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Les budgets verts : une opportunité pour lever les freins à la dette verte ?

Expérimentés à petite échelle dans certains territoires pionniers, les budgets verts deviennent une obligation pour les communes et EPCI de plus de 3 500 habitants aux termes de la loi de finances 2024. Cet outil de traduction de l’effort financier des collectivités territoriales en faveur de la transition écologique pourrait permettre d’accélérer les investissements en faveur de la décarbonation dans les territoires.

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Hasard ou coïncidence ? Le jour même où, en octobre dernier, le ministère de l’Économie publiait la quatrième édition du « Rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État », ou budget vert de l’État pour 2024, une étude d’I4CE  dressait le bilan de 4 années d’expérimentation de la budgétisation verte au sein des collectivités. Depuis 2020, note ce bilan d’I4CE, une centaine de collectivités de toutes tailles et de tous échelons se sont ainsi essayées à l’évaluation environnementale de leur budget. Parmi ces pionnières du budget vert figurent 11 des 13 régions métropolitaines, 12 départements et un tiers des communes et intercommunalités de plus de 100 000 habitants.

Budget vert : de quoi parle-t-on ?

Un « budget vert » est une analyse ligne à ligne du budget d’une collectivité, dans le but d’identifier les dépenses favorables ou défavorables au regard de leur impact sur l’environnement. L’objectif est d’assurer un meilleur suivi des investissements « verts » réalisés par les collectivités pour la transition écologique. En se prêtant à cet exercice, les collectivités impliquées peuvent « transversaliser » les enjeux environnementaux auprès de l’ensemble de leurs services, mieux communiquer sur leurs contributions aux objectifs climat de la France, objectiver leurs efforts et inclure un critère environnemental à leurs arbitrages budgétaires.

Dans les faits, note I4CE, le principal apport de la budgétisation verte est « d’institutionnaliser et de systématiser des moments d’échange sur les enjeux environnementaux lors des discussions budgétaires ». Le budget vert apparaît dès lors plutôt comme un outil de pilotage stratégique interne et d’animation managériale pour l’appropriation des enjeux environnementaux par l’ensemble des services et des élus, que comme un instrument d’arbitrage budgétaire ou de reporting.

« Les exercices de budgétisation verte conduisent les techniciens et les élus à aborder les enjeux environnementaux tout au long du cycle budgétaire », note i4CE. « Ils facilitent une montée en compétences générale et donnent plus de sens à l’action publique locale.»

À la communauté d’agglomération de Bourg-en-Bresse, pionnière depuis 2021 de la budgétisation verte, un cercle vertueux a été initié. La classification, intégrée, dans le logiciel financier de la collectivité, est devenue un outil d’aide à la décision. Des arbitrages sont effectués entre les projets d’investissement suivant leur impact écologique. Bons de commandes et de mandatements sont également ventilés suivant l’impact de chaque opération. Résultat : un petit tiers des dépenses de la collectivité relève de la transition écologique, un pourcentage en constante amélioration.

Transcription législative : vers une généralisation des budgets verts

Dans des recommandations datant de 2023(1) sur l’alignement des budgets régionaux et locaux avec les objectifs écologiques nationaux et internationaux, l’OCDE plaide pour un ajustement des nomenclatures comptables. L’idée est de distinguer les dépenses « vertes » des dépenses « brunes », les plus critiques pour la décarbonation des territoires. Pas si simple, d’autant que l’environnement réglementaire et normatif évolue vite.

Avec un amendement gouvernemental introduit dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, la mise en place d’un budget vert devient obligatoire pour les communes, groupements et établissements publics locaux de plus de 3 500 habitants. Cette obligation ne concerne que les dépenses d’investissement. Elle sera matérialisée par l’instauration d’une annexe budgétaire au compte administratif intitulée « Mesure de l’impact environnemental du budget ». Cela à compter de l’exercice 2024, et en ne ciblant que le seul compte administratif des collectivités, en réponse aux demandes des associations d’élus. Pour Thomas Cazenave, ancien ministre délégué aux Comptes publics, qui avait déposé une proposition de loi à l’été 2023 en vue de généraliser les budgets verts dans les collectivités, le seuil de 3 500 habitants s’explique par le déficit relatif en ingénierie dans les petites communes, pour lesquelles il faut, selon lui, « laisser un peu plus de temps et réfléchir à un accompagnement ».

Présenté comme un outil expérimental construit en concertation avec les associations d’élus, le budget vert sera dans un premier temps restreint à quelques axes d’analyse : atténuation et adaptation au changement climatique, protection de la biodiversité, etc.

Lever les freins à l’investissement via la dette verte

Pour Bercy, le premier objectif des budgets verts est « d’éviter l’anarchie », rapporte La Gazette des communes(2). Le ministère espèrerait également en faire un levier de recherche de nouveaux financements. Pour un certain nombre d’observateurs, la dette verte est une contrepartie naturelle d’une dette climatique du territoire. Et la budgétisation verte pourrait rendre la dette plus acceptable, quand elle est encore vue, à l’heure actuelle, comme un signe de mauvaise gestion de la part des élus locaux. Et ces observateurs de pointer la contradiction existante entre un investissement public porté à plus de 70 % par des collectivités, et la part de ces dernières dans la dette publique française, qui ne dépasse pas 10 %. Pour Thomas Cazenave, instigateur de la mesure(3), « la dette verte est absolument indispensable parce que nous n'avons plus de temps à perdre pour accélérer les nombreux chantiers de transition écologique. Il ne serait pas choquant qu’il y ait un surcroît d’endettement pour franchir le mur d’investissement des collectivités. C’est pour cette raison qu’il est important de bien isoler la dette verte et de bien flécher leur budget sur des investissements verts. » Pour rappel, une étude d’I4CE d’octobre 2022 a montré que les collectivités devraient plus que doubler le niveau de leurs investissements climat annuels d’ici à 2030.

Budgets verts : quelle possible appropriation ?

La budgétisation verte, accélérateur de la transition écologique au sein des collectivités ? Pour ne pas rester un vœu pieux, le verdissement du budget devra suivre celui des investissements et des achats. Une étude réalisée auprès d’élus et d’agents des collectivités locales en avril 2023(4) pointait toutefois leur relatif manque de motivation : pour 40 % des collectivités interrogées, le déploiement de la budgétisation verte serait inefficace comme accélérateur de la transition écologique dans les territoires. 34 % des répondants (27 % des collectivités de plus de 10 000 habitants et 48 % des plus petites) n'envisageaient alors pas la mise en place d’outils de budgétisation verte. En cause, l’absence de ressources internes dédiées, la méconnaissance des méthodes disponibles et le manque de formation.

« Pas de problème de financement pour la transition écologique et climatique »

Le 16 janvier dernier, La Banque Postale organisait avec ses partenaires I4CE et Sfil un colloque sur le thème « Les investissements climat des collectivités : comprendre pour agir ». Cette conférence a fourni l’occasion de rappeler l’importance du rôle des collectivités, omniprésentes dans les feuilles de route de la Stratégie Nationale Bas Carbone du fait de leurs compétences et de leur poids (75 %) dans le patrimoine public, selon I4CE. La rencontre a également permis de tracer le chemin à parcourir pour déployer la stratégie de résilience portée par The Shift Project. Une table-ronde composée notamment de grands élus a aussi permis d’inventorier l’ensemble des leviers mobilisables pour agir et financer les nécessaires investissements : priorisation et redirection d’investissements, généralisation des budgets verts...

Stéphane Dedeyan, Président du directoire de La Banque Postale, lors du colloque sur le thème « Les investissements climat des collectivités : comprendre pour agir »

Il n’y a pas de problème de financement de la transition écologique et climatique du côté des financeurs pour les collectivités. Le problème est plutôt celui de la pénurie de projets.

Philippe Mills — Directeur général de Sfil

2024 sera une année charnière au regard de l’objectif de - 55 % de gaz à effet de serre à horizon 2030. Tout mis bout-à-bout, on sait aujourd’hui comment agir pour y parvenir. Mais cela ne marchera que si tout le monde bouge. La démarche des COP territoriales(5) est à cet égard très structurante. C’est un lieu où l’on part de l’existant pour voir ce qu’il reste à faire territoire par territoire. Nous sommes face à un besoin d’investissement massif, évalué par Jean Pisany-Ferry à 60 milliards d’euros à horizon 2030, secteurs public et privé confondus. Les collectivités ont une ascèse à adopter pour l’évaluation de tous leurs projets. Le budget vert créé par la loi de finances 2024 va les y aider, en créant une forme de taxonomie pour avancer en priorisant leurs investissements. 

Antoine Peillon — Secrétaire général à la planification écologique

Portrait de Stéphane Dedeyan

La Banque Postale est un jeune financeur. Nous voulons être contributeurs aux réflexions et aux actions menées dans les territoires. À nos yeux, il ne peut y avoir de transition écologique sans transition sociale, et la dimension territoriale des défis à relever est centrale. La Banque Postale est une entreprise à mission qui s’efforce de transformer son métier de bancassureur par la culture de l’impact, en proposant des offres intégrant nativement les enjeux de durabilité. 

Stéphane Dedeyan — Président du directoire de La Banque Postale

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