Interview

Remontée des taux et impacts immobiliers : quel contexte économique pour les collectivités locales ?

L’économie mondiale est confrontée à un choc majeur d’inflation. Alors que les banques centrales ont mis en œuvre des politiques monétaires très accommodantes pendant la crise sanitaire, comment approchent-elles le nouveau contexte ? Quelles seront les conséquences sur les taux d’intérêt en 2022 ? Comment le marché immobilier résidentiel va-t-il se comporter en 2022 et avec quelles incidences en termes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ? Et comment en seront impactées les collectivités territoriales ? Philippe Aurain, Directeur des études économiques de La Banque Postale fait le point.

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Portrait de Philippe Aurain

Les niveaux atteints aujourd’hui par la hausse des prix à la consommation sont inédits depuis les chocs pétroliers des années 1970.

Philippe Aurain — Directeur des études économiques de La Banque Postale

La crise ukrainienne a amplifié le choc économique issu de la crise covid. Comment se propage t’il aujourd’hui dans l’économie mondiale ?

Philippe Aurain : Le premier semestre 2022 a subi des chocs multiples. Le début de l’année 2022 a été marqué par la levée progressive des restrictions sanitaires. La hausse des prix de l’énergie qui avait commencé à l’automne 2021 s’est peu à peu amplifiée alors que les tensions Russo-ukrainienne augmentaient. Les pénuries issues de la crise covid ont perduré sur un certain nombre d’intrants (semiconducteurs) et de manière générale, la production a été limitée par les contraintes d’approvisionnement et par la saturation du marché du travail. Les soutiens publics ont été allégés dans un premier temps pour être de nouveau augmenté au deuxième trimestre notamment à destination des populations les plus touchées par les baisses de pouvoir d’achat. Le choc de l’invasion russe du 24 février a entraîné une hausse généralisée des prix des matières premières sur les trois types de ressources énergétiques, alimentaires et industrielles et une diffusion générale dans les prix à la consommation. Dans ce contexte, au premier trimestre, l’activité mondiale a enregistré des résultats mitigés. Aux Etats-Unis, malgré les problèmes d’approvisionnement et de saturation du marché du travail, la consommation est restée dynamique soutenue par la baisse du taux d’épargne, mais la production n’a pas suivi et l’activité s’est retractée de -0,4 % sur le trimestre. En revanche, en Europe, elle a cru de 0,6 % malgré la dégradation de la consommation sous l’effet de la baisse du pouvoir d’achat et cela grâce au rebond des exportations et des stocks. Au deuxième trimestre, l’activité a de nouveau fléchi aux Etats-Unis de -0,2 % en raison du fléchissement de la consommation, de la réduction de l’investissement résidentiel et de la baisse des stocks. La hausse d’activité de la zone euro s’est établie à 0,7 % grâce, si l’on en juge par l’exemple français, à la reprise des exportations, du tourisme et à l’investissement et malgré une faible consommation intérieure. En ce qui concerne la Chine, le coup d’arrêt consécutif à sa politique zéro covid a été considérable et l’évolution trimestrielle de l’activité est passée de 1,4 % au T1 à -2,6 % au T2 remettant en question l’objectif de 5,5 % sur l’année. Plus généralement, l’OCDE a revu à la baisse ses prévisions de croissance 2022 autour de 2,5 % pour la zone euro, la France et les Etats-Unis. Pour l’Europe en particulier, cela signifierait un deuxième semestre pratiquement atone.

L’inflation atteint des niveaux records. Quels sont vos scénarios pour la suite de l’année ? 

P.A : Effectivement, les niveaux atteints aujourd’hui par la hausse des prix à la consommation sont inédits depuis les chocs pétroliers des années 1970. En zone euro, l’inflation s’élève à 8,9 % en juillet (6,1 % en France en norme locale) et 9,1 % aux Etats-Unis en juin. On sait que ses hausses sont multi factorielles : le rebond très important de la consommation de biens dans l’OCDE a généré une demande que les producteurs ont eu du mal à servir. Par ailleurs le stop-and-go de production pendant le covid a enraillé les chaines de valeurs internationales et généré des pénuries. Enfin, le conflit en Ukraine a été à l’origine de tensions tarifaires sur l’énergie (et dorénavant de pénuries) qui ont diffusé dans l’ensemble de l’économie (via la hausse des coûts de production et les demandes de revalorisations de salaires). Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Un premier scénario de stabilisation de la situation géopolitique envisagerait une absence d’aggravation du conflit et le maintien de flux de gaz suffisants pour éviter des pénuries plus graves, au prix du maintien des prix élevés actuels. Dans ce cas, les prévisions de croissance moyennes de l’OCDE devraient se réaliser et l’inflation en zone euro progressivement converger entre 6 et 7 % fin 2022 en glissement annuel. Un scénario plus dégradé supposerait une interruption des approvisionnements de gaz russe. Dans ce cas, l’inflation pourrait se maintenir plus longtemps voir augmenter encore, avec un décalage de retour à la normale d’au moins un an. L’économie européenne rentrerait probablement en récession au deuxième semestre 2022 et afficherait une croissance faible en 2023. Les dernières annonces sur la réduction des approvisionnements de gaz russe semblent augmenter la probabilité du scénario dégradé.

Comment les banques centrales interviennent elles dans ce contexte ?

P. A : Les banques centrales avaient considérablement assoupli leur politique monétaire au plus fort de la crise sanitaire. Ainsi en zone euro, l’essentiel des soutiens publics avaient pu être financés par l’achat des émissions publiques des états membres par la banque centrale (de l’ordre de 15 % du PIB de la zone sur la durée de la crise). La politique de taux négatifs ne pouvait à l’évidence pas durer mais le choc inflationniste a rendu plus urgent la nécessité d’un resserrement monétaire. La banque centrale américaine a donné le « la » avec une hausse des taux dès mars 2022 et la réduction de son bilan à partir du 1er juin. La BCE a suivi en juillet (hause des taux directeurs de 50 pb et fin des achats nets de titres). L’enjeu pour les banques centrales est clairement « d’ancrer » les anticipations d’inflation. Il s’agit d’éviter que les agents économiques anticipent des hausses fortes et modifient leurs comportements économiques (par exemple en demandant de fortes hausses de salaires pour les salariés, ou des primes de risques pour les agents financiers) et que par là même, ils entrainent une hausse supplémentaire des prix.

Ce qui est aujourd’hui constaté sur les marchés, c’est que la crédibilité des banques centrales à maîtriser les risques inflationnistes est réelle et que les anticipations d’inflation, si elles ont augmenté, restent raisonnables et convergent à moyen terme vers les cibles indiquées par les banques centrales.

Comment les taux d’intérêts prennent-ils en compte cette nouvelle donne ?

P. A : Les marchés ont essayé d’intégrer le risque de hausses des prix et les fonctions de réactions des banques centrales au cours du temps. Après une première phase de forte tension (les taux français à 10 ans par exemple sont passés de 0,19 % fin décembre à 2,4 % en juin), d’une part les annonces de resserrement monétaire ont limité les anticipations d’inflation à long terme et, d’autre part, les premiers indicateurs des effets récessifs de l’inflation sur l’économie ont incité les agents à prendre en compte le ralentissement de l’activité dans le niveau des taux d’intérêt. Fin juillet, les taux 10 ans se situaient plutôt à des niveaux en deçà des plus hauts de l’année, autour de 1,4 % pour la France et de 2,6 % aux Etats-Unis. Néanmoins, la hausse des taux directeurs, des taux de marchés et les incertitudes économiques ont globalement eu pour conséquence un renchérissement et une plus importante différenciation des primes de risques. Ainsi, le marché de la dette souveraine européenne a été marqué par un écartement des rendements entre les titres des différents états. En particulier, l’Italie a été attaquée en juin, son taux 10 ans dépassant 4 %. Face à cette situation, la BCE a indiqué qu’elle agirait pour assurer une bonne transmission de la politique monétaire dans tous les états membres, c’est-à-dire qu’elle interviendrait pour éviter des écarts de rendement injustifiés. Elle a depuis précisé qu’elle pourrait utiliser les tombées du PEPP pour acheter les titres qu’elle jugerait nécessaires et qu’elle mettrait en place un nouvel outil (le « Transmission Protection instrument ») lui permettant de disposer de la flexibilité nécessaire pour intervenir. Ces annonces ont permis de resserrer significativement les écarts de rendement entre pays. Néanmoins, la fin des achats systématiques de titres publics a pour conséquence le retour durable d’une hiérarchie marquée des primes de risque entre les états. De la même manière, les taux de rendement des dettes d’entreprises montrent un élargissement des écarts entre notation et/ou pays d’origine.

Quelles sont les conséquences de la hausse des taux d’intérêts sur les offres de financement et le marché immobilier ?

P. A : La hausse des taux directeur et des anticipations d’inflation ont donc entrainé une hausse des taux longs européens. Les taux de financement des agents économiques sont donc appelés à augmenter. La charge de la dette de l’Etat va augmenter régulièrement au rythme de la substitution du stock d’émissions à taux faible (1,3 % en moyenne aujourd’hui) dont la durée moyenne est de 8 ans par des titres émis à des taux plus élevés. En plus de cet effet nominal (3 Md€ de plus d’intérêt chaque année pour 1 % de hausse de taux), la part de la dette indexée sur l’inflation subit le choc de hausse de prix de plein fouet (environ 15 Md€ de plus cette année). Concernant les entreprises et les collectivités locales, elles ont vu les taux de marché s’ajuster et vont également subir la hausse progressive du coût des emprunts bancaires. De même pour les ménages dont le taux moyen des emprunts habitat est déjà passé de 1,12 % à 1,44% (hors assurance) entre janvier et juillet et devrait continuer à augmenter. Bien entendu, l’augmentation du coût des emprunts réduit la capacité d’emprunt et a donc un effet baissier sur les prix immobiliers et in fine sur la demande de crédit immobilier. Toutefois, cette vision purement financière se heurte à des logiques comportementales parfois plus difficiles à décrypter. Ainsi, les prix ont continué à augmenter au niveau national en France au premier semestre et la production de crédit atteint des niveaux record. On peut probablement y voir une précipitation répondant à une anticipation de hausse des taux de crédit à venir par les ménages et/ou un réflexe d’investissement perçu comme refuge dans un contexte d’incertitudes économiques et géopolitiques. Néanmoins, si la tendance de hausse des taux persiste, il serait surprenant que le marché immobilier ne s’ajuste pas.

Quelles tendances se dessinent pour l’année 2022 concernant le niveau des prix de l’immobilier résidentiel, assiette des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ?

P. A : Les scénarios dessinés, central ou dégradé, ne devraient pas être favorables au marché immobilier. Les prix devraient subir un ralentissement au deuxième semestre et en 2023 sous l’influence de la hausse des taux de crédit et de la réduction du pouvoir d’achat. Le nombre de transactions devraient donc se réduire mais il faut garder à l’esprit qu’il se situait sur des niveaux historiquement hauts depuis deux ans. 

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