Didier Lesueur : « L’Odas vient d’être rebaptisé*$ "Observatoire de la décentralisation et de l’action sociale", un nom qui « colle » parfaitement à ses missions. L’observatoire a été créé en 1990, 6 ans après le début de la décentralisation des compétences sociales, essentiellement dévolues aux départements. Ce qui a présidé à la création de l’Odas est le constat partagé par ses mentors, Jean-Michel Belorgey, socialiste, alors président de la Commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale, et Jean-Pierre Fourcade, républicain indépendant, son homologue au Sénat. Ces deux rivaux politiques partageaient (le projet de loi portant sur la création du Revenu Minimum d’Insertion était alors à l’examen) le constat d’une totale absence de visibilité sur ce qui se passait en matière d’action sociale dans les territoires. Au même moment, un rapport du Conseil économique et social (le CESE aujourd’hui) préconisait la création d’un organisme indépendant pour observer la mise en œuvre de la décentralisation. La forme associative a été retenue pour que l’Odas puisse se tenir à distance des enjeux politiques et institutionnels. »
Dans quel contexte l’Odas a-t-il été créé ?
Le vote de ce changement de dénomination est intervenu en Assemblée générale, en octobre 2024.
Cette pluralité perdure-t-elle dans l’organisation et la gouvernance de l’Observatoire ?
Didier Lesueur : « Cette pluralité politique demeure effectivement. Elle se vit dans nos instances (Assemblée Générale, Conseil d’Administration) où siègent un nombre croissant d’élus, de bords politiques différents, qui savent travailler ensemble à la recherche d’un meilleur service de l’intérêt général. À cela une réserve, liée au progressif retrait de l’État dans le modèle de financement initial de l’Odas, qui repose par ailleurs sur les cotisations de nos adhérents et les missions d’appui effectuées. »
Quelle est la mission de l’Odas en tant que lieu de pensée au service de l’action publique ?
Didier Lesueur : « La finalité de l’Odas est de construire de la connaissance partagée, plutôt qualitative que quantitative, pour réaliser une analyse de l’action sociale locale. Au fil du temps, nous nous sommes ouverts à tout ce qui contribue à la cohésion sociale et peut consolider les liens sociaux et les solidarités de proximité. Nos travaux sont très divers, tous facilement accessibles en ligne. Ils procèdent d’une recherche très opérationnelle, dans une logique non de revendication mais de prise de recul pour construire une action mieux ciblée. Avec nos écrits, nous cherchons d’ailleurs à atteindre les décideurs, qu’ils soient politiques ou administratifs. Sur nos sujets de prédilection - la protection de l’enfance, le vieillissement, l’insertion, la cohésion sociale, le handicap etc. - nous travaillons principalement avec les départements, ainsi qu’avec un certain nombre de communes qui se saisissent de ces questions. Sur chaque sujet, nous cherchons à rassembler autour d’une même table toutes les parties prenantes, y compris si elles sont en désaccord, pour réfléchir à l’action publique. Notre logique est davantage préventive que ne l’est l’action publique, qui procède en général plutôt de la réparation. »
Quelles sont les ressources sur lesquelles s’appuie l’Observatoire ?
Didier Lesueur : « L’équipe de l’Odas compte environ 12 équivalents Temps plein (ETP), salariés permanents et conseillers associés, en général d’anciens fonctionnaires à la retraite. La collaboration systématique avec la diversité des acteurs locaux concernés par nos sujets d’étude (élus, professionnels, associations, bénévoles, bénéficiaires) est l’une de nos lignes forces. 80 % des Départements sont adhérents à l’Odas. Nous travaillons aussi étroitement avec une cinquantaine de communes. »
Voici plus de 10 ans, La Banque Postale nous a rejoints : elle apporte la spécificité de ses connaissances sur l’évolution des grands équilibres budgétaires au service de l’action sociale départementale.
Didier Lesueur — Délégué général de l’Odas
L’Odas est un partenaire historique de La Banque Postale. Et collabore étroitement avec sa Direction des études. Pour quel type de co-productions ?
Didier Lesueur : « En effet historiquement, c’est autour de l’expertise financière de l’action sociale que nous nous sommes rapprochés, avec La Banque Postale. Depuis son origine, l’Odas réalise tous les ans une analyse de l’évolution des dépenses sociales et médico-sociales des départements. Pour mener ce travail, nous nous appuyons sur un panel de 48 départements qui fournissent des données financières et d’activité sur l’exercice écoulé, en février de l’année suivante. Voici plus de 10 ans, La Banque Postale nous a rejoints : elle apporte la spécificité de ses connaissances sur l’évolution des grands équilibres budgétaires au service de l’action sociale départementale. Ces analyses croisées font l’objet d’une publication commune. Intitulée « Au pied du mur », l’édition 2024 souligne la situation financière dégradée des départements en 2023, notamment du fait de l’inflation et d’une baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). »
Le second axe de collaboration entre l’Odas et La Banque Postale s’articule autour de la Journée citoyenne. De quoi s’agit-il exactement ?
Didier Lesueur : « Parallèlement aux études qu’il mène, l’Odas se veut aussi un laboratoire d’innovations locales. APRILES (Agence des Pratiques et Initiatives Locales) est le nom de la structure que nous dédions à la valorisation d’initiatives inspirantes, à l’accompagnement et à l’essaimage des plus prometteuses, par capitalisation des expériences.
C’est dans ce cadre qu’en 2009, à Berrwiller dans le Haut-Rhin, nous avons repéré un maire, Fabian Jordan, qui, élu après une campagne sur la nécessité de recréer du lien entre habitants, avait créé une journée citoyenne dans sa commune de 1 200 habitants, ne se satisfaisant pas de l’indifférence croissante de ses concitoyens les uns envers les autres. La Journée citoyenne est une occasion pour que les habitants d’une commune fassent et agissent ensemble pour s’apprivoiser, au sens de Saint-Exupéry.
Cette journée est, en quelque sorte, une première amorce pour retisser les liens sociaux de proximité qui forment le premier filet de sécurité contre l’isolement. Une fois les solidarités locales affaiblies du fait de l’éparpillement des familles, de la mobilité géographique, ou encore du vieillissement de la population, l’impact social de cet isolement peut être très fort, avec des difficultés sociales cumulatives auquel il n’est alors possible de répondre que dans une logique de réparation.
L’initiative ne s’adresse pas à des segments de publics (les plus fragiles, comme c’est en général le cas) mais à tous les citoyens. Une date de référence a été fixée au 4e week-end de mai, chaque année. Mais les communes participantes ont toute latitude pour l’organiser à leur convenance, à n’importe quel moment de l’année. »
Quelles sont les typologies d’actions menées ce jour-là ?
Didier Lesueur : « Elles sont extrêmement diversifiées. Historiquement, les chantiers collectifs d’embellissement du cadre de vie commun dominent : peinture d’une fresque, fleurissement, installation de bancs dans les espaces publics, plantation d’arbres mellifères, création d’un parc, nettoyage des berges d’un fleuve, etc. Ailleurs, la Journée citoyenne se fait solidaire et inclusive, avec par exemple la Disco Soupe à Angers, préparée à partir d’invendus du marché, ou un dispositif permettant aux personnes âgées isolées d’être accompagnées pour aller au cinéma… Les actions d’entretien et de restauration du petit patrimoine local (lavoir, fontaine etc.) sont également très nombreuses. »
Quel est le rôle et l’accompagnement offert par l’Odas aux communes initiant une Journée citoyenne ?
Didier Lesueur : « L’Odas n’est pas là pour labelliser ces journées. En revanche nous « allumons la mèche » et animons l’essaimage de l’idée au plan national. Nous co-construisons des outils (notamment des fiches-actions pratiques) mis à disposition des communes engagées et nous pouvons les accompagner dans la mise en œuvre du projet. Une Charte a été établie, invitant les communes participantes au respect de principes de base : la priorité à des actions intergénérationnelles, l’implication des élus, l’absence de concurrence faite aux acteurs privés du territoire etc.
Depuis les attentats de 2015, l’Odas a initié une promotion beaucoup plus active de la Journée citoyenne. La Banque Postale nous soutient activement dans ce travail. Nous nous rejoignons sur la conviction qu’une réponse sécuritaire aux problématiques de « vivre ensemble » ne suffit pas. Qu’il faut y apporter une réponse de résilience.
Le résultat des efforts conjoints réalisés est que d’une quarantaine en 2015, le nombre de communes engagées n’a cessé d’augmenter, atteignant 2 500 municipalités de toutes tailles*$ mobilisées en 2024, avec environ 350 000 citoyens participants. Ce que nous observons dans ces communes, c’est que la Journée citoyenne transforme les rapports des habitants entre eux, mais aussi le lien entre les citoyens et leurs élus. En général, la Journée citoyenne est une action qui fait « tache d’huile » : les communes voisines s’y intéressent et, souvent, s’y rallient. »
Des villes de grande taille organisent une Journée citoyenne (Blois, Troie, Saint-Brieuc, Amiens, Angers etc.). Mais aussi de très petites communes.
Comment voyez-vous le déploiement à venir de la Journée citoyenne ?
Didier Lesueur : « Des prolongements à la Journée citoyenne à l’initiative des communes ont déjà été expérimentés. L’initiative a ainsi été transposée dans plusieurs Ehpad, avec la constitution d’un réseau de centaines de bénévoles autour des établissements. Une Journée citoyenne a, par ailleurs, été organisée dans différents collèges en Alsace. Plus récemment, l’Odas a été approché par CDC Habitat, dans le but d’accompagner la transposition des outils de la Journée citoyenne auprès des locataires de son parc de logements sociaux. Nous sommes par ailleurs sur le point de conclure un partenariat avec un important bailleur social du Pas-de-Calais. Si le public cible change, l’idée reste la même : il s’agit de créer des liens qui permettent de passer de la défiance à la confiance. »
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10% Les dépenses d’aide et d’action sociale, qui représentent 10% des dépenses de protection sociale en France, sont majoritairement à la charge des collectivités. Et en particulier à la charge des départements, qui en représentent 46% en 2022 (Drees - novembre 2024).