Comment l’incertitude politique pèse sur les marchés financiers ?

Interview

  • finance locale

Depuis le lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale et jusqu’à la récente formation d’un nouveau gouvernement, l’incertitude pèse sur les marchés financiers. Dans ce contexte où domine l’instabilité politique et économique, Philippe Aurain, directeur des Études économiques à La Banque Postale, s’est prêté au jeu de l’analyse prospective.


Portrait de Philippe Aurain

Qui dit incertitude politique dit incertitude économique. Or les marchés financiers reposent sur la prévision, notamment de la capacité des entreprises à augmenter leur chiffre d’affaires et leur résultat, donc à maintenir leurs possibilités d’investir.

Philippe Aurain, Directeur des études économiques de La Banque Postale


Les marchés financiers n’aiment pas l’incertitude : pourquoi ?

Philippe Aurain : « Qui dit incertitude politique dit incertitude économique. Or les marchés financiers reposent sur la prévision, notamment de la capacité des entreprises à augmenter leur chiffre d’affaires et leur résultat, donc à maintenir leurs possibilités d’investir. Une situation où l’on ne sait pas quel équilibre politique va se construire, donc quelle politique économique va être mise en œuvre, est une situation où les prévisions sont rendues difficiles. Dans ce type de situation, les acteurs financiers demandent une prime de risque, prennent une marge de sécurité dans leurs évaluations des entreprises. C’est évidemment vrai pour les bourses. C’est également vrai pour les marchés de taux, certaines politiques économiques inflationnistes, par exemple, étant susceptibles de modifier les taux réels, ou encore d’augmenter la dette souveraine, avec un impact sur les écarts de rendement entre pays, ou spread. Nous en reparlerons. »

Comment les milieux financiers ont-ils réagi à l’annonce des résultats des élections législatives et à celle de la nomination du gouvernement de Michel Barnier ?

Philippe Aurain : « La situation actuelle, où aucun bloc politique n’est capable d’assurer seul une majorité au Parlement, est inédite à l’échelle de la 5e République. Or les différents blocs en présence ont des programmes économiques très différents. La situation est donc la plus incertaine possible. Le gouvernement Barnier, ne disposant que d’une base parlementaire non majoritaire, n’a pas les coudées franches pour agir. 

À l’issue des élections législatives et dans la perspective de la préparation d’un budget 2025 sous haute contrainte, les marchés financiers ont intégré l’absence de visibilité et de lisibilité dans les prix. Ceci s’est concrétisé sur le marché des taux par une augmentation du spread, qui est l'écart de rendement entre la France et un taux dit de référence sur la même maturité (en général le taux des obligations en Allemagne, pays considéré comme la meilleure signature européenne). Le spread français est monté d’un niveau d’environ 50 points de base à la veille des élections à plus de 80 après la dissolution, avant de se fixer aux environs de 70 à fin août. Le niveau du spread s’est de nouveau élargi après la désignation de la nouvelle équipe gouvernementale. C’est un signal pouvant être interprété comme une marque d’inquiétude des marchés quant à la possible instabilité du nouveau gouvernement. Mais cet écartement relève peut-être aussi d’éléments techniques comme le cycle monétaire. Il faut attendre un peu pour que les mécaniques à l’œuvre se clarifient. »

Qu’en est-il donc de ce mécanisme du spread, baromètre de la sensibilité des investisseurs au risque « France » ? Quelles sont ses potentielles répercussions sur l’évolution des taux d’intérêt ?

Philippe Aurain : « Le spread correspond au surcroît de cherté des taux d’intérêt associé à la perception, par les marchés financiers, du risque de remboursement de la dette souveraine. Ou, pour être plus précis – car personne n’imagine que la France renonce à rembourser sa dette - du risque de dégradation de la valeur de la dette. Cet indicateur est sensible à la capacité des États à lever l’impôt, à la soutenabilité du volume d’endettement et notamment au ratio dette/PIB qui, rappelons-le, s’établissait fin 2023 à 110,6% pour la France, pour seulement 63,6 % en Allemagne. Il y a donc un écart de risque entre les deux pays, qui se traduit par un écart de niveau des taux d’intérêt. Avec 70 points de base de spread, le Bund, taux allemand à 10 ans, est actuellement à 2,2 %, contre 2,9 % pour le taux de base français. 

Ceci impacte évidemment le taux auquel les banques se refinancent en partie, donc le niveau des taux de crédit qu’elles sont à même de proposer à leurs clients. »

Quelle a, par ailleurs, été la réaction des marchés boursiers après le 7 juillet ?

Philippe Aurain : « Des baisses ont été enregistrées avec l’application de primes de risques aux entreprises. La France étant la seconde économie de la zone euro, un léger effet de contagion a été observé sur les places boursières européennes.

Mais cette baisse est à relativiser. Si elle a été assez marquée immédiatement après les élections – de l’ordre de 5 à 6 % - on est toutefois très loin d’un krach boursier significatif. En 2024, la pire perte intra-annuelle enregistrée sur le CAC 40 a été à ce jour de -15 %. Cette baisse positionne le marché boursier français en-deçà de la moyenne des baisses maximum possibles enregistrées annuellement depuis la création du CAC en 1988, moyenne qui s’établit à environ 17 %.

On le voit : l’amplitude de la volatilité des marchés boursiers n’est donc pas exceptionnelle et ne traduit donc pas de panique à ce stade. »

Par quels mécanismes la composition du nouveau gouvernement constitue-t-elle un possible facteur de déstabilisation ?

Philippe Aurain : « La question essentielle est celle de la politique économique qui sera adoptée par le nouveau gouvernement : pro-business ou non, avec maîtrise de la dépense publique ou pas, avec quelles mesures de relance… 

Il faut néanmoins savoir que l’impact définitif des politiques économiques est, à court terme, difficile à apprécier. Suivant la temporalité d’observation, les choix effectués produisent en effet des effets négatifs et positifs sur l’activité économique et leur impact global est en général ambivalent. C’est avec le temps que l’on peut mettre tout cela en perspective et mesurer les effets sur les sous-jacents fondamentaux (productivité, richesse par habitat etc.). »

Quels sont les prochains rendez-vous politiques pouvant avoir des répercussions dans les mois qui viennent ? Sur quels points les investisseurs ont-ils besoin d’être rassurés ?

Philippe Aurain : « Le gouvernement de Michel Barnier fait face, dès sa nomination, à l’aggravation des finances publiques, avec un déficit attendu à 6 % pour 2024, avec toutes les contraintes de politique économique que cela induit. Par exemple, la nouvelle équipe gouvernementale ne dispose pas de la base parlementaire lui permettant de lever des impôts sur la classe moyenne. Elle devra donc mettre en œuvre une politique fiscale pointilliste, qui devra être complétée par des mesures d’économies renforcées. Le choix des secteurs où économiser n’est bien sûr pas neutre.

Dans l’impossibilité de maintenir un calendrier budgétaire conforme à la Constitution, Michel Barnier a annoncé repousser le dépôt du projet de loi de finances 2025 au Parlement. Sachant que la publication des lettres plafonds par ministères, intervenue le 20 août sous la responsabilité de Gabriel Attal, a fait apparaître les 10 milliards d’euros d’économies prévus au titre du Pacte de stabilité et de croissance en vigueur dans la zone euro. Mais il faudrait en réalité une cure d’austérité pluriannuelle de 20 milliards d’euros d’économies pour que la France puisse respecter ses engagements.

Cet exercice de pré-programmation budgétaire entre évidemment en collision avec l’agenda politique et les plafonds seront sans doute revus.

La seconde échéance majeure de la rentrée est le rendez-vous à prévoir devant la Commission européenne, où la France doit présenter un plan budgétaire à moyen terme devant lui permettre de convaincre l’Europe de sa capacité à tenir ses engagements. En procédure de dépense excessive, la France risque une sanction maximale de l’ordre de 2,5 milliards d'euros par an. »

Quelles sont les anticipations concernant l’évolution de la note souveraine française par les agences de notation ?

Philippe Aurain : « Les questionnements économiques actuels s’inscrivent dans un contexte particulier : celui de la dégradation (de AA à AA-) de la note attribuée à la France par l’agence de notation américaine Standard & Poors, en mai dernier. Cela du fait d’un déficit public français qui, à 5,5 % du produit intérieur brut (PIB) en 2023, s’avère significativement plus élevé que les 5 % prévus. Les prochains avis des agences de notation sont prévus pour octobre en ce qui concerne Fitch et Moody’s, et pour fin novembre concernant Standard & Poors. Évidemment, l’évolution de la note attribuée à la France dépendra beaucoup de la manière dont l’équation politique actuelle va se résoudre. Les dernières annonces positionnant potentiellement le déficit 2024 à 6 % sont une source de difficultés supplémentaires. »

En quoi les collectivités territoriales pourraient se voir impacter dans leur accès au marché financier ?

Philippe Aurain : « Le sujet est sur la table depuis plusieurs années. Une partie importante de l’augmentation des dépenses de la sphère publique relève en effet du secteur public local, et en particulier des collectivités territoriales. Cela bien sûr, en partie du fait de nouvelles délégations de compétences mais pas seulement. En tout état de cause, il est probable que le sujet de la maîtrise des dépenses des collectivités sera à l’ordre du jour des prochains mois. 

Par ailleurs, si une augmentation du coût de l’emprunt venait à se produire, les collectivités en seraient évidemment affectées, comme n’importe quel acteur économique procédant à des investissements. »

Anticiper et diversifier sa dette : deux bons réflexes pour la période


Portrait de Laurent Gautier-Falret

Dans cette période d’incertitude, il est plus important que jamais que les acteurs du secteur public local puissent anticiper les choses, de manière à pouvoir sereinement différer un emprunt si les conditions de marché s’avéraient temporairement défavorables.

Laurent Gautier-Falret, Directeur du Secteur Public Local à La Banque Postale


« Certains de nos clients, qui nous sollicitent avec moins d’un mois d’avance par rapport à la date requise pour une levée d’emprunt, ne se laissent aucune marge de manœuvre. Dans une période où les mouvements de marché peuvent se produire à tout moment, elles peuvent se retrouver le dos au mur. 

Notre seconde préconisation, qui s’adresse en particulier aux grandes et moyennes structures, consiste à diversifier leur encours de dette entre taux fixe et taux variable ou révisable. Cela dans des proportions variant suivant leur appétence au risque. Un tel choix leur permet de moyenner le risque de taux, qui dépend non seulement de la situation française, mais aussi la politique appliquée par la Banque centrale européenne, toutes deux n’étant pas nécessairement alignées.

En recourant au taux fixe, les structures peuvent se protéger d’une éventuelle hausse des taux et s’offrir de la visibilité à l’échéance du prêt. Avec le taux variable ou révisable, elles ont la possibilité de profiter d’une possible baisse des taux d’intérêt. La Banque Postale peut proposer des solutions pour limiter leur exposition au risque dans le cadre de ce type d’arbitrage. Cela via l’utilisation de swaps, instruments financiers qui permettent :

  • de plafonner le taux maximal applicable, 

  • et/ou d’établir un plancher (ou floor) limitant le bénéfice d’une baisse éventuelle des taux, tout en limitant voire en annulant le coût de la protection assurancielle à la hausse.

Il va de soi que pour une petite structure, le choix du taux fixe est celui de la simplicité de gestion, et de la visibilité garantie. Un choix raisonnable en l’absence de compétences dédiées à la dette. »

Les solutions de La Banque Postale

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