Interview

Fédération Hospitalière de France : la feuille de route de son nouveau président, Arnaud Robinet

Maire de Reims, maître de conférences et praticien hospitalier en pharmacologie, président du conseil de surveillance du CHU de Reims, Arnaud Robinet a récemment pris la présidence de la FHF, dont il présidait la fédération régionale du Grand Est depuis 2018. Homme de terrain, il entend s’atteler aux chantiers à mener pour l’hôpital public dans un esprit d’écoute et d’ouverture. Il détaille pour La Banque Postale les priorités de son mandat.

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Portrait d'Arnaud Robinet

La FHF se doit d’être présente, de faire des propositions pour améliorer l’accès aux soins, d’accélérer la défense de l’hôpital et des établissements médico-sociaux publics. 

Arnaud Robinet — Président de la FHF

Quelles ont été vos motivations à l’heure de prendre la présidence de la Fédération Hospitalière de France ?

Arnaud Robinet : « Notre système de santé français est confronté à des défis immenses : ma pratique hospitalière et mes responsabilités d’élu de terrain me plongent dans cette réalité quotidiennement. Des adaptations sont indispensables. En me portant candidat à la présidence de la FHF en septembre dernier, j’ai exprimé mon souhait d’agir de manière rapide et efficace en faveur de cette refondation. La FHF se doit d’être présente, de faire des propositions pour améliorer l’accès aux soins, d’accélérer la défense de l’hôpital et des établissements médico-sociaux publics. Cela en toute indépendance, tout en poursuivant la dynamique de dialogue engagée avec toutes nos parties prenantes : représentants des usagers, professionnels de ville, associations d’élus, décideurs, industriels etc. C’est là, l’essence de ce qui m’anime. »

Quelles sont les priorités que vous vous êtes fixées pour la durée de votre mandat ?

Arnaud Robinet : « Qu’il s’agisse de la prise en charge des patients, des parcours de santé, du médico-social, des politiques de prévention, j’entends faire confiance au travail de proximité conduit à l’échelle des territoires, tout en favorisant le développement de la coordination.

Dans le domaine des ressources humaines, l’amélioration des conditions d’exercice et de l’accès aux formations doit contribuer à l’attractivité des métiers hospitaliers : j’en fais un chantier prioritaire, à mener dans un esprit de responsabilité et de crédibilité financière.

Je souhaite également que la FHF investisse dans l’avenir, avec une attention toute particulière pour la recherche, l’innovation et le numérique. Enfin, je souhaite placer mon mandat sous le signe de la transition écologique. Un seul chiffre permet d’en mesurer les enjeux : le secteur de la santé est responsable de 8 % des émissions nationales de gaz à effet de serre. Ce virage est indispensable et il sera, je le crois, bénéfique sur le plan budgétaire. »

Plutôt que de crise hospitalière, vous parlez de crise du système de santé. Pourquoi ?

Arnaud Robinet : « Cette crise est en effet multi-facette, depuis les urgences jusqu’aux déserts médicaux, en passant par l’enjeu des vocations et des conditions de travail dans les hôpitaux… Les soubassements de cette crise systémique sont multiples et communs à l’ensemble des pays européens. Le système de santé français fait face à une demande de soins en constante augmentation. Cette situation est notamment liée au vieillissement de la population et à la hausse des maladies chroniques. L’espérance de vie en bonne santé - 63,4 ans en France - demeure inférieure de 3 à 5 ans à celle de nos voisins, ce qui doit nous alerter. Ce chiffre masque des inégalités sociales très importantes : l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est de 7 ans chez les hommes et de 3 ans chez les femmes.

Par ailleurs, notre pays fait face à un recul continu du nombre de médecins généralistes. L’érosion de l’offre de soins de premier recours place l’hôpital public en première ligne face à l’augmentation des besoins. Ceci dans un contexte où 10 milliards d’euros d’économies ont été imposées aux établissements de santé entre 2005 et 2019. »

La FHF appelle à un changement de temporalité dans la gestion du système de santé, pour sortir de la seule logique de gestion de crise. Quelles sont ses demandes ?

Arnaud Robinet : « La santé est en réforme permanente depuis 30 ans. Pendant des années, l’objectif principal a été de réguler les dépenses publiques, de comprimer l’offre pour comprimer la demande. En donnant à voir, de manière concrète, le résultat de ces décennies de politiques de rabais, la crise Covid-19 a été le déclencheur d’une remise en question des choix passés. Le passage d’une logique comptable à une logique partant des besoins en santé publique est le tournant qui doit permettre de rétablir notre système de santé, aujourd’hui mal en point. Un effort prolongé de la part de l’État en termes de financement et d’investissement est aujourd’hui nécessaire. »

La FHF plaide pour un plus juste partage de la permanence des soins. Pourquoi et comment ?

Arnaud Robinet : « Fin 2022, les établissements de santé continuaient d’accuser un retard cumulé équivalent à 10 semaines d’activité en chirurgie et 10 semaines en médecine, soit un total de 3,5 millions de séjours. Globalement, les difficultés cumulées auxquelles doit faire face notre système de santé appellent à davantage de solidarité et de coopération entre les différents acteurs de santé. L’organisation de la permanence et de la continuité des soins est un défi majeur qu’ils doivent relever collectivement. La solution ne se trouve pas entre les 4 murs de l’hôpital. Une politique globale et ambitieuse est nécessaire sur les conditions de travail et la juste rémunération des contraintes de service 24h/24 du secteur public. Cet effort doit inclure un meilleur partage des contraintes entre la ville et l’hôpital, le public et le privé. »

Face au nombre de postes vacants à l’hôpital, quelles sont les priorités défendues par la FHF ?

Arnaud Robinet : 5 à 6 % des postes d’infirmiers sont vacants. C’est aussi le cas de 2,5 % des postes d’aide-soignants et de 30 % des postes de praticiens hospitaliers titulaires à l’hôpital.

Face à cette situation, la FHF propose un plan de bataille pour les ressources humaines reposant sur deux piliers :

  • Une forte hausse des professionnels formés, avec un élargissement des quotas de formation, l’augmentation des moyens des instituts de formation, la valorisation des compétences transversales qu’exige la prise en charge de patients de plus en plus polypathologiques, la facilitation de l’accès à la VAE (validation des acquis de l’expérience) et à l’apprentissage.
  • L’amplification des politiques d’attractivité et de fidélisation, qui passe par une meilleure valorisation de l’engagement individuel et collectif, un plus juste partage des contraintes d’exercice entre professionnels hospitaliers et ambulatoires du territoire, une vraie politique de prévention de l’usure professionnelle et une conciliation plus harmonieuse entre vie privée et vie professionnelle.

« Désengorger les urgences », c’est le cap qu’a fixé le chef de l’État à horizon fin 2024. Quels sont, selon vous, les moyens d’y parvenir ?

Arnaud Robinet : « La densité médicale française est nettement en-dessous de la moyenne européenne. Le nombre de passages aux urgences a doublé en 20 ans. Cette situation a des répercussions sur tout le système de santé. Les étés, en particulier, sont des périodes critiques.

À la suite de la mission « flash » sur les urgences et soins non programmés, pilotée par le Dr François Braun, dont le rapport a été remis en juin 2022, des mesures d’urgence ont été prises en période estivale, pour aider les établissements publics à faire face dans un contexte de fortes tensions sur les effectifs. Mais toutes positives qu’elles soient, ces mesures temporaires - autorisation de cumuls titulaire/remplaçant et emploi/retraite, majoration de l’indemnité de garde des personnels médicaux, doublement du tarif de nuit pour les personnels non médicaux etc. – ne suffisent pas. Elles doivent être pérennisées et s’inscrire dans une logique de revalorisation durable du travail de nuit et des sujétions associées aux gardes et aux astreintes.

Après une première phase de lancement du Service d’Accès aux Soins (SAS), dans 19 sites pilotes, la généralisation du dispositif est prévue en 2023. L’objectif est que la majorité des SAMU soient intégrés. À la FHF, nous avons la conviction que les SAS, dont la phase d’expérimentation a montré l’intérêt, permettront de renforcer la pertinence de l’orientation des patients et l’accès aux soins. Il s’agit, à nos yeux, d’un véritable outil de coordination territoriale au profit d’une meilleure orientation des patients. La FHF a d’ailleurs formulé des propositions d’évolution du dispositif pour renforcer son pilotage. »

La FHF a présenté, en janvier dernier, un projet de loi « idéal » en faveur d’une société de la longévité. Quel est le sens et l’objectif de cette initiative ? Quelles sont vos attentes prioritaires dans le champ du bien-vieillir ?

Arnaud Robinet : « Depuis plusieurs années, les rapports sur le grand âge se succèdent pour souligner l’urgence d’agir, dans un contexte où notre pays est entré dans sa phase aigüe de transition démographique. Jusqu’à maintenant, les pouvoirs publics ont privilégié la politique des « petits pas ». À la FHF, nous estimons que le temps de la transformation est venu et qu’une véritable loi de programmation s’impose.

Le projet de loi que nous avons présenté a vocation à être débattu. Il comporte 20 propositions d’actions concrètes, autour de 5 grands objectifs :

  • Construire une société de la longévité respectueuse de tous les citoyens, pour que l’âge ne constitue pas une barrière à l’accès aux droits ;
  • Faire de la prévention un objectif opposable de santé publique, parce que vieillir en bonne santé s’anticipe et s’apprend ;
  • Prendre soin des professionnels du grand âge et attirer de nouveaux talents ;
  • Adapter l’offre de services au parcours de vie et aux attentes des personnes âgées, en dépassant l’opposition classique entre établissement et domicile via des formes alternatives et accessibles d’accompagnement ;
  • Accompagner la nécessaire mutation du secteur médico-social, dans le sens d’une simplification du pilotage et de l’accompagnement à la transformation.

La mise en œuvre de ces propositions suppose de dégager un minimum de 10 milliards d’euros de mesures nouvelles d’ici à la fin de la décennie. C’est 4 fois plus que les moyens actuellement consacrés au grand âge par l’État. Dans la droite ligne du rapport Vachey de 2020, la FHF appelle les pouvoirs publics à prendre les arbitrages nécessaires pour identifier de nouvelles ressources mobilisables, par exemple via une assurance solidaire. »

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