Entretenir le patrimoine historique local

Monuments classés ou non, édifices cultuels, mais aussi moulins, puits, lavoirs, calvaires…. Ces éléments emblématiques du patrimoine de chaque commune contribuent à son identité et à sa valorisation. Mais dans un contexte de contraintes budgétaires accrues, sauvegarder, rénover, réhabiliter ou requalifier ce patrimoine ancien reste un enjeu sous-estimé.

Les collectivités locales sont les fers de lance de la préservation et de la rénovation du patrimoine historique national.

Selon la loi, le propriétaire d’un monument historique est en effet le maître d’ouvrage des travaux qui y sont entrepris. À ce titre, il doit notamment assurer le financement nécessaire, en sollicitant les acteurs publics ou privés.

Or en France, déconcentration oblige, la majorité des 44 000 immeubles protégés au titre des monuments historiques appartiennent non plus à l’État, mais aux collectivités territoriales. Les communes détiennent ainsi à elles seules 50% de ce patrimoine classé ou inscrit1.

Les territoires ruraux sont aux premières loges : 55% des monuments historiques protégés sont situés sur le territoire des communes de moins de 2000 habitants2. Celles qui présentent les moyens financiers et les compétences techniques les plus limités.

Un patrimoine en péril ?

Aujourd’hui, les travaux de rénovation d’un bâtiment à caractère patrimonial doivent être financés a minima à hauteur de 20 % par la commune pour que celle-ci soit maître d’ouvrage. Faute de moyens, de nombreuses communes rurales sont dans l’incapacité de rénover des édifices vieillissants. Présenté en Conseil des ministres en juillet dernier, le projet de loi « Engagement et Proximité » prévoit que le préfet puisse accorder des dérogations à cette règle, pour des travaux à réaliser d’urgence sur le patrimoine, classé ou non.

Car l’urgence à agir est bien réelle. La France compterait environ 2000 monuments historiques en péril ou partiellement menacés. Or les fonds que l’État consacre au patrimoine représentent seulement 3% du budget de la Culture, qui ne pèse lui-même que 2,1% du budget de l’État en 20193. Le succès rencontré par la souscription en vue de reconstruire Notre-Dame4 témoigne d’une conviction largement partagée que l’État n’est plus en capacité de financer la rénovation de son propre patrimoine.

Un diagnostic pour cibler les actions

Préalable à toute décision relative au patrimoine historique communal, un diagnostic patrimonial complet s’impose. Cette phase de diagnostic est utile pour cibler les actions, les hiérarchiser et identifier les niveaux d’intervention nécessaires : simple sauvegarde, rénovation, réhabilitation ou requalification avec changement de destination.

Le coût de la démarche peut être réparti entre plusieurs acteurs, qu’ils soient publics (ministère…) ou encore associatifs. Analyse viaire et parcellaire, état sanitaire du bâti, inventaire des éléments remarquables, conformité ou non aux normes d’accessibilité et de sécurité incendie5, analyse des possibilités d’évolution : une telle analyse permet notamment de préciser la valeur, l’authenticité, l’état de conservation et les possibilités de remédiation de chaque élément du patrimoine.

Une fois cet inventaire précis réalisé, la planification des investissements permet de lisser l’effort financier. Rogner sur les coûts d’entretien du patrimoine en période de restrictions budgétaires peut s’avérer tentant. Il faut pourtant savoir qu’un entretien régulier reste moins coûteux sur le long terme que des travaux urgents et lourds trop longtemps reportés.

Des subventions croisées à mobiliser

Lorsqu’un bâtiment commence à donner de sérieux signes de vétusté, voire de décrépitude, il est grand temps d’investir. De multiples financements publics peuvent alors être sollicités pour boucler un tour de table.

Les aides de la DRAC pour un édifice inscrit (10 à 40% du total) ou classé (jusqu’à 50%) financent ainsi l’ensemble du processus de rénovation, des études aux travaux. Cette subvention n’est cependant pas systématique et dépend notamment du budget du maître d’ouvrage, de l’urgence des investissements, de l’ouverture de l’édifice au public et de la participation d’autres collectivités.

La création, fin 2017, d’un fonds étatique « incitatif et partenarial » de 15 M€ d’autorisations d’engagement en faveur de la rénovation du patrimoine historique vient opportunément renforcer le soutien du ministère de la Culture aux petites communes à faibles marges de manœuvre financières. Les projets éligibles – prioritairement situés dans les communes de moins de 2 000 habitants – bénéficient d’un taux d’intervention bonifié de la part de l’État (jusqu’à 80% du coût pour les monuments classés), cela à la condition que les régions les abondent également. Ces crédits restent toutefois sous-utilisés, en raison de la complexité des circuits de décision et de financement.

Des aides européennes au titre du FEDER peuvent également être mobilisées pour le financement de projets à caractère patrimonial.

En milieu rural, il est enfin possible de solliciter la Dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR).

Les régions peuvent s’impliquer au titre du développement économique et touristique. Un engagement d’ouverture au public ou de valorisation est souvent exigé à titre de contrepartie. Quant aux départements, ils s’impliquent de plus en plus rarement, uniquement au titre de la solidarité avec les petites communes. Mais si réduites soient-elles, leurs interventions peuvent permettre de boucler un plan de financement, en particulier lorsque l’engagement d’un tiers, comme celui de la Fondation du Patrimoine, en dépend.

Dans l’attente du versement des subventions, le prêt-relais s’avère une solution pertinente pour « amorcer la pompe » des travaux.

Un secteur privé de plus en plus impliqué

L’argent public ne suffit souvent pas à boucler un tour de table. Dans le champ de la rénovation du patrimoine, on assiste désormais à une montée en puissance des financements privés.

Forme de mécénat populaire, le financement participatif est particulièrement adapté aux projets de rénovation patrimoniale. En direct ou par l’intermédiaire d’une association ad-hoc, les communes sont ainsi de plus en plus nombreuses à faire appel à la plateforme en ligne de KissKissBankBank, filiale de La Banque Postale, qui relaie et anime les campagnes de collecte en partenariat avec la Fondation du Patrimoine.

Par exemple, le lancement d’une souscription conjointe par la ville de Chateaugiron (Ille-et-Vilaine) et son centre d’art (un château du XIIème siècle) a permis, début 2019, de rassembler le double de la somme espérée pour acquérir une œuvre d’art singulière. Des sculptures en forme de fourmi géante font désormais partie du décor qui accueille et surtout questionne les visiteurs.

En 2017, au plan national, 45 millions d’euros ont été collectés par les divers acteurs du crowdfunding en France, pour des projets de sauvegarde ou de restauration du patrimoine, matériel et immatériel. Le succès de ces campagnes témoigne d’un véritable attachement des Français à leur patrimoine local.

Les campagnes de financement participatif des projets patrimoniaux affichent un taux de réussite plus que satisfaisant, qui varie de 50 à 80 % en fonction de la popularité des projets, de leur ampleur et de la communication qui en est faite. 

Une dynamique à impulser autour d’un patrimoine valorisé

Un patrimoine historique valorisé peut représenter un élément de dynamisation de la commune et un atout majeur pour la revitalisation d’un centre-bourg.

Quelques interventions ciblées, sur un îlot ou un élément patrimonial particulièrement remarquable, peuvent alors jouer le rôle de démonstrateurs, donnant un aperçu de ce qui peut être fait tout en encourageant les propriétaires et investisseurs privés à rénover eux aussi des biens.

Il faut garder à l’esprit que si la rénovation d’un bâtiment remarquable présente un coût non négligeable, elle peut aussi être source de revenus. C’est le cas des bâtiments mis en location. Mais aussi des éléments de patrimoine dont l’intérêt touristique se trouve alors majoré, surtout s’ils sont couplés à une offre de loisirs : visites guidées, balades patrimoniales, animations, événements… L’obtention d’un label (« Ville ou Pays d’art et d’histoire » attribué par le ministre de la Culture, par exemple) fait officiellement reconnaître la valeur patrimoniale d’un bâtiment, d’un site ou d’une commune, tout en soutenant les collectivités concernées dans leurs démarches de valorisation. 

Pour redonner vie à un élément patrimonial délaissé tout en répondant à des besoins contemporains, il peut être envisagé de modifier la vocation et la fonction d’un bâtiment. La désaffectation et requalification des lieux de culte est ainsi un phénomène qui, s’il reste marginal, se développe rapidement. Chaque année, plusieurs dizaines d’édifices cultuels sont ainsi transformés en hôtels, restaurants, ateliers d’art, studios d’enregistrement, résidences d’artistes ou lieux d’exposition. Pour ce faire, il est nécessaire que la commune propriétaire obtienne la désaffectation par arrêté préfectoral ainsi que le consentement écrit de l’autorité représentative du culte concerné.

Dans tous les cas, la valorisation d’un élément patrimonial doit être pensée en harmonie avec son environnement, notamment en termes d’espaces publics. Intégrer les investissements patrimoniaux au cœur de projets plus vastes d’aménagement permet de mettre en lumière les fruits d’un patrimoine entretenu en termes de retombées économiques.

Un retour sur investissement parfois non négligeable

La dépense publique pour l’entretien et la rénovation du patrimoine historique est réputée produire un effet de levier important. L’activité économiques générée autour des monuments historiques est ainsi évaluée à quelque 8 milliards d’euros par an en France, avec près de 300 000 emplois induits6.

L’investissement dans la préservation du patrimoine local induit une activité économique non négligeable dans le territoire concerné. Il permet ainsi de préserver des savoir-faire, notamment en construction traditionnelle et artisanat d’art, mais aussi de soutenir l’activité des entreprises locales. Ceci sans compter les retombées en termes d’attractivité touristique.

Solutions associées

(1) Source : « Mission flash » sur le soutien au patrimoine immobilier protégé – Emmanuelle Anthoine et Raphaël Gérard, rapporteurs - Assemblée Nationale – avril 2018.

(2) Source : idem.

(3) Source : Le Figaro – « Les vrais chiffres du budget consacré à notre patrimoine par l’État », 20 avril 2019.

(4) Environ 850 M€ de promesses de dons, dont 25,8 M€ de la part de particuliers anonymes. Source : AFP, 16 avril 2019.

(5) Normes applicables aux établissements recevant du public (ERP).

(6) Source : « Mission flash » sur le soutien au patrimoine immobilier protégé – Emmanuelle Anthoine et Raphaël Gérard, rapporteurs - Assemblée Nationale – avril 2018.