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Les bailleurs sociaux en quête de souveraineté énergétique

Les bailleurs sociaux se font progressivement une place dans le paysage énergétique français, en participant à la production d’énergies renouvelables. À l’encontre du modèle ultra-centralisé à la française, où dominent les combustibles fossiles et le nucléaire, le monde de l’énergie se territorialise. Dans le contexte de crise énergétique, le logement social apparaît comme un creuset d’innovations pour une meilleure maîtrise de l’énergie à l’échelon local.

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L’envolée des prix de l’énergie et les difficultés chroniques d’approvisionnement ont accéléré le mouvement : la production d’énergies renouvelables (EnR) a tendance à se territorialiser dans notre pays. La résilience : tel est l’enjeu pour cette relocalisation progressive, qui permet aux territoires de réduire leur dépendance énergétique à l’égard des géants du secteur et de la volatilité des tarifs de l’électricité et du gaz.

Les bailleurs sociaux ne sont pas en reste. Le congrès national 2023 de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) a d’ailleurs mis l’énergie au centre de tous les débats, avec une séance plénière spécifiquement dédiée à la question « Quel rôle pour les organismes Hlm dans la souveraineté énergétique locale ? »

Un cadre réglementaire incitatif

La loi de mars 2023 pour l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite « loi APER », confère un rôle central aux communes dans la planification du développement des énergies renouvelables. Une nouvelle compétence, censée favoriser la territorialisation de leur production.

Créés par la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021, les objectifs régionalisés de développement des énergies renouvelables ont été fixés pour que chaque région du territoire métropolitain puisse contribuer aux objectifs généraux de la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Cette même loi permet aux bailleurs sociaux de s’instituer Personne Morale Organisatrice (PMO) dans le cadre de projets d’autoconsommation collective d’énergie avec leurs locataires ou avec d’autres personnes physiques ou morales tierces. Dès lors, c’est un nouveau – et vaste – champ des possibles qui s’est ouvert pour les organismes Hlm.

Dernière étape en date, un décret publié le 28 décembre 2023 a créé le cadre réglementaire relatif aux communautés d’énergie. Cette transposition du droit communautaire précise notamment les formes juridiques possibles pour les communautés d’énergie renouvelable (CER) que peuvent créer les PMO.

Les communautés d’énergie renouvelable roulent pour les territoires

La CER est l’une des modalités d’organisation possibles de l’autoconsommation collective dans les organismes de logement social.

Les communautés d’énergie renouvelable sont des personnes morales qui peuvent produire, stocker, consommer et vendre de l’électricité, mais aussi partager en leur sein l’électricité produite (on parle alors de boucle d’autoconsommation).

Peut se constituer en communauté énergétique tout projet de production et de consommation d’électricité renouvelable, local et décentralisé. Une communauté repose sur plusieurs principes : autonomie, participation volontaire, contrôle et prise de décision démocratique. Plutôt que la réalisation de profit, les CER visent des retombées économiques, sociales et environnementales positives pour leur territoire d’implantation. Elles peuvent se constituer au sein d’une grande diversité d’organisations : coopératives, PME… et organismes Hlm. La législation française fixe un critère de proximité pour l’autoconsommation collective, soit un périmètre de 2 km maximum entre le consommateur final et l’unité de production(1).

L’autoconsommation en ligne de mire

Davantage de souveraineté énergétique pour une meilleure protection des plus fragiles contre la fracture énergétique, c’est le pari fait par certains organismes de logement social, qui choisissent de diversifier leurs approvisionnements.

Rendues possibles par l’important volume des parcs de logements gérés, les centrales électriques et thermiques ont, depuis longtemps, fait des bailleurs sociaux des énergéticiens de fait. Désormais, un organisme de logement social peut équiper certains de ses bâtiments d’installations de production d’énergie renouvelable. Il peut utiliser l’énergie produite pour les besoins des parties communes des bâtiments, mais aussi la partager avec les locataires, voire avec des équipements publics ou collectifs voisins à l’échelle du quartier.

Nantes Métropole Habitat s’est saisi de cette possibilité en se dotant à titre expérimental, dès 2018, d’un système d’autoconsommation collective. Des panneaux photovoltaïques ont ainsi été installés sur une barre Hlm. L’énergie produite alimente en électricité les parties communes de 330 logements ainsi que plusieurs bâtiments municipaux du quartier : école, mairie annexe, maison de quartier. Avec le renchérissement du prix de l’électricité, cette boucle d’autoconsommation a été rentabilisée en 18 mois, contre 5 années escomptées.

Plein boom sur les réseaux de chaleur

Dans son dernier rapport, le Haut Conseil pour le climat a recommandé d’accroître le développement des réseaux de chaleur, pour une moindre dépendance aux énergies fossiles importées. Alimentés à près de 70 % par des énergies renouvelables ou de récupération(2) (biomasse, géothermie, déchets agricoles, boues de stations d’épuration, incinération d’ordures ménagères, chaleur de récupération issue de l’industrie), les réseaux de chaleur séduisent un nombre croissant de collectivités territoriales et de bailleurs sociaux.

À une échelle beaucoup plus large que celle des CER, les bailleurs sociaux peuvent donc raccorder une partie de leur parc à un réseau de chaleur existant. Filiale d’Action Logement, Seqens a ainsi décidé de raccorder l’ensemble de son patrimoine situé sur la commune de Bagneux (Hauts-de-Seine) au réseau local de géothermie créé à l’initiative de la ville.

Les bailleurs sociaux peuvent également prendre l’initiative de mutualiser leurs investissements pour créer un réseau de chaleur. C’est ainsi le choix fait par Aquitanis et Domofrance, dont la chaufferie biomasse assure, depuis 2021, le chauffage des 1 341 logements d’un nouveau quartier de Bordeaux.

D’après une étude réalisée par la fédération des offices publics Hlm (FOPH) et dévoilée au congrès USH d’octobre 2023, 408 000 logements sociaux sont d’ores et déjà raccordés à un réseau de chaleur, soit environ 19 % du patrimoine des bailleurs sociaux. La fédération estime évaluer à 760 000 le nombre total de logements pouvant être raccordés à date.

Massifier les investissements, pour une trajectoire vertueuse

Pour Amorce, association nationale de collectivités territoriales et de professionnels pour une gestion locale des déchets, de l'énergie et des réseaux de chaleur, il faut désormais massifier les investissements. Élaboré à cette fin par une coalition d’associations d’élus territoriaux(3), un projet de Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) des territoires a été présenté en octobre 2023 au gouvernement. Le scénario en question mise sur une réduction de 30 % de la consommation finale d’énergie d’ici à 2035. Avec un objectif de 45 % d’énergies renouvelables et de récupération, locales et décarbonées, dans le mix territorial. Les hypothèses du collectif vont ainsi à l’encontre du recours jugé « excessif, et donc risqué sur le plan économique et écologique, à l’électrification des usages dans le bâtiment et la mobilité, décarbonée mais non renouvelable et non locale »(4).

Quelle que soit l’option, en matière d’énergie, la priorité numéro 1 est claire : il faut consommer moins. Mais pour que ces enjeux de sobriété infusent dans l’ensemble de la population, jusqu’auprès des foyers les plus fragiles, miser sur la production et la consommation d’énergie renouvelable localement et à petite échelle est un projet qui devrait convaincre de plus en plus largement dans le monde du logement social.

Performance et dépendance énergétique dans le logement social : les chiffres

Globalement, les logements du parc social affichent de bien meilleures performances énergétiques que ceux du secteur privé. Ainsi, 9,5 % des logements sociaux sont étiquetés F ou G sur la base de la plus récente version du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), contre 18,8 % des logements du parc privé(5). Les bailleurs sociaux restent très dépendants du gaz. Cette énergie représente 62 % du mix énergétique des logements sociaux, contre 41 % pour l’ensemble des résidences principales en France(5).

Bon à savoir

Une communauté énergétique est une personne morale dont la gouvernance et les modalités de participation doivent respecter certains critères, réglementairement définis. Les communautés énergétiques investissent dans l’automation l’autoconsommation collective, mais aussi dans la production, la vente ou encore l’agrégation d’énergie renouvelable.

L’objet d’une opération d’autoconsommation collective (AAC) est plus limitatif. Il s’agit d’un mode de gestion de la production électrique consistant à répartir la production entre les participants.

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(1) Pour les opérations d’autoconsommation collective étendues en secteur rural ou périurbain, ce périmètre maximal entre participants est étendu à 10 km (et 20 km si tous les participants sont situés en zone rurale).
Source : https://www.banquedesterritoires.fr/autoconsommation-collective-delectricite-le-perimetre-selargit-aux-zones-periurbaines
(2) Contre 20 à 22% pour l’électricité et environ 3% pour le gaz (source : Amorce).
(3)  Outre Amorce : ANPP – Territoires de projet, France urbaine, Intercommunalités de France et Villes de France
(4)  https://franceurbaine.org/communiques-de-presse/pour-atteindre-la-neutralite-carbone-en-2050-les-associations-de-collectivites
(5) Observatoire national de la rénovation énergétique – Juillet 2022