Interview

La transmission familiale d’une PME ou ETI se prépare sur 5 ans et passe souvent par un recentrage du pouvoir

Dans la décennie à venir, plus d’une PME et ETI familiale sur deux se trouvera en situation de transmission. Or, près de la moitié des chefs d’entreprises familiales de 60 à 69 ans n’ont pas formalisé de plan de succession(1). Elodie Le Gendre, fondatrice de Sevenstones, décrypte les raisons et les risques de cette impréparation. Elle partage les fondamentaux pour une transmission réussie, laquelle passe souvent par un recentrage du pouvoir.

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Portrait d'Elodie Le Gendre

Une étape essentielle d’une préparation réussie de transmission familiale est de lever le tabou du rapport à l’argent et au pouvoir. Toutes les parties prenantes doivent avoir conscience de la valeur de l’entreprise.

Elodie Le Gendre — Fondatrice de Sevenstones

Au regard de leur poids dans l’économie nationale, le sujet de la transmission des entreprises familiales est crucial. Or, les dirigeants actuels - 1 sur 4 a plus de 60 ans - (1) peinent à passer le flambeau. Une posture qui pénalise la pérennité de leur entreprise, car elle ferme la voie à une prise de décision pertinente et construite. Elodie Le Gendre, fondatrice de Sevenstones., société de conseil en fusion et acquisition smid cap, explique ci-après pourquoi.

Pour quelles raisons les dirigeants actuels n’anticipent pas la transmission de leur entreprise ?

Elodie Le Gendre : « D’abord, quand le dirigeant est le fondateur, la culture de la transmission est à inventer ! Au-delà de ce cas, il y a des invariants.

Plus on avance en âge, plus il est difficile d’aborder la question, même si le repreneur est identifié, déjà présent dans l’entreprise et prêt à reprendre le flambeau. Se projeter est difficile pour le dirigeant car une fin de vie professionnelle est souvent assimilée avec la fin de vie elle-même(2).

De plus, la transmission est souvent envisagée comme un passage de relais, à un instant « t ». En réalité c’est un processus long. On recommande de démarrer 5 ans avant la sortie du dirigeant.

Une autre dimension tient à la culture du dialogue au sein des familles. Les nouvelles générations pensent leurs projections professionnelles en termes d’envie, de compétences, de transformations, quand les précédentes s’inscrivent souvent dans une notion d’héritage qui ne se discute pas.

La préparation est aussi compliquée quand le dirigeant se projette en cherchant son clone plutôt qu’en acceptant de faire émerger des talents non semblables. Ou encore lorsque le dirigeant actuel s’est vu imposer une transmission vécue comme une expérience douloureuse, qu’il ne souhaite pas reproduire auprès de ses enfants.

Une transmission, pour être anticipée et réussie, doit être pensée comme un adoubement, lequel doit être donné et reçu. »

Une fois que le dirigeant a pris conscience de la nécessité de préparer la transmission, quelle réflexion doit être menée ?

Elodie Le Gendre : « L’objectif est que le passage de témoin soit adapté aux profils du repreneur et du cédant. Pour cela, le dirigeant actuel doit d’abord savoir s’il souhaite transmettre à ses enfants. Ensuite, au regard des enjeux émotionnels qui sous-tendent une telle opération, il lui faut expliciter son souhait et accueillir les réponses, une phase qui peut prendre du temps. Autre étape essentielle : lever le tabou du rapport à l’argent et au pouvoir. Toutes les parties prenantes doivent avoir conscience de la valeur de l’entreprise.

La question de la place des branches familiales non opérationnelles doit aussi être posée de manière explicite : cela fait-il encore sens qu’elles soient actionnaires ? Le souhaitent-elles ?

Enfin, il faut comprendre qu’une transmission réussie conjugue plusieurs cycles : le cycle des dirigeants, sortant et repreneur, le cycle de l’entreprise et le cycle macroéconomique avec les tendances qui s’imposent : RSE, innovation, digitalisation, concentration sectorielle… Le repreneur éventuel doit être capable de prendre en compte toutes ces dimensions. »

Les dimensions juridique et fiscale d’une transmission sont-elles bien maitrisées par les dirigeants ?

Elodie Le Gendre : « Bon nombre de dirigeants ne connaissent pas le pacte Dutreil, qui permet de se donner la chance d’une transmission familiale anticipée à moindre coût, dans la durée.

D’autres schémas existent : il faut les étudier bien en amont et travailler pour faire converger les parties prenantes. À cet égard, le recours aux médiateurs -qui permet de verbaliser en toute confidentialité les attentes et d’explorer les solutions- est utile pour aborder la question du recentrage du pouvoir ou celle d’une construction différente du pouvoir, avec le recours à un patron externe à la famille. »

Quels sont les trois risques principaux en cas de non-préparation de la transmission d’une entreprise familiale ?

Elodie Le Gendre : « D’abord la perte de chance d’une transmission familiale, qui ne s’opérera pas car elle n’aura pas été pensée dans toutes ses dimensions. L’éducation ou la formation à la transmission se cultivent. Sans elles, il n’y a pas de fierté à s’inscrire dans une histoire.

Autre risque : que la transmission ne soit que partielle. C’est un risque fort pour les entreprises familiales depuis plusieurs générations. La baisse de l’affectio societatis avec des actionnaires distanciés ne favorise pas toujours une gouvernance efficiente et des mandats clairs pour les dirigeants.

Troisième risque, celui de forcer l’héritage au mépris du réel et des risques associés à sa réalisation. Une transmission familiale peut s’accompagner d’une forme d’immobilisme, avec une reproduction automatique de schémas néfastes lorsque l’entreprise doit prendre de nouveaux virages. »

En quoi le LBO s’avère une piste intéressante pour le financement de la transmission d’une entreprise familiale ?

Elodie Le Gendre : « Il y a une situation où il doit impérativement être envisagé : s’il faut à la fois désintéresser les actionnaires sortants et donner à l’entreprise les moyens de sa stratégie de conquête. Mais au-delà de ce cas de figure, le LBO est un mode de financement intéressant pour les entreprises familiales qui disposent souvent d’une structure bilantielle favorable à des LBO avec un effet de levier raisonnable. D’ailleurs certains investisseurs se spécialisent dans la transmission familiale et recherchent en particulier les sociétés qui y sont confrontées.

Là encore, pour que ces schémas soient pertinents, la famille doit avoir conscience que liberté d’action rime avec préparation. »

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