Les Ehpad ont-ils encore un avenir ? Réunis en assises nationales annuelles, les 10 et 11 septembre derniers, les professionnels du secteur se sont posé cette question quelque peu provocatrice. Le 24 septembre, sous la bannière « Les vieux méritent mieux », 18 fédérations et associations de professionnels et de personnes âgées, représentant quelque 600 établissements et services, ont décidé d’une « union sacrée » pour porter les combats du secteur en vue d’obtenir davantage de moyens pour les Ehpad.
Une situation massivement déficitaire
La FNADEPA (Fédération Nationale des Associations de Directeurs d'Établissements et Services pour Personnes Agées), dans une étude dont les résultats ont été dévoilés lors des assises, a révélé que 71,7 % de ses adhérents (des dirigeants d’Ehpad de tous statuts) anticipent un déficit à fin 2024, contre 65,2 % en 2023. Une nette dégradation qui, avec 157 000 euros de déficit prévisionnel moyen, n’est pas sans conséquence sur l’accompagnement proposé aux résidents.
De son côté, la FHF (fédération hospitalière de France) a fait savoir que 85 % des Ehpad publics qu’elle représente affichent un résultat déficitaire à fin 2023. Ce déficit a atteint un niveau record de 3 850 € par place en moyenne cette même année. Les Ehpad publics, qui se caractérisent par une forte proportion de situations mono-établissement et par des frais de personnels particulièrement élevés, se révèlent spécialement touchés par les difficultés financières.
À court terme, les Ehpad opèrent des prélèvements sur leur fonds de roulement et voient leur trésorerie se dégrader dangereusement. L’inquiétude liée à la situation massivement déficitaire de ces établissements se double de deux autres constats inquiétants : un taux d’occupation moyen en recul depuis la « crise Orpéa » (à 89 % fin 2023, contre 93,4 % fin 2019, selon le think tank Matières Grises) et des tensions toujours fortes sur les ressources humaines.
Un rapport sénatorial en vue d’assainir la situation
Pour les trois sénatrices (Chantal Deseyne, Solanges Nadille et Anne Souyris) autrices d’un rapport publié fin septembre 2024 dans le cadre d’une mission d’information sur la situation des finances et de la gouvernance des Ehpad, « L’état des lieux est catastrophique. Tous les indicateurs sont au rouge. En trois ans, le nombre des établissements publics et privés non lucratifs en déficit a triplé. »
Jugée « sous dimensionnée » par les autrices du rapport dans un contexte de sous-financement chronique, la réponse apportée par les pouvoirs publics a pris la forme d’un soutien exceptionnel d’urgence. Sur les 100 millions d’euros de rallonge débloqués en 2023, plus de 60 millions avaient été distribués début octobre 2024, en grande majorité (83 %) à des Ehpad de statut public. Pour Chantal Deseyne, « Le Gouvernement a préféré augmenter le débit d’eau d’un robinet percé plutôt que de le réparer. ». En l’absence de mesures structurelles découlant d’une loi Grand Âge, les sénatrices formulent 19 propositions pour la survie du secteur et la préfiguration d’un nouveau modèle d’Ehpad. Pour rétablir rapidement l’équilibre financier des établissements, elles appellent à une mobilisation de l’excédent de la branche autonomie, qui avoisine 1,2 milliard d’euros pour 2024, et demandent une pérennisation du fonds d’urgence.
À ces solutions de court terme pourraient s’ajouter, selon elles, l’instauration d’une assurance dépendance obligatoire pour tous les Français, la création d’une nouvelle journée de solidarité ou encore, pour une assiette plus large, une nouvelle ponction sur la contribution sociale généralisée.
Enfin, les sénatrices estiment qu’une convergence des valeurs de point GIR*$ entre départements, pour la détermination des forfaits « dépendance », permettrait de résorber les disparités entre territoires.
Le GIR (groupe iso-ressources) correspond au niveau de perte d'autonomie d'une personne âgée. Il est calculé à partir de l'évaluation effectuée à l'aide de la grille AGGIR.
La réforme du financement des Ehpad en marche
Pour beaucoup d’observateurs, la situation actuelle des finances des Ehpad est un symptôme, et appelle une réforme profonde de leurs modalités de financement.
À ce jour, le financement des établissements se répartit entre trois sections tarifaires distinctes et non fongibles :
- une section « soins » financée par la branche autonomie de la Sécurité sociale via les agences régionales de santé (ARS), pour 40 % des recettes des Ehpad ;
- une section « dépendance » financée par les conseils départementaux via l’Allocation Personnalisée d’Autonomie en établissement (APA), avec une participation des résidents à hauteur d’environ un tiers, en moyenne. Cette section alimente 16 % des recettes des Ehpad ;
- une section « hébergement » financée par les résidents, qui peuvent toutefois bénéficier d’une aide départementale au titre de l’Aide Sociale à l’Hébergement (ASH). La part des usagers représente 33 % des recettes des Ehpad.
Entre soins et dépendance, les Ehpad dépendent donc d’un double financement, reposant sur une double tutelle. Avec à la clé, à l’heure de procéder à des investissements, ce qui se révèle souvent un parcours du combattant pour faire converger les soutiens publics.
La Loi de financement de la sécurité sociale 2024 a ouvert la voie à une fusion des sections « soins » et « dépendance » dans les départements volontaires. Dans les faits, 20 départements testeront cette tarification simplifiée en 2025, avec un regroupement des deux sections, à la main des Agences Régionales de Santé (ARS).
Dès janvier 2025, les Ehpad pourront en outre augmenter leurs tarifs d’hébergement pour les nouveaux résidents non éligibles à l’aide sociale, transférant ainsi une partie des coûts aux familles.
Des ressources en hausse en 2025 ?
Malgré le contexte de rigueur budgétaire, les financements alloués au secteur des personnes âgées dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 sont en hausse de 6 %. Soit 1,5 milliard d’euros de dépenses supplémentaires par rapport à 2024. Le gouvernement affiche ainsi l’ambition « d’améliorer et diversifier l’offre de lieux de vie pour les personnes âgées. »
À moyen terme, la plupart des observateurs s’accordent à dénoncer un modèle économique obsolète, impropre à maintenir une qualité de prise en charge tout en absorbant des coûts croissants. Les acteurs du secteur appellent de leurs vœux une réforme profonde du modèle de financement de la dépendance liée au grand âge. L’urgence, selon eux, consiste à sortir les Ehpad de l’ornière financière, pour leur permettre de mieux questionner le modèle de l’Ehpad de demain.
Les organisations mobilisées dans le cadre de « l’union sacrée » en faveur des Ehpad estiment à 12 milliards d’euros par an le montant minimal permettant :
- d’instaurer un taux d’encadrement minimal de 8 équivalents temps plein (ETP) pour 10 résidents ;
- de tarifer les services à domicile à hauteur de leur coût de revient ;
- d’indexer les charges des Ehpad sur l’inflation ;
- et de contenir l’évolution du reste-à-charge pour les personnes accueillies.