers scénarios tablent tous sur une augmentation de l’encours de dette des collectivités. Ils s’écartent en cela de la vision du désendettement local portée par l’État dans sa loi de programmation.
  • Les conseils régionaux et, dans une moindre mesure, les conseils départementaux font face à des difficultés financières rendant la plupart des scénarios en partie inopérants à ces échelons. La question se pose surtout pour les régions, dont la responsabilité pour le climat est majeure, et pour qui la marche à gravir en termes de dépenses d’équipement est la plus importante, de près de +50 % entre 2022 et 2023. En tant qu’autorités organisatrices de la mobilité, elles doivent en effet porter des infrastructures ferroviaires lourdes.
  • De tous les leviers envisagés, celui produisant les effets les plus massifs sur la soutenabilité des finances locales est celui mobilisant de nouvelles ressources propres des collectivités. Mais c’est le scénario le plus difficile à mettre en œuvre politiquement.
Portrait de François Thomazeau

Nos hypothèses de travail sont à considérér comme un minimum.

François Thomazeau — Chercheur senior au sein d’I4CE

« Il faut prendre les objectifs d’investissement sur lesquelles nous avons planché avec La Banque Postale comme un minimum. L’estimation de 12 milliards d’euros d’investissements climat annuels est en effet antérieure à la refonte – en cours – de la Stratégie nationale bas carbone. Antérieure aussi à la décision de l’Europe de revoir à la hausse des objectifs climatiques de la France (dans le cadre de la feuille de route européenne Fit for 55). Il est plus que probable que les collectivités devront augmenter encore leur niveau d’investissement dans les secteurs prioritaires : mobilités (transports collectifs, aménagements cyclables etc.), modernisation du patrimoine territorial (immobilier, flotte de véhicules) et développement de réseaux de chaleur. Les coûts liés à d’autres objectifs environnementaux comme l’adaptation aux impacts du changement climatique ou la lutte contre l’érosion de la biodiversité ne sont pas non plus intégrés dans cette évaluation, de même que les dépenses de fonctionnement associées aux investissements dont on parle.

L’étude que nous publions aujourd’hui sur le financement de l’accélération de l’action climatique des collectivités locales doit par ailleurs être lue au regard de l’analyse de La Banque Postale sur l’état des finances locales, parue en septembre. Cette Note de Conjoncture 2023 fait état d’indices préoccupants d’un changement de cycle pour les finances locales, avec notamment une baisse de l’épargne qui, si elle devait durer, aurait un impact sur leurs investissements ».

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(1) Qui représente la capacité des collectivités à rembourser leur dette en y consacrant la totalité de leur épargne.