Bien-vieillir : repenser le modèle des Ehpad devient indispensable

Article

  • ehpad

Du lieu de soin au lieu de vie, d'une approche centrée sur la sécurité au bien-être prioritaire, de la logique de prise en charge à celle de l’autodétermination, du huis-clos à l’ouverture au territoire, du chacun pour soi à la mutualisation : le modèle de l’Ehpad est à repenser. Il en va de sa pérennité dans la perspective d’une augmentation de moitié de la population âgée dépendante à horizon 2050.

Penser le grand âge et l’accompagnement de la dépendance, c’est penser le temps long. On le sait, au cours des 25 prochaines années, le nombre de personnes âgées dépendantes va augmenter très significativement : 16 % de hausse d’ici 2030, 36 % d’ici 2040 et 46 % à horizon 2050. Les Ehpad abordent certes ces scénarios démographiques dans une situation économique fragilisée. Mais pour beaucoup de professionnels et d’observateurs du secteur, le modèle des Ehpad est à bout de souffle et doit se réinventer pour s’adapter aux défis à venir. Un nouvel élan à trouver, pour redonner du sens aux métiers et au quotidien dans les établissements.

Le bâti : moderniser, personnaliser, démédicaliser

Héritiers des hospices et de feu les maisons de retraite, les Ehpad ont été conçus comme des lieux de soin moins comme des lieux de vie. En dépit des efforts de rénovation massivement entrepris depuis 1999, les résidents qui peinent à se sentir véritablement chez eux, aspirent à plus de personnalisation. Les chambres sont trop petites (21 m2 en moyenne*$), impersonnelles, mal agencées avec le lit en position centrale. Comme le note un rapport sénatorial de 2024 sur le sujet,  21 % des Ehpad comptent au moins une chambre sans douche. Aux premières loges mais se sentant parfois impuissants, les directeurs au service des personnes âgées (par la voix de leur association représentative, l’ADPA) déplorent de voir la santé psychique des aînés demeurer impensée dans leurs établissements.

L’isolement des personnes en Ehpad est de fait trop souvent synonyme de mort sociale pour les résidents.

Environ 60 % des Français vivent à moins de 5 kilomètres d’un Ehpad, selon Luc Broussy, fondateur du think tank Matière Grise. Ce maillage territorial est si dense qu’il est aisé d’imaginer transformer les Ehpad en lieux de rencontre et lieux-ressources à l’échelle d’un territoire, ou d’un quartier. Les idées pour y parvenir ne manquent pas, qu’il s’agisse de l’aménagement de lieux de vie ouverts (parc, place, jardin partagé) ou de services intégrés dans l’établissement (micro-crèche, espace de coworking, maison France Services, supérette, café, salon de coiffure, cinéma etc.). Entre 2011 et 2014, l’appel à projets « Un tiers-lieu dans mon Ehpad », porté par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), a permis de financer 25 projets d’ouverture de tiers-lieux dans des Ehpad. Soit autant d’espaces hybrides destinés à ouvrir les établissements sur leur environnement, mais aussi à promouvoir concrètement le vivre ensemble et la citoyenneté des résidents.

Pour les 4 membres de la Commission des affaires sociales du Sénat auteurs du rapport d’information « Ehpad, un modèle à reconstruire », présenté en septembre 2024, « Une nouvelle phase de rénovation doit être engagée autour d’un triptyque : moderniser, personnaliser, démédicaliser. »

  • Source : DREES, enquête EHPA 2019, 2023

Transition écologique : la quadrature du cercle

Au cours de l’été 2022, 60 % des Ehpad ont déploré des situations d’inconfort thermique. Cette situation n’est pas sans rappeler la canicule de l’été 2003, au cours de laquelle le surcroît de mortalité (15 000 décès supplémentaires) avait touché très majoritairement (à 87 %) les plus de 70 ans.

Le changement climatique crée un risque sanitaire concret pour le public fragile des Ehpad. La sensibilité des personnes très âgées à l’hyperthermie fait qu’au-delà de 7 jours de vague de chaleur, la surmortalité des résidents en Ehpad peut être multipliée par 4,5. Or, comme le note le rapport sénatorial de 2024, seuls 4 % des Ehpad publics disposent d’une climatisation dans les chambres.

La transition écologique des Ehpad est par ailleurs un enjeu financier non négligeable. La dépendance gazière des établissements les expose en effet à tout choc exogène sur les prix de cette énergie. Pour les sénateurs, la cause est entendue : « Un plan de rénovation doit être engagé autour de plusieurs axes : sobriété, efficacité, électrification ».

Dans ses travaux communs avec The Shift Project, dans le cadre de recommandations pour la décarbonation du secteur de l’Autonomie, la CNSA estime que moins d’un tiers des établissements publics et privés non lucratifs pourraient absorber le surcoût lié aux investissements à réaliser. Et la CNSA d’appeler à « trouver des schémas de financement adéquats », faute de quoi les capacités de financement des établissements ou services médico-sociaux (ESMS) feraient barrage à la mise en œuvre des mesures de décarbonation.

Sortir les Ehpad du secteur sanitaire ?

Pour l’Allocation départementale personnalisée d'autonomie (ADPA), association représentative des directeurs d’Ehpad, les établissements pâtissent grandement de leur assimilation, par les pouvoirs publics, au monde de l’hôpital.

Aux côtés des aides-soignants et infirmiers, aujourd’hui personnels pivots des Ehpad, l’ADPA plaide pour le recrutement d’animateurs, d’éducateurs spécialisés et de psychologues. Ceci pour qu’un cap soit résolument fixé sur la santé psychique des personnes accueillies et sur le lien social. Actuellement, les Ehpad disposent d’un équivalent temps plein (ETP) d’animateur, en moyenne, et de 0,5 ETP de psychologue pour une structure de 100 résidents*$. Trop peu pour prétendre gérer les situations de souffrance psychologique en établissement.  Pour mémoire, le rapport de mission Jeandel et Guerin de juin 2021 préconisait un ratio de 1 ETP de psychologue pour un Ehpad de 80 places.

Mises en exergue durant la crise de la Covid 19, les restrictions hygiénistes en Ehpad s’exercent parfois au détriment de la liberté des personnes, selon l’ADPA. Les Ehpad gagneraient à « sortir du fonctionnement institutionnel*$ pour avoir les mêmes droits et libertés que les autres citoyens de la société. » estime le directeur adjoint de l’association, dans une interview. « Qu’ils soient comme les résidences services seniors, sous le code de l’habitat et de la construction classique, avec un loyer, des charges de copropriété et des services choisis par les résidents ». Le rapport d’information sénatorial enfonce le clou : « La réforme du régime des autorisations pourrait permettre aux Ehpad d’offrir une gamme de services à la population âgée de leur territoire. »

  • Source : ADPA

  • Le régime de l’autorisation d’établissement de la loi 2-2002

Cap sur la coopération et la mutualisation entre Ehpad

Pour le rapport sénatorial de 2024 « Dans un contexte de pénurie des ressources humaines, et pour favoriser la flexibilité et la complémentarité entre les modes de prise en charge, il apparaît pertinent de développer des stratégies de mutualisation à l’échelle des territoires. »

Dans cette perspective, deux outils semblent pertinents à mobiliser. C’est le cas tout d’abord du Groupement de coopération social ou médico-social (GCSMS), un outil de coopération souple introduit par la loi « Bien Vieillir » du 8 avril 2024. Les Ehpad publics autonomes ont d’ailleurs l’obligation d’adhérer à un de ces groupements avant 2028.

Les Centres de Ressources Territoriaux (CRT), dispositif lancé en 2023 à l’issue de l’expérimentation nationale d’un dispositif renforcé de soutien au domicile (DRAD), forment un second outil auquel les Ehpad peuvent avoir recours pour mutualiser une offre de services à l’échelle d’un territoire. Grace aux CRT, les personnes en perte d’autonomie ayant le souhait de vieillir à domicile peuvent bénéficier de services équivalents à ceux d’un Ehpad dans un environnement sécurisé, facilitant leur parcours de santé. Une alternative, en quelque sorte, à l’entrée en établissement.

La question de la gouvernance reste à trancher

Les questions relatives au financement des Ehpad et à leur organisation ne sauraient être résolues sans que soit aussi traitée la question de leur gouvernance. De manière sous-jacente, c’est évidemment la question du pilotage des politiques de l’autonomie dans les territoires qui est à trancher.

Pour les sénateurs, il revient aux départements, en charge du service public départemental de l’Autonomie, de mener « une politique de prise en charge des personnes âgées cohérente, qui tienne compte du continuum entre la prise en charge à domicile et l’entrée en établissement ».

En arrière-plan, c’est la question d’une clarification des rôles respectifs des Agences régionales de santé (ARS) et des départements qui reste posée.

Solutions associées

Prêt vert

Allez au bout de votre démarche : optez pour un financement responsable !

Scellius

Découvrez les solutions d'encaissement à distance dédiées aux hôpitaux et au secteur médico-social.

Articles associés