Comment lutter contre les déserts médicaux ?

C’est un paradoxe bien français. Alors que la France compte 226 000 médecins, soit deux fois plus qu’en 1980, la fracture médicale n’a jamais été aussi prégnante. 8 millions de Français vivent dans un « désert médical ».

Ils ne peuvent pas consulter plus de deux fois par an un praticien, faute d'en avoir un à proximité. Et 4,4 % de la population réside à plus de 45 minutes d'un cabinet de pédiatre, d'ophtalmologue, de gynécologue ou de psychiatre. En moyenne, au niveau national, il faut attendre une vingtaine de jours pour pouvoir consulter un pédiatre ou un radiologue, une quarantaine pour un gynécologue et même 80 jours pour un ophtalmologiste.

Car si, au niveau national, la densité de personnels soignants est de 334 praticiens pour 100 000 habitants, la disparité entre les départements est alarmante. On dénombre 798 médecins pour 100 000 habitants à Paris, ils ne sont que 180 pour 100 000 habitants dans l’Eure. Au total, selon le ministère de la Santé, il manque des médecins généralistes dans 11 329 communes de France, soit une ville sur trois. Et la situation ne va pas s’améliorer car un généraliste sur deux est âgé d'au moins 60 ans. Les « médecins de campagne » plus âgés que la moyenne vont massivement partir en retraite dans les prochaines années. Les départs à la retraite des professionnels de santé ont été multipliés par six en dix ans. Ils devraient concerner près de 7 000 généralistes ou spécialistes en 2024. Ce qui fragilise encore davantage les territoires.

La principale cause du problème est connue : seuls 8 000 nouveaux praticiens sont formés par an, contre 13 000 en 1970, du fait du numerus clausus qui limite l’accès des étudiants à la profession.

" Pas besoin de la tirer, l'alarme a déjà sonné !" expliquait récemment aux JDD, la ministre de la Santé Agnès Buzyn qui a décidé de passer à l'action pour tenter de résorber les déserts médicaux en France.

Sur sa feuille de route : la fin du numerus clausus pour les étudiants en médecine, la création d’hôpitaux de proximité, la lutte contre les déserts médicaux… Le tout a été consigné dans un projet de loi « Ma Santé 2022 » qui vient d’être voté par le parlement.

La loi prévoit évidemment la suppression du numerus clausus, à la rentrée 2020, avec l'objectif d'augmenter d'environ 20 % le nombre de médecins formés. Mais les effets ne se feront sentir que dans une décennie.

En attendant « Ma santé 2022 » va s’attaquer au médecin et à l’exercice isolé de la médecine – c’est-à-dire d’un professionnel de santé seul dans son cabinet. D’abord en favorisant une meilleure organisation des professionnels de santé qui devront travailler ensemble et mieux coopérer. L’idée est de rassembler les soignants en ville et ceux à l’hôpital autour de projets de santé adaptés aux besoins des Français dans les territoires. Les soins de proximité doivent s’organiser au sein de structures d’exercice coordonnées comme les maisons ou les centres de santé pluri-professionnelles, dans le cadre de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

La loi va également créer de nouvelles fonctions d’assistant médical qui pourront également assumer des tâches de pré-consultation et de suivi de patients. Cela passe aussi par la redéfinition des formations et des tâches médicales allouées aux infirmières. Cette révision des études a pour but d’encourager la diversification des profils étudiants, les passerelles entre cursus et une définition plus pertinente des choix ultérieurs de spécialités des étudiants. Le rôle des pharmaciens dans le parcours santé sera également repensé.

Ma Santé 2022 prévoit aussi la mise en place d’outils digitaux pour organiser de réels parcours de soins afin que les patients n’aient pas à assumer seuls la coordination des différents professionnels de santé. Une révision profonde du financement permettra de sortir de la seule logique du paiement à l’acte au profit de rémunérations au forfait pour certaines pathologies chroniques et de primes à la qualité.

En attendant, pour pallier la « sous-densité » médicale dans certains territoires, les maires de communes ont décidé d’installer des plateformes de téléconsultation

L’offre hospitalière sera quant à elle repensée autour des hôpitaux et des services hospitaliers de proximité pour les soins du quotidien (médecine, gériatrie, réadaptation), plus que jamais nécessaires dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation des maladies chroniques. Quand les autres hôpitaux verront leur activité recentrée sur leur mission première : les soins techniques, nécessitant des équipements adaptés et de pointe.

Le texte prévoit ainsi la labellisation de 500 à 600 « hôpitaux de proximité » sur les quelques 3 000 hôpitaux et cliniques existants, recentrés sur la médecine générale, la gériatrie et la réadaptation, avec de la chirurgie sur autorisation strictement encadrée.

Reste une difficulté : comment convaincre les médecins d’exercer à la campagne ?

« Loin des mesures coercitives, le texte oblige les facultés et agences régionales de santé à trouver des terrains de stages en priorité dans les territoires en tension », s'est félicitée Agnès Buzyn lors du vote de la loi.

Un stage d'au moins six mois permettra à l'ensemble d'une promotion, c'est-à-dire près de 3 500 étudiants, de découvrir l'exercice ambulatoire dans les territoires.

Ces mesures complètent celles précédemment mises en place comme les Contrats d’engagement de service public (CESP) qui permettent au jeune étudiant ou interne de bénéficier d’une bourse en contrepartie d’un engagement d’installation dans une zone sous-dotée.

Ou encore les contrats "Praticien territorial de médecine ambulatoire" (PTMA) qui peuvent être signés entre le médecin et l’agence régionale de santé (ARS) pour une durée de trois ans. Il prévoit une garantie de revenu en cas d’arrêt provisoire d’activité (congé maternité ou paternité).