Julie Marcoff : « La situation actuelle des finances publiques résulte d’évolutions diverses depuis une cinquantaine d’années, qui ont des causes structurelles (champ des interventions publiques, vieillissement de la population, modernisation et adaptation des territoires) ou conjoncturelles (crise économique de 2008-2009, Covid-19, choc inflationniste en 2022). Mais comme les dépenses publiques relèvent à la fois de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités locales, il est compréhensible que ces trois catégories d’acteurs soient sollicitées pour contribuer au rétablissement d’une situation aujourd’hui préoccupante. »

Les dépenses publiques relèvent à la fois de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités locales, il est compréhensible que ces trois catégories d’acteurs soient sollicitées pour contribuer au rétablissement d’une situation aujourd’hui préoccupante.
Julie Marcoff, responsable d’études financières à La Banque Postale.
Les dépenses publiques relèvent à la fois de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités locales, il est compréhensible que ces trois catégories d’acteurs soient sollicitées pour contribuer au rétablissement d’une situation aujourd’hui préoccupante.
Quels étaient, pour mémoire, les dispositifs antérieurs de contribution au redressement des finances publiques ?
Julie Marcoff : « L’État a opéré, entre 2014 et 2017, une diminution de la Dotation globale de fonctionnement (DGF) pour un total cumulé de 11,5 milliards d’euros. Cette baisse a concerné toutes les strates de territoires. L’objectif était de limiter les ressources des collectivités afin de contenir leurs dépenses.
Par ailleurs, sur la période 2018-2020, la signature des Contrats de Cahors par les collectivités dont le budget de fonctionnement excédait 60 millions d’euros a mobilisé 321 collectivités dans un engagement à plafonner leurs dépenses de fonctionnement, suivant un taux de progression compris entre 0,75 % et 1,65 %.
À la Direction des études et de la recherche de La Banque Postale, nous estimons toutefois que les dépenses de fonctionnement des collectivités n’auraient, sans cela, de toutes façons pas beaucoup progressé, en raison d’une inflation limitée, de mesures salariales stables et des efforts de gestion déjà engagés par le monde local. »
Dans le projet de loi de finances 2025 initial, présenté en octobre 2024, la contribution des collectivités locales au redressement des comptes publics était annoncée par l’État à hauteur de 5 milliards d’euros. Qu’en est-il exactement après la récente adoption de la loi de finances ?
Julie Marcoff : « Deux mécanismes intégrés à la loi de finances définitive vont jouer, dès cette année, sur les recettes fiscales des collectivités. La logique de ces mesures est identique à celle de la diminution de la DGF : il s’agit de contraindre les ressources fiscales des collectivités, avec pour conséquence une limite dans l’évolution de leurs dépenses.
La première et principale disposition de la loi de finances 2025 concerne ce qui était antérieurement désigné par le Fonds de réserve et a été rebaptisé Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales (ou DILICO). Au titre du DILICO, l’État va opérer en 2025 un prélèvement de 1 milliard d’euros sur les recettes fiscales des collectivités territoriales (il était prévu au départ à 3 milliards d’euros). Ces sommes feront en principe l’objet d’un reversement par tiers sur les 3 années suivantes. Le prélèvement et le reversement seront effectués sur les douzièmes de fiscalité mensuels des collectivités. L’idée de cette mesure est, en quelque sorte, celle d’une trésorerie imposée.
En réalité, seuls 90 % des fonds prélevés seront reversés aux contributeurs. Les 10 % restants seront versés aux fonds de péréquation « horizontaux » que sont le Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales, le Fonds de solidarité régional et le Fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). »
Toutes les collectivités seront-elles prélevées au titre du DILICO ?
Julie Marcoff : « Non, ne seront prélevées que les collectivités répondant à plusieurs critères de ressources et de charges comme par exemple, pour le bloc communal, le revenu par habitant sur leur territoire et leur potentiel financier ou fiscal. Suivant nos estimations, 1 862 communes, 131 groupements à fiscalité propre, 50 départements et 12 régions devraient être concernés. Dans les faits, il s’agit des collectivités considérées comme financièrement plus favorisées. »
Quel est le second dispositif ?
Julie Marcoff : « Le second dispositif concerne la fraction de TVA qui revient aux Établissements publics de coopération intercommunales (EPCI), départements et régions ainsi qu’à la Ville de Paris, et dans une moindre mesure aux communes à fiscalité additionnelle. Cette fraction de TVA concerne une part non négligeable des recettes fiscales de ces collectivités : 64 % pour les régions, 40 % pour les départements et les intercommunalités. Les ressources correspondantes évoluaient jusqu’ici avec la dynamique de l’assiette de la TVA, avec des mécanismes de régularisation en cours d’année. Soit un taux de progression proche de 1,2 % pour 2024. Or, ce qui a été décidé aux termes de la loi de finances 2025, c’est que ces fractions de TVA seront gelées en 2025. Elles seront donc identiques à celles de 2024 et les collectivités territoriales ne bénéficieront donc plus de la dynamique de la TVA. On a évoqué un manque à gagner de 1,2 milliard d’euros pour les collectivités.
La contribution directe des collectivités au redressement des comptes publics atteindrait donc 2,2 milliards d’euros, À quoi il faudrait ajouter la réduction de divers crédits ministériels tels que le « Fonds vert ». Mais une autre contribution est prévue, qui ne figure pas dans la loi de finances mais a été définie par décret*$. »
Décret 2025-86 du 30 janvier 2025.
Quelle est la nature exacte de cette autre contribution ?
Julie Marcoff : « Il s’agit d’une hausse de la participation « employeur » versée par les collectivités au titre du redressement des comptes de la caisse de retraite de leurs fonctionnaires, la Caisse Nationale de Retraites des Agents des Collectivités Locales (CNRACL). Le taux d’assurance vieillesse applicable aux rémunérations versées aux agents territoriaux va ainsi augmenter de 12 points en 4 ans. Ce surcroît de contribution représente quelque 900 millions d’euros par an et concerne l’ensemble des collectivités. »
Comment les collectivités doivent-elles intégrer ces nouvelles mesures dans leurs budgets ? Sous quelle échéance ?
Julie Marcoff : « Les collectivités ont jusqu’au 15 avril pour adopter leur budget primitif. Mais il leur sera possible de l’ajuster via des décisions modificatives en cours d’année. La date de la notification initiale pour le prélèvement DILICO n’est en effet pas encore connue. »
Quel pourrait être l’impact de ces mesures d’austérité sur les dépenses d’investissement des collectivités ?
Julie Marcoff : « Trois postes de dépenses des collectivités présentent des possibilités de contraction (ou d’optimisation, suivant le point de vue que l’on adopte) : les dépenses de personnel, les dépenses d’achats de biens et de services et les dépenses d’investissement.
Les dépenses d’investissement forment souvent la variable d’ajustement des budgets territoriaux. Le risque, bien que difficile à évaluer, est réel : ces mesures de rigueur budgétaire pourraient freiner les investissements territoriaux. Avec un possible effet pénalisant sur la santé de certains secteurs économiques comme le BTP, essentiel pour la Nation, ou sur l’atteinte des objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone. »
Quelles sont les marges de manœuvre financières que conservent les collectivités en 2025 ?
Julie Marcoff : « Globalement, le niveau de trésorerie des collectivités du bloc communal reste élevé. En revanche la trésorerie des régions et des départements, qui a déjà été fortement ponctionnée au cours des deux dernières années, atteint des niveaux critiques. Dans tous les cas, un prélèvement sur la trésorerie n’est en aucun cas une solution de financement viable sur plusieurs années.
Une autre hypothèse est que les collectivités aient davantage recours à l’emprunt pour investir. Ce surcroît d’endettement n’est pas encouragé par l’État, qui cherche à diminuer le niveau du déficit public en réduisant le recours à l’emprunt.
Reste que deux mesures compensatoires sont prévues dans la loi de finances 2025.
Les départements vont ainsi bénéficier, s’ils le décident, d’une hausse du taux plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui passera de 4,5 % à 5 %. Il faut toutefois noter que cette hausse n’est pas applicable aux primo-accédants.
La loi de finances prévoit par ailleurs une petite hausse des crédits aux collectivités du bloc communal au titre de la DGF. Environ 150 millions d’euros supplémentaires seront attribués, mais ils seront prélevés sur une autre dotation, la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL). Il faut néanmoins noter que les différentes composantes de la DGF vont évoluer différemment. Ainsi les dotations de péréquation vont progresser de 300 millions d’euros. Mais d’autres dotations vont à l’inverse diminuer : c’est le cas de la dotation de compensation des intercommunalités et de la dotation forfaitaire des communes. Au total, donc, certaines communes (sans doute un petit tiers : plus qu’en 2023 et 2024, mais moins qu’en 2022) vont en réalité voir le montant de leur DGF baisser d’une année sur l’autre. »
Débat d’Orientation Budgétaire, une édition actualisée
Le débat d’orientation budgétaire (DOB) a vocation à éclairer le vote des élus sur le budget annuel de leur collectivité. Il est obligatoire pour les collectivités de plus de 3 500 habitants et doit intervenir au minimum 12 jours avant le vote du budget primitif. Comme tous les ans, autour de cette échéance importante, La Banque Postale publie le « DOB en instantané », un outil d’aide à la préparation budgétaire au sein des collectivités. Pour prise en compte des mesures de la loi de finances 2025 dans sa version définitive, une mise à jour du « DOB en instantané » a été publiée le 5 mars 2025. Cette actualisation comporte une première partie plutôt visuelle, autour de graphiques, tableaux et schémas explicatifs sur les principales mesures de la loi de finances. Dans une seconde partie, le document fournit une analyse détaillée pour une compréhension en profondeur des dispositions de la loi de finances 2025 qui concerne les collectivités territoriales.