Gestion de l’eau : ce qui attend les collectivités

Les collectivités territoriales jouent un rôle crucial dans la gestion des ressources en eau et de l’assainissement. Avec la suppression de l’obligation de transfert aux intercommunalités de la compétence eau et assainissement et à l’heure où entre en application la réforme des redevances des agences de l’eau, les cartes de la gouvernance de l’eau sont rebattues.

Stress hydrique estival, recharge insuffisante des nappes phréatiques, baisse du niveau des cours d’eau, aggravation des phénomènes d’inondation, contamination aux effluents agricoles et aux « polluants éternels »*$ en forte hausse, conditions d’irrigation de plus en plus contraintes, vétusté des réseaux de distribution : s’adapter à ces réalités a un coût, et ce coût est élevé. Les collectivités font ainsi face à un mur d’investissements dans le domaine de l’eau et de l’assainissement. Or la consommation d’eau baisse dans notre pays. Elle chute même, du fait de l’amélioration des process industriels, de la disparition d’industries fortement consommatrices en eau (comme les centrales thermiques) et de comportements domestiques plus vertueux. Cette bonne nouvelle pour la préservation de la ressource n’en est toutefois pas une pour les Services publics d’eau et d’assainissement (SPEA), qui voient leurs recettes baisser. La baisse moyenne de facturation a ainsi été estimée à 2,9 % en 2023 par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), la fédération nationale des collectivités dévolues aux services publics locaux en réseau.

  • Acide trifluoroacétique (TFA),polluant très persistant dans l’environnement, dérivant de l’utilisation de gaz réfrigérants, de pesticides et de certains produits pharmaceutiques.

Des coûts actuellement non couverts

La France dépense en moyenne 23,4 milliards d’euros par an*$ pour la politique de l’eau. Ce total représente 0,84 % du PIB, ce qui situe la France dans la moitié supérieure de la fourchette de dépenses recommandée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui préconise de consacrer de 0,35 % à 1,20 % du PIB au renouvellement et au développement des seules infrastructures d’eau et d’assainissement.

Le petit cycle de l’eau (prélèvement, potabilisation, stockage et distribution de l’eau potable, collecte et traitement des eaux usées) mobilise à lui seul 92 % ce ces dépenses. Avec 1,9 milliard d’euros de dépenses moyennes par an seulement, le grand cycle de l’eau (ou cycle dit « naturel », qui recouvre le partage et la protection de l’eau et des milieux aquatiques) ne dispose pas des moyens financiers nécessaires à une réelle prise en compte des enjeux de quantité, de qualité de l’eau et de vulnérabilité des territoires. Le Cercle français de l’eau pointe ainsi des champs d’action insuffisamment investis, dans la gestion quantitative de la ressource en eau, la restauration des milieux aquatiques et la prévention des inondations.

Le déficit annuel d’investissement de la France dans le domaine de l’eau, y compris la gestion des eaux pluviales et le traitement des micropolluants, atteindrait 4,6 milliards d’euros*$.

Dans une étude publiée en novembre 2024, le Cercle français de l’eau évalue à 12,6 milliards d’euros par an les besoins globaux non couverts pour le financement de la politique de l’eau. Une somme considérable, pourtant indispensable à l’absorption des effets du changement climatique et à la maîtrise des enjeux de sobriété et de qualité de l’eau. Ces besoins non financés se répartissent comme suit :

  • 5 milliards pour assurer le bon état des masses d’eau ;
  • 4,6 milliards pour sécuriser l’eau potable et préserver les infrastructures ;
  • 3 milliards de coûts assuranciels pour couvrir les risques liés à la sécheresse et aux inondations.
  • En moyenne annualisée sur la période 2013-2022. Source : Cercle français de l’eau.

  • Source : UIE : Union nationale des industries et entreprises de l’eau.

Une gouvernance complexe

Les compétences locales liées à l’eau sont multiples et complémentaires. La difficulté propre à la gestion de l’eau est en effet que le périmètre hydrographique couvre ou chevauche plusieurs périmètres administratifs et politiques. De fait, la gestion de l’eau mobilise une multiplicité d’acteurs, opérant à diverses échelles territoriales, aussi bien administratives qu’hydrographiques. Pour le Cercle français de l’eau, « Cette imbrication d’échelles crée une confusion dans la responsabilité de chacun à porter des actions efficientes sur un périmètre cohérent, et conduit à une fragmentation territoriale et institutionnelle. »

En vue de simplifier ce cadre juridique et politique, mais aussi de faciliter des investissements importants, nécessitant une expertise technique pointue, un mouvement de mutualisation des compétences et des moyens s’est progressivement opéré sur la dernière décennie, en vue d’harmoniser le pilotage de l’eau. Avec la loi MAPTAM du 27 janvier 2014, un premier transfert de compétences a été opéré au profit des communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, dans le champ de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI). La loi NOTRe, en 2015, a quant à elle prévu le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et d’agglomération au 1er janvier 2020. Une échéance repoussée ensuite au 1er janvier 2026 par la loi du 3 août 2018, qui entendait prendre en considération les difficultés des collectivités à s’y conformer. Objectif de ce transfert : rationaliser la gestion de l’eau et de l’assainissement, la mutualisation des ressources et des moyens devant assurer des services publics plus efficaces et plus économiques.

Un revirement dans la gestion de l’eau

Dans sa déclaration de politique générale d’octobre 2024, Michel Barnier, alors Premier ministre, a annoncé la fin du transfert de compétences obligatoire pour 2026. Une proposition de loi est venue entériner cette mesure, que motive la volonté de préserver l’autonomie des communes sur des services essentiels à leur population, en tenant compte des réalités locales. Les communes n’ayant pas encore décidé le transfert de compétences pourraient désormais les conserver si elles le souhaitent. Elles pourraient également confier tout ou partie de ces compétences à des syndicats supracommunaux. Le projet de loi prévoit de maintenir les transferts déjà opérés, sans possibilité de réversibilité. Elle instaurerait en outre le principe d’une réunion annuelle de la Commission départementale de coopération intercommunale (CDCI), qui peut formuler des propositions pour renforcer la mutualisation à l’échelle départementale.

Cette mesure législative opèrerait un tournant significatif, introduisant une flexibilité nouvelle dans la gestion de l’eau, mais aussi de potentielles disparités entre territoires.

Selon les derniers chiffres publiés par l’association Intercommunalités de France en mars 2024, 48 % des EPCI exercent actuellement la compétence eau potable et 56 % la compétence assainissement. Environ 540 des 1 254 intercommunalités ont pris les deux compétences.

L’impact de la décision reste à évaluer dans le temps. Mais la mesure suscite d’ores et déjà des réactions contrastées, entre l’Association des maires de France, qui salue « une mesure de liberté et d’efficacité » et Intercommunalités de France, qui exprime son mécontentement. La fédération des EPCI avait d’ailleurs dévoilé en mars 2024 une cartographie montrant que 151 services d’eau parmi les 198 points noirs en termes de fuites sont en gestion communale isolée.

Une réforme structurelle du financement des agences de l’eau

Créées par la loi sur l’eau de 1964, les 6 agences de l’eau du territoire*$ assument un double rôle de solidarité territoriale amont-aval et de levier sur les investissements. Du petit cycle de l’eau auquel elles étaient dédiées au départ, ces agences ont vu leurs missions s’élargir au grand cycle de l’eau.

Les redevances qui leur sont versées sont des recettes fiscales perçues auprès de toutes les catégories d’usagers, suivant les principes « pollueur-payeur » et « préleveur-payeur ».

Sur la période 2019-2022, plus de 2 milliards d’euros de recettes annuelles ont ainsi été collectées au profit des agences de l’eau*$. Chaque euro prélevé est réinvesti sous forme d’aides aux collectivités, dans des politiques de l’eau intégrées, définies à l’échelle des bassins, échelle propre à garantir une meilleure équité et acceptabilité des actions.

Or le principe « pollueur/préleveur-payeur » est en réalité imparfaitement appliqué dans les redevances actuelles, en particulier pour la pollution de l’eau d’origine domestique et pour la modernisation des réseaux de collecte. Le système, ancien, a atteint ses limites. Engagée au 1er janvier 2025 mais progressive dans sa mise en œuvre, la réforme structurelle des redevances entend envoyer un signal financier plus marqué aux pollueurs et préleveurs.

Avec la réforme, deux redevances ont ainsi été supprimées fin 2024 : pour modernisation des réseaux de collecte domestique et pour pollution domestique de l’eau. Le nouveau dispositif crée 3 nouvelles redevances : redevance consommation d’eau potable, redevance performance des systèmes d’assainissement collectif et redevance performance des réseaux d’eau potable. La grande nouveauté de la réforme est ainsi une incitation à la performance des usagers et des SPEA, sur les prélèvements, la pollution de l’eau, la lutte contre les fuites et la diminution des polluants rejetés en rivière.

L’idée est d’inciter à la sobriété, pour une gestion plus responsable de l’eau. Ainsi pour l'eau potable, la redevance est à présent établie en fonction du taux de fuite et de la connaissance du réseau par la collectivité. Ceci dans la limite d'un euro par mètre cube, montant indexé sur l'inflation.

De la même manière, la redevance pour la performance des systèmes d'assainissement collectif varie désormais en fonction de la validation de l'autosurveillance, de la conformité réglementaire et de la performance du système d'assainissement.

Le nouveau dispositif devrait ainsi rééquilibrer l’origine des contributions, valoriser les efforts de gestion des collectivités, augmenter les capacités financières des agences de l’eau et permettre le déploiement du Plan Eau de 2023, afin de faire face au dérèglement climatique.

  • Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse et Seine-Normandie.

  • Source : Ministère de la Transition écologique.

La gestion de l’eau en chiffres

31 milliards de m3 d’eau douce prélevés sur les milieux chaque année*$

  • Source : Bilan environnemental de la France (2021) – Ministère de la Transition écologique.

20 % de l’eau potable perdue du fait de fuites dans le réseau, mais seulement 0,66 % des 380 000 km de réseaux d’eau potable renouvelés en 2019*$

  • Rapport annuel 2019 de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement de l’OFB, SISPEA.

44 % des eaux de surface en bon état*$

  • Source : Datalab « Eaux et milieux aquatiques » (2020).

64 % du territoire touchés par des restrictions d’eau en 2023*$

  • Source : Ministère de la Transition écologique.

Solutions associées

Prêt vert aux collectivités

Financement

Le prêt vert permet à votre collectivité locale de financer la valorisation des déchets, mobilités propres, énergies renouvelables, rénovation énergétique des bâtiments.

Prêt social aux Collectivités

Financement

Le prêt social aux collectivités est une offre dédiée au financement des actions destinées à encourager la création de liens sociaux au sein de votre territoire.

Subzen

La Banque Postale vous propose un accompagnement à l'obtention de subventions pour financer vos projets d'investissement.

Articles associés