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Élus territoriaux et bailleurs sociaux face à la mutation du logement social

Brassage institutionnel, fragilisation financière : au gré des chocs subis, ces dernières années, par les organismes HLM, le secteur du logement social connaît une mutation profonde. Qu’il s’agisse des dynamiques de regroupement des bailleurs sociaux ou de la transformation de leurs modèles économiques, les évolutions en cours impactent les collectivités territoriales, dont le rôle s’avère plus crucial que jamais.

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Logement social : des obligations pèsent sur lescollectivités territoriales

La loi SRU du 13 décembre 2000 a fixé à 20 % le seuil minimal de logements sociaux applicables aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de-France) situées dans ou à proximité de grandes agglomérations. La loi Duflot de 2013 a porté à 25 % ce taux plancher, également applicable aux EPCI à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants.

Les préfets disposent d’un pouvoir de sanction, les autorisant à quintupler le prélèvement SRU de compensation des logements sociaux manquants et à délivrer des permis de construire en lieu et place des maires.

L’objectif du dispositif consiste à imposer la construction de logements sociaux en zone tendue, là où la demande de logement est supérieure à l’offre disponible et ou les prix à la location rendent l’accès particulièrement difficile aux ménages modestes.

L’obligation de construction neuve de logements sociaux faite aux collectivités porte ses fruits : entre 2002 et 2016, les communes déficitaires françaises ont financé plus de 640 000 HLM, au-delà donc que les 467 000 relevant de leurs obligations triennales(1). Mais les communes ne contribuent pas équitablement à cet effort.

En effet, certaines communes « retardataires » ont développé des stratégies de diversification en créant des structures collectives – résidences étudiantes ou pour jeunes actifs, ou encore foyers-logements pour personnes âgées – partiellement décomptées en logement social.

Ces pratiques permettent aux communes déficitaires de répondre à leurs obligations SRU tout en optimisant un foncier rare et cher, cela sans susciter d’opposition dans la population.

Collectivités territoriales : un rôle crucial dans le champ du logement social

Les opérateurs du logement social sont porteurs d’une mission d’intérêt général au service d’un territoire donné. C’est pourquoi les collectivités locales occupent une place centrale auprès des bailleurs sociaux, quel que soit leur statut : offices publics de l’habitat (OPH), entreprises sociales pour l’habitat, (ESH) sociétés coopératives d’HLM, sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété (Sacicap), ou Sociétés d’économie mixte immobilière (SEM Immobilière).

Les élus locaux siègent dans les conseils d’administration des organismes HLM, ce qui leur permet de participer aux choix stratégiques. Une collectivité peut d’ailleurs demander à siéger dans les instances de gouvernance, si des sièges y sont vacants, d’un organisme opérant sur son territoire.

Le rôle du maire concerne toute le chaîne du logement social, de la définition d’une politique locale à l’octroi du foncier, en passant par le montage d’opérations ou l’attribution de logements. Depuis une quinzaine d’années toutefois, pour une meilleure coordination à l’échelle des bassins de vie, les EPCI se sont vus attribuer des responsabilités accrues.  La législation française autorise ainsi la délégation de la compétence d’attribution des aides à la pierre étatiques aux EPCI dotés d’un programme local de l’habitat (PLH).

La participation des collectivités au financement du logement social

Le financement d’un programme de logement social nécessite un montage associant plusieurs partenaires, opération dans laquelle les collectivités territoriales font office de pierre angulaire.

Le tour de table des financeurs comprend :

  • Des prêts de très longue durée octroyés par la Caisse des Dépôts et Consignations Ces prêts règlementés sur fonds d'épargne, reposant sur le Livret A, représentent en moyenne plus des trois quarts du financement du logement social(2)
  • Des prêts de banques traditionnelles pour tous les projets qui ne relèvent pas de la construction de logement très social (le financement de la réhabilitation et rénovation énergétique, le logement intermédiaire, la construction de siège social …)
  • La garantie de prêt obligatoirement et gratuitement apportée par une collectivité locale
  • Des subventions de l’État (les aides à la pierre, notamment) qui constituent une forme « d’agrément » pour l’opération. Ces aides sont parfois distribuées par les collectivités délégataires
  • Des subventions des collectivités locales (ou des apports « en nature », de foncier notamment)
  • Des contributions d’Action Logement matérialisant la participation des employeurs à l’effort de construction
  • Des fonds propres des organismes, qui pèsent en moyenne 8 à 15 % du total(3).

En dehors des prêts bancaires, tous ces financements sont associés à des droits de réservation sur les logements produits.

Des menaces pesant sur l’équilibre financier des organismes HLM et leur impact potentiel sur les collectivités

Depuis 2017, le recul du prêt à taux zéro, la baisse des aides personnalisées au logement (APL), compensée par la mise en place de Réductions de loyer de solidarité (RLS) à la charge des bailleurs sociaux ont fragilisé l’équilibre économique des opérateurs du logement social. Le progressif désengagement financier de l’État amorce un changement de modèle économique. Moins solvabilisés par les aides publiques nationales, les bailleurs sociaux voient leurs recettes diminuer, les poussant à rogner sur leurs capacités d’autofinancement.

Il pourrait en découler un potentiel risque pour les collectivités territoriales garantissant les emprunts des organismes HLM. L’Association des Maires de France (AMF) déclare d’ailleurs redouter une possible « dégradation des notes auprès des agences de notation » des collectivités, pouvant entraîner des difficultés à emprunter.

L’enjeu est de taille : la garantie apportée par les collectivités locales est considérée comme la clé de voûte du financement du logement social. Le Sénat estimait en 2019 que 90 % de l'encours total de la dette garantie des collectivités locales concernaient le logement social. 

Regroupementdes bailleurs sociaux : quelles conséquences pour les collectivités ?

Avec la loi ELAN, une restructuration globale du tissu des opérateurs du logement social a été initiée. Leur regroupement doit permettre d’atteindre une meilleure efficacité économique et de renforcer leur solidité financière.

339 organismes HLM, soit plus de la moitié des opérateurs du secteur, doivent ainsi se regrouper.

La loi prévoit deux modalités distinctes de rapprochement, avec des incidences quant à la participation des élus.

Le groupe capitalistique est une option par laquelle un ensemble d’organismes se place sous le contrôle direct ou indirect de l’un d’entre eux. S’agissant des SEM (28 % des regroupements) il est admis qu’un contrôle puisse être exercé par un actionnaire privé possédant plus de 40 % des droits de vote si aucune collectivité actionnaire ne dispose d’une fraction de droits de vote supérieure.

Pour les organismes ne pouvant être contrôlés en absence de capital (comme les offices publics de l’habitat et les associations), ou du fait de la composition majoritairement publique du capital des organismes, la loi Elan a instauré une nouvelle forme de fusion, inspirée des groupes coopératifs et mutualistes bancaires et assurantiels : la SAC ou Société Anonyme de Coordination. Mais la place des élus n’y est pas définitivement arrêtée. Car si la loi prévoit un conseil d’administration ou de surveillance pouvant atteindre 22 membres dont des représentants des collectivités du territoire, la question de leur nombre n’est pas tranchée. Une question d’autant plus cruciale que les fusions s’opèrent souvent au plan départemental voire supra-départemental.

Quoi qu’il en soit, la reconfiguration en cours du marché pourrait modifier en profondeur l’équilibre des relations entre bailleurs sociaux et élus locaux. Cela en faveur d’un modèle plutôt vertical et multi-territorial, où les logiques patrimoniales et les logiques territoriales des collectivités pourraient se faire concurrence.

Selon l’association des communautés de France (AdCF), « Les regroupements en cours pourraient être salutaires là où les acteurs étaient jusqu’ici très dispersés. Ils seront plus délicats lorsque les décisions en matière de construction, de réhabilitation ou de vente seront opérées à un niveau supérieur, sans prise en compte des choix locaux. Pour les collectivités, cette évolution pourrait se traduire par un pilotage politique plus distendu des organismes sur lesquels ils avaient jusqu’à présent une prise directe. »

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(1) Source : Ministère du Logement, 2018.
(2) Source : Sénat – Question écrite du 10 mai 2018
(3) Source : « Le logement social et les politiques locales de l’habitat : guide à l’usage des élus locaux », cahier pratique de l’Union Sociale pour l’Habitat - Juillet 2014