Le Livret A est le placement préféré des Français et les épargnants lui manifestent un net regain d’intérêt depuis 2 ans. En effet le rendement du Livret A est devenu très intéressant : il est à 3 % depuis février 2023, un niveau gelé depuis lors mais désormais bien supérieur au niveau de l’inflation (estimée à 1,1 % par l’Insee pour septembre 2024). Ce rendement est d’autant plus attractif qu’il ne dépassait pas 0,5 % fin 2021. Avec cette envolée, les ménages ont massivement décollecté leurs comptes courants, où dormait une part importante de leur argent. En 2023, le niveau de collecte du Livret A a ainsi atteint un record de 37 milliards d’euros (contre 26 milliards en 2022 et 14 milliards en 2021), redevenant l’un des produits d’épargne phares du marché.
Un impact direct sur les bailleurs sociaux
Mais qu’en est-il de l’impact du taux du Livret A sur les acteurs du logement social ? « Ce taux est l’index de référence du logement social », explique Matthieu de Crevoisier, responsable de marché Habitat Social et Économie Mixte à La Banque Postale. « C’est sur ce taux que la Banque des Territoires, qui finance 70 % des besoins d’investissement des bailleurs sociaux, indexe ses prêts garantis. »
Résultat : quand le taux du Livret A est bas, les prêts contractés par les bailleurs sociaux leur coûtent moins cher. Quand ce taux est élevé, les organismes voient grimper leurs charges financières. « Avec 203 milliards d’euros d’encours de financement sur les acteurs de l’habitat social, l’évolution de ce taux vient sensiblement impacter, obérer ou améliorer la rentabilité des opérateurs. Ce mécanisme, similaire à celui des prêts à taux variable, peut représenter jusqu’à 3 points de rentabilité à niveau d’investissement équivalent. » indique Matthieu de Crevoisier. En 2023, l’Union Sociale pour l’Habitat estimait d’ailleurs à 3,75 milliards d’euros l’alourdissement des charges d’intérêt d’emprunt des bailleurs sociaux, du seul fait de la hausse du rendement du Livret A, de 0,5 % à 3 % en un peu plus de 12 mois. Ceci représente 25 % d’impact sur la capacité de production annuelle de logements sociaux neufs.
Un nécessaire arbitrage politique
En réalité, le taux du Livret A est un compromis. Son niveau théorique procède d’un calcul prenant en compte, d’une part, le niveau de l’inflation hors prix du tabac sur les 6 derniers mois connus et, d’autre part, la moyenne des taux d’intérêt interbancaires au jour le jour (ESTER) des 6 derniers mois. S’ensuit une recommandation du gouverneur de la Banque de France, suivie ou non par le ministère de l’Économie, qui tranche en dernier ressort. « Après la crise de la COVID, la réouverture de l’économie et les difficultés de l’appareil productif à suivre le niveau de la demande ont alimenté une forte inflation. L’envolée des prix de l’énergie à la suite du conflit en Ukraine s’est ajoutée à cette dynamique. » rappelle Corentin Ponton, économiste à la Direction des études économiques de La Banque Postale. « Jointe à la hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE), cette inflation a alimenté une forte hausse du taux du Livret A. Le gel de ce taux à 3 % depuis février 2023 procède d’un choix délibéré du Gouvernement : celui de trouver un compromis acceptable entre la rémunération des ménages épargnants et la préservation des intérêts des acteurs du logement social. »
Pour cet observateur expert, la formule de calcul pourrait reprendre la main en février 2025, date de la prochaine échéance de révision du taux. « Depuis juin dernier, la BCE commence à baisser le niveau de ses taux directeurs. Si l’inflation devait se stabiliser à environ 1 % fin 2024, le taux du Livret A pourrait être abaissé entre 2,3 % et 2,5 % au 1er février 2025. Mais le ministère de l’Économie disposerait d’une marge discrétionnaire : il pourrait choisir de ménager les bailleurs sociaux en accentuant cette baisse, par exemple jusqu’à 2,25 %. »
Pour Matthieu de Crevoisier, cette baisse probable rétablira une forme d’équilibre, le taux actuel du Livret A étant « trop élevé au regard de l’inflation, ce qui favorise les épargnants au détriment de la production et de la réhabilitation de logements sociaux. »
Le rendement actuel du Livret A est trop élevé au regard de l’inflation, ce qui favorise les épargnants au détriment des bailleurs sociaux. Le ministère de l’Économie dispose d’une marge discrétionnaire : il pourrait choisir de ménager les acteurs du logement social en accentuant la baisse du taux.
Matthieu de Crevoisier — Responsable Habitat Social et Économie Mixte à La Banque Postale
Soutenir la dynamique du logement social
Avec la baisse prévisible du rendement du Livret A, les organismes de logement social verront augmenter leur capacité d’emprunt pour la production de nouveaux logements : une opportunité dans le contexte actuel d’atonie, la construction de logements sociaux neufs étant passée sous la barre des 100 000 unités par an depuis 2020. Dans le même temps, la possibilité pour les bailleurs sociaux de placer leur trésorerie excédentaire se verra diminuée d’autant. Or les acteurs du logement social disposent actuellement de 19 milliards d’euros de trésorerie, montant dont l’importance est à relativiser à l’aune des investissements colossaux attendus sur le secteur et du prix de revient d’un logement social neuf, entre 160 et 180 K€.
Pour Matthieu de Crevoisier, « Si la baisse du taux du Livret A est confirmée, elle viendra soutenir la dynamique du secteur. Et pousser les bailleurs sociaux à investir leurs excédents de trésorerie pour produire et réhabiliter, donc à en faire un usage efficace. »
Des opportunités à venir dans le choix des index
Le taux du Livret A est une variable suivie de très près par les opérateurs du logement social. Mais aussi par les banquiers. En effet, hormis la Banque des Territoires, dont les prêts de très long terme (jusqu’à 80 ans) sont directement indexés au Livret A, les banques traditionnelles, dont La Banque Postale, en dépendent également pour la fixation du taux de leurs prêts variables à moyen et long terme. Le gros des prêts de moyen et long terme accordés aux acteurs du secteur reste souvent indexé sur l’Euribor, taux de référence auquel les établissements financiers se prêtent de l’argent sur le marché interbancaire de la zone euro.
Aussi, si la baisse du taux du Livret A impactera directement le taux auquel les bailleurs sociaux pourront emprunter, elle aura également des conséquences sur l’équilibre du marché entre acteurs bancaires. « Le bailleur social, comme tout acteur économique, est opportuniste : il va chercher les financements les moins onéreux qui répondent à ses besoins » rappelle Matthieu de Crevoisier. « Or depuis avril 2023, le taux du Livret A est passé en dessous du taux à moyen et long terme Euribor. ». A compter de février 2025, en fonction du niveau de taux du Livret A arrêté, du taux fixe et de l’Euribor, les choix d’indexation des emprunts pourraient évoluer.
On le voit : il existe une complémentarité et une interdépendance entre les acteurs et des modèles d’intervention du monde bancaire. En tant que banque publique, La Banque des Territoires apporte principalement des financements garantis de très long terme et accompagne la production nouvelle de logements sociaux et très sociaux. Comme les autres banques traditionnelles, La Banque Postale intervient quant à elle plutôt pour financer (au maximum sur 30 ans) les projets de réhabilitation ou de rénovation énergétique, le renouvellement de composants, le logement intermédiaire et la construction des sièges sociaux et locaux d’exploitation des bailleurs sociaux.
Si l’inflation devait se stabiliser à environ 1 % fin 2024, le taux du Livret A pourrait être abaissé entre 2,3 % et 2,5 % au 1er février 2025.
Corentin Ponton — Économiste à la direction des Études économiques de La Banque Postale