Interview

Les PME à fin 2023 : comment s'adapter à une situation classique après des années d'incertitude ?

Le nombre de défaillances d’entreprises est en hausse depuis plusieurs mois. Ce fait posé, il faut en comprendre les mécanismes et les causes afin de cerner ce qu’il peut advenir, notamment pour les PME dont on peut craindre que les capacités d’investissement soient pénalisées.

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Portrait d'Alain Henriot

Si l’on part de l’année 2019, la courbe des défaillances est en U ; cette hausse des défaillances que l’on constate depuis plusieurs mois s’explique certes par la fin des mesures de soutien, mais aussi par la hausse des coûts et l’affaiblissement de l’activité, comme en témoigne le climat des affaires publié par l’Insee pour le mois de novembre.

Alain Henriot — Responsable des études économiques au sein de La Banque Postale

À fin octobre 2023, le nombre de défaillances d’entreprises cumulé sur les douze derniers mois continue de croître (source : Banque de France). Il s’agit d’un mouvement de rattrapage qui concerne tous les secteurs de l'économie et toutes les tailles d'entreprises, mais de manière hétérogène dans les deux cas. Ainsi les défaillances des PME sont en hausse de 3 % en octobre 2023 comparé à octobre 2019. Mais l’approche de la Banque de France englobe dans sa définition de PME les micro-entreprises jusqu’aux entreprises moyennes (hors ETI qui, elles, sont dans la même entrée que les grandes entreprises). Si l’on retire les micro-entreprises, alors le pourcentage augmente : +66 % en octobre 2023 comparé à octobre 2019 pour les moyennes entreprises. 

Le jugement sur les situations de trésorerie des PME se dégrade

Le nombre de défaillances sur un an reste cependant inférieur au niveau enregistré sur la période d’avant la pandémie de COVID-19. Les défaillances ont, en effet, fortement reculé à compter du début de la crise sanitaire, du fait notamment des mesures publiques de soutien en trésorerie permettant d'éviter un état de cessation des paiements. « Si l’on part de l’année 2019, la courbe des défaillances est en U ; cette hausse des défaillances que l’on constate depuis plusieurs mois s’explique certes par la fin des mesures de soutien, mais aussi par la hausse des coûts et l’affaiblissement de l’activité, comme en témoigne le climat des affaires publié par l’Insee pour le mois de novembre » précise Alain Henriot, responsable des études économiques au sein de La Banque Postale. Précédemment, on pouvait relever un paradoxe : les défaillances étaient en hausse, en revanche les enquêtes Trésorerie, Investissement et Croissance des PME de Rexecode-Bpifrance ne montraient pas une réelle dégradation de la trésorerie des PME. « C’était une configuration assez particulière, explicable par le fait que si un très grand nombre d’entreprises résistaient, les plus fragiles, jusque-là protégées par les mesures covid, commençaient à souffrir » avance Alain Henriot. Désormais, « le jugement sur la situation de trésorerie des trois précédents mois perd cinq points tandis que celui sur les situations actuelles et futures recule de quatre points. Les délais de paiement des clients n’ont jamais été jugés aussi élevés » (Enquête précitée, nov. 2023). « La trésorerie se dégrade sans être à un niveau préoccupant. D’ailleurs, on peut noter qu’il y a eu jusqu’ici peu de défaut de remboursements des prêts garantis par l’Etat (PGE). Ce n’est donc pas là qu’il faut chercher les causes des défaillances d’entreprises actuelles » relève Alain Henriot.

Zoom sur le secteur de la construction

Les défaillances y restent encore à un niveau très inférieur à celui de 2019 car les carnets de commandes de ces sociétés sont sur du moyen terme. Le vif recul du marché immobilier (les mises en chantier de logements neufs sont au plus bas depuis plus de 20 ans) va progressivement devenir beaucoup plus pénalisant.

Le pic de l’inflation est passé, la consommation repart

« Toutes les composantes sont là pour une décélération de l’inflation. Bien sûr, des aléas ne sont pas à exclure mais la trajectoire définie par la Banque de France, un retour à 2 % d’inflation d’ici fin 2024/début 2025 est logique » souligne le responsable des études économiques au sein de La Banque Postale. « Les coûts demeurent certes élevés, mais la détente sur les prix de l’énergie est là, quoique moins marquée en France qu’ailleurs en raison de notre pratique des tarifs réglementés pour l’électricité. On observe aussi une accalmie du côté des prix des matières premières industrielles et agricoles. Enfin, les prix à la production de biens manufacturés sont en recul, ce qui va se retrouver dans les prix de nos importations. ».

Un moteur (un peu) favorable : du fait de la hausse des salaires qui se cale sur l’inflation passée, la consommation pourrait être plus dynamique en 2024. À l’inverse, les investissements des entreprises qui restaient jusqu’alors remarquablement résilients, risquent d’être pénalisés par des coûts de financement plus élevés.

Les investissements des PME : le point de fragilité probable

Le consensus des prévisions de croissance pour la France en 2024 se situe un peu en deçà de 1 % dans un contexte où le soutien budgétaire de l’Etat va s’estomper. Après l’incertitude liée à la crise sanitaire, amortie grâce aux mesures de protection de l’Etat, les entreprises ont dû absorber la hausse des coûts, en partie passée en hausse des prix mais avec des taux de marge très différents selon les secteurs. Désormais, les entreprises et notamment les PME doivent s’adapter à un environnement économique plus traditionnel avec une croissance économique relativement lente mais aussi des aides publiques qui s’estompent. Le vrai défi sera de se projeter avec des niveaux d’intérêt plus élevés, après plus d’une décennie de taux très bas d’un caractère atypique au regard de l’histoire économique. Pour les entreprises, cela veut dire des frais financiers qui augmentent et cela va évidemment influer sur leurs décisions d’investissement. Selon l’enquête Rexecode-Bpifrance, les intentions d’investissement des PME baissent (-5 points en novembre depuis le dernier baromètre trimestriel). Toutefois, 52 % des sondés ont investi ou comptent investir en 2023, une part encore un peu supérieure à celle observée il y a un an (49 %), période marquée par le pic des inquiétudes suscitées par la crise énergétique. Le renouvellement et/ou la modernisation des équipements et installations demeurent les principales destinations des dépenses d’investissement. 

Zoom sur sur les destinations des investissements verts des PME 

Toujours selon l’enquête précitée, le motif environnemental est stable et semble donc installé. Les trois destinations les plus citées sont le changement du système d’éclairage, les systèmes de gestion des déchets et le parc automobile de l’entreprise. Ce dernier motif arrive en tête des investissements / actions prévus au cours des 3 prochaines années. Enfin la crise énergétique est citée comme un facteur ayant déclenché ou accéléré les investissements alors que la principale raison de non-réalisation d’investissements verts en 2023 au sein des PME est l’absence d’alternatives technologiques.

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