Le choc financier devrait être absorbé par les collectivités, mais non sans secousses

L’impact de la crise sanitaire sur les finances des collectivités territoriales est sujet à incertitudes. L’impact immédiat sur leur trésorerie devrait se coupler à un effet à plus long terme sur les équilibres budgétaires globaux. Ceci sur fond de situation financière saine, comme l’indique Luc Alain Vervisch, directeur des études à La Banque Postale.

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Le confinement a mis un coup d’arrêt à l’activité de la majeure partie des secteurs d’activité. Quel en est l’impact prévisible sur l’activité économique du pays en 2020 ?

L’INSEE l’a estimé à 3 points de PIB par mois de confinement. En tenant compte du déconfinement progressif – et avec toute la prudence de rigueur – l’année 2020 se solderait par une baisse de 8 à 10% du PIB, avec un impact direct sur les produits de la fiscalité locale.

Mais les incertitudes sont multiples, et ne se lèveront pas avant le second semestre de 2020. Avec la diminution des dépenses de loisirs, de transports et d’équipement, la situation de confinement s’est ainsi traduite pour certains ménages par une forte augmentation de l’épargne. Les Français dépenseront-ils cette épargne avec le retour progressif à la normale, facilitant ainsi la reprise économique ? Ou la prudence, l’incertitude du lendemain, la peur du chômage les pousseront-elles à la conserver comme épargne de précaution ? Sans oublier les personnes dont les revenus ont été fragilisés : indépendants, salariés indemnisés partiellement…

Entre 7 et 10% de baisse des recettes des collectivités en lien avec la crise sanitaire du COVID-19

En avril, le Gouvernement évaluait entre 7 et 10% la baisse des recettes des collectivités en lien avec la crise sanitaire du COVID-19. Sur quelle durée cet impact se fera-t-il sentir ?

La réponse à cette question repose là encore sur beaucoup d’incertitudes. S’agit-il de passer la vague, ce que la situation financière des collectivités fin 2019 permet de faire dans la grande majorité des cas ? Ou s’agira-t-il d’affronter une houle plus durable, par exemple liée à une seconde vague de pandémie ?

À très court terme, la crise sanitaire impacte surtout les recettes tarifaires des collectivités : cantines scolaires, équipements sportifs et culturels, redevances d’occupation du domaine public… Cela quand il leur faut continuer à assumer les coûts correspondants, en termes de dépenses de personnels ou d’investissement. Cette situation pose un problème de trésorerie immédiat, en grande partie surmontable, sauf dans des cas particuliers. A plus long terme, des difficultés d’équilibre budgétaire pourraient survenir, qu’il faudra régler.

Quels seront les territoires les plus durement impactés ?

Les communes du littoral et des zones de montagne vont souffrir d’une forte baisse de la fréquentation touristique, et donc dans l’immédiat des taxes de séjour ; c’est également le cas des villes thermales ou balnéaires dont les ressources dépendent en grande partie du produit des jeux des casinos.

Les territoires à dominante industrielle forte, par exemple en lien avec l’aéronautique ou l’automobile, seront confrontés aux conséquences de la chute d’activité sur l’emploi, le pouvoir d’achat des salariés, la situation des sous-traitants… Tout ceci avec un impact en rebond sur les finances locales via la fiscalité économique, notamment la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Une baisse probable d'environ 25% du versement mobilité

En termes de secteurs, les transports publics sont un des pans des économies locales particulièrement affectés. Avec quelles conséquences pour les finances locales ?

Les autorités organisatrices de la mobilité subissent en effet un impact massif. Alors même qu’il leur faut continuer à payer les équipements et les personnels, le versement mobilité, qui devait leur rapporter quelque 9 milliards d’euros pour 2020, pourrait enregistrer une baisse d’environ 25%, essentiellement du fait que les indemnités versées au titre du chômage partiel ne sont pas assujetties à l’impôt. Ceci, combiné à une forte diminution des recettes tarifaires sans doute jusqu’à la fin de l’été.

Les régions, qui portent notamment cette compétence « transports », sont aussi fortement mobilisées dans l’aide aux entreprises. Avec quelles conséquences sur leurs finances ?

Elles consentent en effet un effort considérable, avec 500 millions d’euros de contribution au fonds de solidarité en faveur des petites entreprises, des indépendants, des professions libérales… Les régions vont par ailleurs devoir supporter dès 2020 une baisse du produit de la TVA qui leur revient. Leurs recettes (TVA, CVAE, TICPE) sont assez fortement dépendantes de l’activité économique globale.

Les départements sont également fortement impactés. Pourquoi ?

Du côté des dépenses, la crise du coronavirus fait craindre une augmentation incontrôlée, au second semestre, des versements de RSA, dépense très directement liée à l’augmentation du taux de chômage. L’Aide Sociale à l’Enfance, fortement corrélée à la situation économique des familles, pourrait également être impactée à la hausse dans les années qui viennent, sans parler évidemment du soutien financier aux EHPAD publics.

Avec la mise à l’arrêt quasi complet des transactions immobilières depuis la mi-mars, les Départements subissent par ailleurs une chute brutale des Droits de Mutation à Titre Onéreux (DMTO) qui constituent l’une de leurs principales ressources. Il s’agit là, vraisemblablement, d’un creux transitoire auquel répondra un effet de rattrapage durant le second semestre. Mais le marché immobilier retrouvera-t-il ses couleurs d’avant la crise, ou la reprise se fera-t-elle à un rythme plus lent, du fait de la fragilisation financière des acheteurs, ou d’une éventuelle remontée des taux à long terme ? Il est trop tôt pour le dire.

Dans ce paysage, peut-être y aurait-il cependant un coin de ciel bleu : si les modalités de remplacement du foncier bâti départemental sont maintenues, le montant versé en 2022 à la place de l’impôt perdu sera calculé sur la base de la TVA encaissée par l’Etat en 2021. Les Départements pourraient ainsi bénéficier de l’effet rebond d’une reprise post-confinement.

C’est surtout à partir de 2021 que les effets de la crise sanitaire devraient se faire sentir

Qu’en est-il du bloc communal et intercommunal ?

Les effets immédiats en dépenses – par exemple liés à l’accueil gratuit des enfants de personnels soignants, au portage de repas à domicile - semblent en général peu importants ; mais on ne doit pas oublier les achats de matériel de protection pour lesquels les collectivités vont être largement sollicitées, et le versement éventuel d’une prime à une partie des agents territoriaux.  C’est surtout à partir de 2021 que les effets de la crise sanitaire devraient se faire sentir en recettes, sur la CVAE comme nous l’avons dit, mais aussi sur la CFE voire la taxe foncière. Ceci en raison d’une baisse de la croissance, et de la disparition de certaines entreprises.

Il est probable que l’écho de la pandémie se fera sentir durant 2 ou 3 années.

Dans quel contexte la crise actuelle s’inscrit-elle ? Quel était l’état des finances locales fin 2019 ?

La situation financière des collectivités à fin 2019 était bonne, avec en particulier un niveau d’autofinancement record historique. Or l’autofinancement est un élément clé de la santé des finances locales : il traduit la capacité à agir, à investir et à rembourser la dette.

Les collectivités étaient par ailleurs parvenues à un niveau inédit de maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, dont le rythme de progression était inférieur à l’inflation.

Enfin, elles affichaient une capacité d’emprunt réelle. Leur dette s’établissait à environ 175 milliards d’euros, avec une capacité de désendettement stabilisée à 4,5 ans, pour un seuil de risque estimé par l’État à 12 ans pour le bloc communal.

Cette situation met la grande majorité des collectivités en capacité d’absorber un choc transitoire.

Les collectivités pourraient être sollicitées pour contribuer à la relance économique. De quels moyens disposent-elles pour le faire ?

Il n’est effectivement pas impossible qu’elles soient mises à contribution pour contribuer à la relance, notamment du secteur du BTP. Cela via leurs investissements : la rénovation du patrimoine, la construction de logements, la rénovation énergétique des bâtiments publics, les programmes d’aménagement… Autant de grands projets qui figurent au programme des nouvelles équipes municipales.

Les régions sont en première ligne pour ce qui est des aides directes aux entreprises. Mais les intercommunalités seront également très mobilisées, pour faciliter le maintien en activité des entreprises, cela via le report de loyers, les avances remboursables, ou encore les cautions. Les associations d’élus ont sollicité un assouplissement des règles pour faciliter le complément versé par les collectivités aux aides de l’État. Et obtenu que le poids des dépenses exceptionnelles générées par la crise puisse être étalé sur plusieurs années, par leur inscription en section d’investissement sous le contrôle de l’État et le regard attentif des organismes prêteurs ; au demeurant, les instructions comptables existantes le permettaient déjà.

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