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Quand le ZAN questionne la production du logement social et l’aménagement du territoire

Suivant les objectifs du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols à horizon 2050, l’étalement urbain cède la place au renouvellement, à la densification et au recyclage du bâti. Révolution pour les collectivités territoriales, le ZAN invite les organismes HLM ainsi que les aménageurs, plutôt vertueux en termes de consommation foncière et d’emprise artificialisée, à produire le logement social et gérer leur patrimoine autrement. 

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L’époque de la construction massive de grands ensembles sur des terres agricoles, caractéristiques de l’urbanisme des années 60-70, est révolue. Avec le ZAN, la ville se construit de plus en plus sur la ville elle-même. Le ZAN confronte les bailleurs sociaux à des enjeux multiples. La production HLM doit dès à présent privilégier le recyclage foncier, la valorisation des friches, le réemploi et l’optimisation du bâti existant. Mais au-delà de la sobriété foncière et de la lutte contre l’étalement urbain se posent également les questions de la concurrence accrue pour l’accès au foncier, de la densité acceptable par les habitants, de la préservation des espaces verts, de la qualité écologique des milieux ou encore de l’amélioration du cadre de vie. Car pour beaucoup de Français, densification rime encore avec bétonisation et bitumisation.

Le logement, premier consommateur de sols en France

Apparu en 2018 dans le Plan Biodiversité du Gouvernement et formalisé dans la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021, l’objectif Zéro Artificialisation Nette des sols implique de diviser par deux la consommation foncière en 2030, pour atteindre en 2050 un arrêt de l’artificialisation des espaces naturels, agricoles ou forestiers.

L’enjeu est d’importance : l’habitat est le premier usage de consommation des sols en France. Entre 2009 et 2019, il a contribué à hauteur de 68 % à l’artificialisation des sols, selon une étude du Cerema. Or si 87 % des nouveaux logements (sociaux comme privés) produits en Île‑de‑France le sont sur des espaces déjà urbanisés(1), il demeure 13 % de nouveaux logements dont la construction engendre des coupures de corridors écologiques, la perte de fonctionnalités des espaces ouverts et des sols et la disparition de la biodiversité.

Le logement social, vertueux en termes d’artificialisation des sols

Les HLM créent des formes urbaines plutôt compactes. Les opérations de logements sociaux présentent en effet une densité à la parcelle 7 fois supérieure à celle du parc non HLM : pour chaque nouvel hectare urbanisé, on dénombre actuellement 96 logements en moyenne dans le parc social, contre 14 dans le parc non HLM(2).

Le logement social est de fait déjà sur la trajectoire vertueuse du ZAN. Dans les récentes études réalisées par le Cerema, il apparaît ainsi que 67 % de la production HLM en région Hauts-de-France sont déjà réalisés dans l’enveloppe urbaine ou en renouvellement urbain, et que 85 % des opérations de logement social se font en recyclage urbain en Île-de-France.

Au cours des 10 dernières années, les constructions HLM n’ont représenté que 20 % de l’extension urbaine produite par l’ensemble du secteur du logement.

Des modes de production de logements sociaux revisités

Pour l’Union Sociale pour l’Habitat, porte-parole du mouvement HLM, « la mise en œuvre de l’objectif ZAN ne doit pas constituer un prétexte pour se soustraire à l’obligation de maintenir une capacité de production de logements abordables. » 

Encore peu présente dans la production HLM, l’acquisition-amélioration est l’une des réponses possibles pour résoudre l’équation. Ce montage repose sur l’achat, par les organismes HLM, de logements du parc privé, progressivement conventionnés en logements sociaux, avec ou sans travaux de réhabilitation. Gros avantage : ce mode de production est neutre en termes de consommation foncière. Apparue au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi SRU, en 2000, l’acquisition-amélioration a offert aux bailleurs sociaux un moyen de se développer dans de nouveaux territoires peu dotés en logements sociaux. Entre 2016 et 2020, selon l’Ancols(3), 33 % des opérations d'acquisition-amélioration ont concerné des communes déficitaires au regard de la loi SRU. Dans le cadre du programme Action cœur de ville, plan d’investissement ciblant la redynamisation des centres de 222 villes moyennes, ces opérations ont permis de mobiliser des actifs existants, jugés obsolètes ou inadaptés, comme des immeubles de bureaux.

Ce nouveau mode de production du logement social se concentre pour l'instant essentiellement dans les grandes métropoles. Paris représente, à elle seule, 23 % des logements en acquisition-amélioration agréés entre 2016 et 2020.

Si les bailleurs sociaux restent peu proactifs sur la question, c’est qu’un certain nombre de freins demeurent : manque de visibilité sur les opportunités immobilières, technicité des opérations de travaux et surcoût important. Entre une opération d’acquisition-amélioration et une opération en construction neuve, le différentiel de prix varie de 600 € par mètre carré en zone C (sous-dense) à 1 400 € en zone tendue, et jusqu’à 2 000 € à Paris.

La vente en état futur d’achèvement (Vefa) est une autre option possible pour répondre aux défis du ZAN. Dans ce type de montage, les bailleurs sociaux procèdent à l’achat partiel de programmes immobiliers construits et commercialisés par des promoteurs. La Vefa a représenté, entre 2001 et 2018 en Île-de-France, 18 % du total des logements sociaux produits.

Autre solution de densification sans nouvelle emprise foncière, la surélévation de bâtiments dans les secteurs tendus.

Les zones rurales, semi-rurales et péri-urbaines ne sont pas en reste. En recréant de la tension foncière, le ZAN crée des opportunités de redynamiser des centres en perte de vitesse et d’attractivité. Des opérations de revalorisation y voient le jour, mobilisant des bâtiments vacants en centre-bourg ou le recyclage de bâtiments d’activités.

Dans la perspective du ZAN, certains territoires sont par ailleurs engagés dans le dispositif expérimental « Territoires pilotes de sobriété foncière », initié dans le cadre du programme Action cœur de ville.

La densification du patrimoine existant constitue donc un levier de production sociale efficace. Mais qui suppose une connaissance préalable des gisements valorisables : pignons aveugles, parkings surdimensionnés, assiette foncière sous-utilisée de certains équipements etc. 

Rendre le foncier accessible

Au-delà de la stratégie foncière et patrimoniale des bailleurs, l’action des collectivités, responsables des règlements d’urbanisme, s’avère déterminante.

Pour rendre le foncier accessible, la volonté politique joue un rôle clé. Les élus disposent de plusieurs outils, comme la mise en place de servitudes de mixité sociale (SMS), qui imposent aux promoteurs immobiliers de réserver une partie de leur production à l’accession et à la location sociales. Autre instrument mobilisable : le dispositif de l’Office foncier solidaire / Bail réel solidaire, qui permet de dissocier la propriété du terrain de celle du bâti, ceci pour produire une offre accessible aux ménages modestes dans des secteurs aux coûts fonciers élevés.

Les plans locaux d’urbanisme communaux ou intercommunaux (PLU et PLUI) ont par ailleurs montré leur efficacité pour favoriser la densité, par exemple en allégeant les normes de stationnement, en prévoyant des bonifications de constructibilité, ou en définissant des secteurs de densité minimale sur des emprises de projet (en ZAC) ou à proximité des axes de transport collectif.

Vers une application territorialisée du ZAN ?

En 2022, la Commission des affaires économiques du Sénat a réalisé un sondage auprès des élus locaux, en leur demandant comment ils appréhendaient la question du ZAN. Si aucun des répondants ou presque ne remet en cause la nécessité d’une protection des sols, essentielle pour la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité, les élus sont nombreux à dénoncer l’absence de modèle économique du ZAN. Cela, à l’heure où 73 % des PLU vont devoir être révisés et où les contraintes financières pesant sur les collectivités territoriales se resserrent.

La même Commission des affaires économiques du Sénat estime qu’un objectif uniforme de baisse de 50 % de l’artificialisation des sols pourrait réduire le volume de production annuelle de logements de quelque 110 000 unités.  

Estimant que l’objectif ZAN vient complexifier l’équation économique du logement social, l’Union Sociale pour l’Habitat a lancé, en janvier 2022, un appel à propositions de recherche sur « Les défis économiques d’un logement et d’un foncier abordable ».

Les sénateurs plaident quant à eux (avec une proposition de loi déposée début 2023) pour une adaptation des conditions d’application du ZAN, ceci afin de permettre aux communes, en particulier rurales, de pouvoir conduire des projets essentiels à leur développement. L’article 191 de la loi « Climat et Résilience » prévoit d’ailleurs que les objectifs fixés en matière de réduction de l’artificialisation des sols soient appliquées « de manière différenciée et territorialisée ».

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(1) Source : base MDI de l’Institut ParisRégion

(2) Source : Cerema / Institut Paris Région

(3) Agence nationale de contrôle du logement social